La série Netflix Grace et Frankie raconte, sur le ton de la comédie, l’histoire de deux épouses, mariées depuis des années, qui s’aperçoivent que leurs maris sont homosexuels. Dans la vraie vie, pour un couple qui vit ensemble depuis longtemps, le coming-out de l’un des partenaires n’est drôle pour personne.
“Il y a deux victimes. Celui ou celle qui est homosexuel-le et celui ou celle qui ne l’est pas”, explique Amity Pierce. En 1986, quand l’homme qu’elle avait épousé 25 ans auparavant a fait son coming-out, elle a fondé le réseau Straight Spouse pour aider d’autres couples dans son cas.
Quand les personnes concernées ont atteint l’âge mûr, voire plus tard, ce genre de situation entraîne des problèmes particuliers.
“En vieillissant, on a moins de temps de refaire sa vie”, ajoute-t-elle. Selon ses observations, un tiers des couples concernés se séparent immédiatement, en très mauvais termes, un autre tiers divorce à l’amiable, et le dernier tiers tente de s’adapter.
Ce coup de théâtre est particulièrement difficile pour les femmes âgées, qui s’étaient imaginées profiter de la retraite avec leur mari, et accueillir leurs petits-enfants. Outre les questions d’amour-propre, les femmes qui se sont consacrées à l’éducation de leurs enfants risquent d’avoir des problèmes d’ordre financier, souligne la psychothérapeute Kimberly Brooks Mazella.
Cela dit, la colère qu’engendrent ces situations n’a que peu de rapport avec la sexualité du ou de la partenaire qui fait son coming-out.
“Beaucoup des personnes qui découvrent la véritable orientation sexuelle de leur épouse ou de leur mari soutiennent activement les droits de la communauté LGBT, moi y compris”, poursuit-elle. “La colère naît du sentiment d’avoir été trompé-e, surtout si cela dure depuis des années. Je pense que ceux qui ressentent le plus de colère sont ceux qui apprennent la vérité de la bouche de quelqu’un d’autre.”
D’ailleurs, si l’on en croit une étude qu’elle a elle-même réalisée, c’est ce qui se produit dans les deux tiers des cas. Souvent, le partenaire hétérosexuel soupçonne une liaison, ou découvre d’autres indices, comme des messages privés ou de la pornographie.
Selon les experts, le partenaire homosexuel n’ose pas dire la vérité à l’autre en raison de facteurs extérieurs, comme les croyances religieuses, la pression sociale, ou même par véritable amour et amitié pour la personne délaissée.
“On peut comprendre que certains hommes ne fassent pas leur coming-out. Mais s’ils se marient, ils associent une femme qui ne se doute de rien à leur mensonge”, ajoute le Dr Brooks Mazella.
Certains pensent même que le fait d’être en couple avec un-e hétéro les aidera à réfréner leurs pulsions homosexuelles. Quand ils s’aperçoivent que ce n’est pas le cas, ils sont incapables de s’épanouir, et peuvent souffrir tout autant que leur partenaire.
“Il faut trouver le moyen de faire comprendre aux gens que le fait d’être LGBTQ n’a rien d’immoral ou de pervers, pour que cessent les mariages sexuellement incompatibles, ou ceux qui sont en attente d’un hypothétique coming-out”, explique Amity Pierce.
Afin de nous aider à comprendre ce qui se passe dans de telles situations, trois femmes nous ont fait part de leur expérience. Voici ce qu’elles nous ont dit (leurs réponses ont été condensées par souci de clarté).
Amity, 87 ans
“Nous avions deux enfants. C’était un mariage merveilleux, mais il est devenu distant. Il avait pris une retraite anticipée, et il voyageait seul. Il faisait des choses de son côté. Je ne me suis doutée de rien.
Il a fini par me quitter. L’année suivante, il m’a invitée à déjeuner et il m’a accusé d’être frigide. Ça m’a mis hors de moi. Plus tard, alors qu’il était à l’hôpital pour une opération bénigne, je suis allée le voir. Il était encore groggy. Il m’a dit qu’il avait quelque chose à m’avouer, qu’il était gay. J’ai éclaté de rire et j’ai répondu: ‘On se croirait dans un mauvais feuilleton télé!’
Il avait quitté son compagnon pour m’épouser, parce qu’il avait été élevé dans la tradition catholique. Mais il ne m’a jamais trompée.
J’ai d’abord été choquée, je n’arrivais pas à y croire. J’ai mis du temps à l’accepter. Je me demandais ce que ça voulait dire, si je n’étais pas suffisamment sexy, si je ne faisais pas ce qu’il fallait au lit. Je me disais: ‘Si ma vie est la conséquence de son mensonge, qui suis-je vraiment?’ Toutes mes convictions s’étaient effondrées.
En fait, c’était très clair. J’étais une prison pour lui. Il ne pouvait pas être celui qu’il était vraiment. Un jour, il m’a dit que ça ne pouvait pas continuer comme ça. Je lui ai répondu: ‘Bien sûr que si!’ Le lendemain, il s’est suicidé. C’était devenu trop pénible pour lui. C’était quelqu’un de bien, et je me suis effondrée. Je crois qu’il était en dépression, parce qu’il n’avait jamais pu être lui-même. Tous les hommes gays ressentent ça, en raison de leur sexualité et de leur identité. Même les jeunes.”
Susan, 51 ans
“Au bout de dix ans de mariage, je me suis dit qu’il avait une liaison avec une autre femme. Je l’avais entendu parler d’aller danser dans un bar au cours d’une conversation téléphonique, et j’ai fini par comprendre qu’il s’adressait à un homme. Un soir, pendant que nous étions en vacances, nous avons un peu trop bu et je lui ai posé la question. Il m’a répondu qu’il avait ‘toujours été attiré par les hommes’.
Je lui en ai reparlé de temps en temps, mais ça le mettait en colère. Alors, j’ai cessé de le faire. Pourtant, je n’arrêtais pas d’y penser. Je me suis mise à surveiller ses faits et gestes, et à réunir les pièces du puzzle, mais il m’a fallu près de dix ans de plus pour avoir le courage de divorcer.
En 2015, les choses ont vraiment pris une sale tournure. Il commençait à assumer sa sexualité, et j’étais presque sûre de mon coup. J’ai pris mon courage à deux mains, et je lui ai demandé s’il savait qu’il était gay avant de m’épouser. Il m’a dit que oui. J’ai mis un moment à l’accepter. D’un côté, j’étais furieuse et je lui en voulais mais, de l’autre, j’étais terriblement triste pour lui. Je me souviens lui avoir dit que s’il avait été honnête, on aurait pu être amis pour la vie. Mais que je voulais divorcer.
Cette révélation a eu un impact certain sur mon amour-propre. Comment avais-je pu vivre avec quelqu’un pendant 20 ans sans vraiment le connaître? Depuis, j’ai peur de rencontrer quelqu’un, et de coucher avec lui. Au fond, est-ce que je suis vraiment si ouverte d’esprit? J’ai peut-être des préjugés. Pour moi, c’est une qualité. Cette expérience a changé mon point de vue.
Comme je le dis à mes enfants, l’idéal serait de passer nos vacances tous ensemble. Mais je n’y suis pas encore tout à fait prête.
Je ne sais pas trop comment il a vécu les choses. A mon avis, il n’assume pas encore tout à fait. Il ne dit pas qu’il est gay, mais qu’il est attiré par les hommes. Comme s’il avait peur d’appeler