SOCIÉTÉ- Fini l'insertion de tiges et autres objets dans le vagin, les plantes, les bains chauds, les chutes auto-provoquées, l'avortement est un droit âprement acquis depuis 1973, gratuit (dans les plannings familiaux) et se fait dans les établissements médicaux publics ou privés. Les conditions de sa pratique ont bien changé, elles sont nettement mieux mais l'acte est loin encore d'être anodin; un droit dont on ne souhaiterait presque jamais jouir.
Certaines sont mariées, d'autres non, en train d'attendre leur tour dans la salle du planning familial de la région de Nabeul, elles sont là depuis 7h du matin pour espérer "passer". La salle est archi-comble, l'ambiance dans la salle d'attente est pesante, le regard de certaines songeur, surtout les plus jeunes, d'autres semblent être "des habituées", connaissent le lieu, le personnel médical, et sont plus à l'aise.
Les patientes qui ont la "chance" de consulter vont avorter par méthode médicamenteuse, après accomplissement de procédures administratives et médicales nécessaires pour s'assurer de la grossesse et de sa durée. Elles avaleront alors une pilule abortive et devront attendre, quelques heures, sur place, les contractions, signe entraînant la perte de l'œuf.
"Parfois, ça ne marche pas dès le premier coup et elle doit revenir le lendemain pour reprendre une pilule, voire deux pour terminer le processus. Les saignements engendrés par la prise de la pilule ne sont pas un signe que l'interruption de grossesse a réussi, la femme doit consulter pour s'assurer qu'elle a bel et bien avorté", explique doctement la sage-femme.
Une méthode non sans risques, déconseillée pour certaines et pouvant provoquée une hémorragie.
Ni par lâcheté, ni par inhumanité, ni par caprice
Car Sana l'a déjà fait. À l'époque, elle avait un seul enfant de 7 mois lorsqu'elle est tombée enceinte. N'ayant pas les moyens financiers pour élever un deuxième enfant, elle et son mari ont pris la décision d'interrompre la grossesse, non sans beaucoup d'hésitations, dit-elle.
Arrivée au planning, après avoir accompli toutes les démarches nécessaires, elle se rétracte au dernier moment: "Je l'ai appelé pour lui dire que je n'allais pas le faire. Même mon gynécologue a refusé à l'époque de me faire avorter, par éthique me disait-il.Alors j'ai eu peur en voyant ces femmes, et puis il y a eu une crainte divine, sans oublier les pressions de ma mère, de ma belle-mère, et de ma belle-soeur qui m'imploraient de le garder. Elles me disaient qu'il ne fallait pas refuser ce don de Dieu alors que d'autres peinaient à l'avoir. Aux arguments en relation avec ma condition financière, ou avec la fatigue que cela allait engendrer, elles me disaient qu'elles allaient être là pour m'épauler".
Avorter, une délivrance
Non loin de Sana, Rihem, 22 ans a déjà avorté. Le visage blême, fatiguée, l'air paumée. Elle est venue pour une visite de contrôle. Elle n'est pas originaire de la région mais elle s'est déplacée pour "chercher l'anonymat". Elle n'a pas assez d'argent pour aller avorter dans le privé.
C'est sa première grossesse et elle n'a pas avorté pour des raisons financières, ni par épuisement mais par "peur de sa famille, pour ne pas entacher son honneur".
Sa décision a vite été prise: "Paniquée, morte de peur, je n'y ai pas trop pensé, ni hésité. Je voulais en finir le plus vite possible. C'est seulement la veille de mon rendez-vous, que j'y ai pensé, j'ai pleuré dans mon lit, des sanglots étouffés pour ne pas réveiller ma mère. J'ai longuement parlé à mon enfant pour lui demander pardon, je savais qu'il n'était qu'un oeuf mais j'étais tourmentée. Le lendemain, c'est le sentiment de délivrance qui prévalait".
Son avortement a été un peu compliqué. Anémique, Rihem a été très affaiblie par les saignements engendrés suite à son IVG, forcée à faire semblant, à chercher des justifications à sa famille pour son épuisement soudain. "Mon souhait est de tourner cette page à jamais".
"J'étais contre l'avortement tout en le défendant comme un droit inébranlable"
Loin des encombrements des plannings, des paperasses administratives, Aroua, 28 ans, a avorté dans une clinique de Tunis, par aspiration et sous anesthésie générale, pas de saignements, ni de contactions mais la douleur est aussi palpable, aussi pénible. "En une demie heure, tout était fini mais je garde un souvenir amer, ce n'est pas une partie de plaisir, encore moins un acte anodin. On le vit dans sa chair et dans son âme" affirme t-elle avant d'ajouter: "J'étais contre l'avortement tout en le défendant comme un droit inébranlable".
"L'idée de le garder m'a traversé l'esprit, puis la réalité m'a vite rattrapée: avoir une sexualité quelconque en Tunisie est un tabou, que dire d'être une mère célibataire! J'assume ma sexualité, mes principes mais je n'étais pas prête à infliger une telle douleur à ma famille, à ma mère".
Plus qu'une heure d'attente après, une infirmière vient me chercher. Aroua n'a pas donné sa vraie identité à la clinique, mais celle de son copain qui l'a déposée avant d'aller travailler: "Je ne voulais laisser aucune trace de moi et à la clinique, l'essentiel pour eux est d'avoir la garantie d'être payé. Ils ne cherchent pas à en savoir plus".
Aroua n'a pas pris de chambre au préalable. Elle est allée directement à la salle opératoire: "J'ai enlevé mes vêtements sur place, dans la précipitation. En m'anesthésiant, j'entendais mon téléphone sonner, c'était la dernière chose dont je me souviens avant de perdre conscience".
Réveillée peu de temps après par son médecin, elle a réalisé que tout était fini: "J'étais en pleurs, apeurée. Mon médecin était là, m'a tenu par la main, me répétant que j'étais jeune et que j'en aurai sûrement d'autres dans de meilleures conditions".
Aroua se rappelle de temps en temps cet avortement: "cet enfant aurait eu aujourd'hui cinq ans", lance-t-elle les yeux mouillés et le sourire attendri.
Certaines sont mariées, d'autres non, en train d'attendre leur tour dans la salle du planning familial de la région de Nabeul, elles sont là depuis 7h du matin pour espérer "passer". La salle est archi-comble, l'ambiance dans la salle d'attente est pesante, le regard de certaines songeur, surtout les plus jeunes, d'autres semblent être "des habituées", connaissent le lieu, le personnel médical, et sont plus à l'aise.
"Ce planning est surchargé: des femmes viennent de tout le gouvernorat de Nabeul, mais pas seulement. Il y en a qui viennent d'autres régions, vous pouvez donc imaginer le nombre de personnes! Des femmes, on en voit de toutes les couleurs, des mariées, des célibataires, des travailleuses de sexe qui sont souvent connues du service, etc. Alors pour espérer voir le médecin, il faut venir tôt, attendre des heures mais certaines devraient tout de même revenir le lendemain, faute de temps", lance au HuffPost Tunisie une sage-femme du service qui a souhaité garder l'anonymat.
L'offre publique de services d’avortement est en train de baisser, selon une étude récente réalisée par l’Association tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) à travers une politique publique qui, se justifiant par un manque de moyens financiers, restreint le droit à l’avortement en fermant certains centres de planning familial en Tunisie.
La disparité entre les régions concernant l’accès aux moyens contraceptifs est persistante, des lacunes reconnues par Hayet Labessi, médecin, de l'Office de la Famille et de la Population (ONFP). "L'étude de l'ATFD note aussi l'existence de pratiques discriminatoires à l'égard des femmes célibataires, venues pour avorter. Pour les femmes mariés, certaines personnes appartenant au corps médical essayent de les dissuader, usant d'arguments d'ordre religieux", avance Emna Hraisi de l'ATFD.
"Je confirme l'existence de genre de déviations déplorables mais nous faisons en sorte de les endiguer à travers des formations destinées au personnel médical, a affirmé Rebeh Chérif, chargée des relations publiques à l'ONFP au HuffPost Tunisie.
Les patientes qui ont la "chance" de consulter vont avorter par méthode médicamenteuse, après accomplissement de procédures administratives et médicales nécessaires pour s'assurer de la grossesse et de sa durée. Elles avaleront alors une pilule abortive et devront attendre, quelques heures, sur place, les contractions, signe entraînant la perte de l'œuf.
"Parfois, ça ne marche pas dès le premier coup et elle doit revenir le lendemain pour reprendre une pilule, voire deux pour terminer le processus. Les saignements engendrés par la prise de la pilule ne sont pas un signe que l'interruption de grossesse a réussi, la femme doit consulter pour s'assurer qu'elle a bel et bien avorté", explique doctement la sage-femme.
Une méthode non sans risques, déconseillée pour certaines et pouvant provoquée une hémorragie.
Ni par lâcheté, ni par inhumanité, ni par caprice
Des risques, Sana, 32 ans, en est consciente mais tiraillée entre "les appels du coeur et ceux de la raison, entre mon instinct maternel et la sagesse qu'impose ma condition de vie, mes difficultés. Un enfant, ce n'est pas une poupée avec laquelle on joue, c'est un être humain, une bouche à nourrir, à couvrir, à éduquer. Ai-je les moyens de le faire? Non. Ai-je la force de le faire? Non plus", explique-t-elle avec amertume.
Elle tarde à expliquer comme pour se justifier, le souffle entrecoupé et le regard absent, parfois, pensive. Son mari l'appelle de temps en temps pour s'assurer que tout se passe normalement: "Il s'assure car il a peur que je change d'avis au dernier moment".
Car Sana l'a déjà fait. À l'époque, elle avait un seul enfant de 7 mois lorsqu'elle est tombée enceinte. N'ayant pas les moyens financiers pour élever un deuxième enfant, elle et son mari ont pris la décision d'interrompre la grossesse, non sans beaucoup d'hésitations, dit-elle.
Arrivée au planning, après avoir accompli toutes les démarches nécessaires, elle se rétracte au dernier moment: "Je l'ai appelé pour lui dire que je n'allais pas le faire. Même mon gynécologue a refusé à l'époque de me faire avorter, par éthique me disait-il.Alors j'ai eu peur en voyant ces femmes, et puis il y a eu une crainte divine, sans oublier les pressions de ma mère, de ma belle-mère, et de ma belle-soeur qui m'imploraient de le garder. Elles me disaient qu'il ne fallait pas refuser ce don de Dieu alors que d'autres peinaient à l'avoir. Aux arguments en relation avec ma condition financière, ou avec la fatigue que cela allait engendrer, elles me disaient qu'elles allaient être là pour m'épauler".
Au final, elle était bien seule à élever deux enfants en bas âges: "Aux difficultés financières, s'ajoute l'état d'épuisement constant: débordée entre deux enfants difficiles, appelée à m'occuper de mon mari, de mon foyer, d'eux, j'étais sur tous les fronts et arrivais à peine à accomplir une seule de mes tâches correctement. Les disputes avec mon mari sont devenues quotidiennes, on était tous les deux sur nos nerfs; alors un autre enfant, pas question! Je vais avorter la mort dans l'âme parce que c'est mieux pour moi, pour cet enfant dans mon ventre, pour ma famille", renchérit Sana qui explique que ce n'est ni par lâcheté, ni par inhumanité, ni par caprice qu'elle allait le faire.
Avorter, une délivrance
Non loin de Sana, Rihem, 22 ans a déjà avorté. Le visage blême, fatiguée, l'air paumée. Elle est venue pour une visite de contrôle. Elle n'est pas originaire de la région mais elle s'est déplacée pour "chercher l'anonymat". Elle n'a pas assez d'argent pour aller avorter dans le privé.
C'est sa première grossesse et elle n'a pas avorté pour des raisons financières, ni par épuisement mais par "peur de sa famille, pour ne pas entacher son honneur".
Rihem n'est pas célibataire mais mariée depuis trois mois mais "seulement sur les papiers, on n'a pas encore organisé de cérémonie de mariage, alors concevoir un enfant avant est inadmissible pour les deux familles, nos voisins, toute ma ville. Les gens sont sans pitié", lance-elle.
Sa décision a vite été prise: "Paniquée, morte de peur, je n'y ai pas trop pensé, ni hésité. Je voulais en finir le plus vite possible. C'est seulement la veille de mon rendez-vous, que j'y ai pensé, j'ai pleuré dans mon lit, des sanglots étouffés pour ne pas réveiller ma mère. J'ai longuement parlé à mon enfant pour lui demander pardon, je savais qu'il n'était qu'un oeuf mais j'étais tourmentée. Le lendemain, c'est le sentiment de délivrance qui prévalait".
Son avortement a été un peu compliqué. Anémique, Rihem a été très affaiblie par les saignements engendrés suite à son IVG, forcée à faire semblant, à chercher des justifications à sa famille pour son épuisement soudain. "Mon souhait est de tourner cette page à jamais".
Rebeh Chérif, chargée des relations publiques à l'ONFP au HuffPost Tunisie:
"Dans le planning familial, la patiente célibataire est soumise à un interrogatoire préalable qui cerne, entre autres, ses pratiques sexuelles pour savoir s'ils sont à risques, et afin de l'informer sur les méthodes contraceptives. Il est à noter qu'il existe 21 centres dans les régions, appelés "centres amis des jeunes" pour sensibiliser les jeunes sur ces sujets".
"J'étais contre l'avortement tout en le défendant comme un droit inébranlable"
Loin des encombrements des plannings, des paperasses administratives, Aroua, 28 ans, a avorté dans une clinique de Tunis, par aspiration et sous anesthésie générale, pas de saignements, ni de contactions mais la douleur est aussi palpable, aussi pénible. "En une demie heure, tout était fini mais je garde un souvenir amer, ce n'est pas une partie de plaisir, encore moins un acte anodin. On le vit dans sa chair et dans son âme" affirme t-elle avant d'ajouter: "J'étais contre l'avortement tout en le défendant comme un droit inébranlable".
"L'idée de le garder m'a traversé l'esprit, puis la réalité m'a vite rattrapée: avoir une sexualité quelconque en Tunisie est un tabou, que dire d'être une mère célibataire! J'assume ma sexualité, mes principes mais je n'étais pas prête à infliger une telle douleur à ma famille, à ma mère".
La pénibilité de l'acte s'est alourdie pour elle par des conditions "lamentables" à la clinique: "J'ai attendu des heures dans la salle d'attente du service gynécologique, mélangée à d'autres femmes qui allaient accoucher, entourées par leurs époux ou mères. Elles attendaient de donner la vie. Leur attente était joyeuse, la mienne funèbre, je n'étais pas à l'aise. J'avais envie de m'échapper, de boucher mes oreilles pour ne plus les entendre. Une seule fille qui avait presque mon âge attendait avec moi, on s'est regardé, on s'est comprise et on a souri mutuellement, complices comme pour se donner du courage, se réconforter".
Plus qu'une heure d'attente après, une infirmière vient me chercher. Aroua n'a pas donné sa vraie identité à la clinique, mais celle de son copain qui l'a déposée avant d'aller travailler: "Je ne voulais laisser aucune trace de moi et à la clinique, l'essentiel pour eux est d'avoir la garantie d'être payé. Ils ne cherchent pas à en savoir plus".
Aroua n'a pas pris de chambre au préalable. Elle est allée directement à la salle opératoire: "J'ai enlevé mes vêtements sur place, dans la précipitation. En m'anesthésiant, j'entendais mon téléphone sonner, c'était la dernière chose dont je me souviens avant de perdre conscience".
Réveillée peu de temps après par son médecin, elle a réalisé que tout était fini: "J'étais en pleurs, apeurée. Mon médecin était là, m'a tenu par la main, me répétant que j'étais jeune et que j'en aurai sûrement d'autres dans de meilleures conditions".
Transportée dans sa chambre, Aroua est mise près d'une femme qui sortait d'un accouchement par césarienne, entourée des siens. Elle attendait avec sa famille qu'on lui amène l'enfant. Seul un rideau les séparaient: "Je n'arrivais pas à me retenir, c'était plus fort que moi, mes sanglots étaient tels que la mère de la femme à côté de moi est venue me soulager, croyant que j'étais mariée et que j'avais fait une fausse couche. Elle m'a pris dans ses bras, m'embrassait fort. Je n'oublierai jamais cette femme, auprès de qui j'ai trouvé le confort que j'aurais aimé avoir auprès de ma mère lors de cette épreuve".
Aroua se rappelle de temps en temps cet avortement: "cet enfant aurait eu aujourd'hui cinq ans", lance-t-elle les yeux mouillés et le sourire attendri.
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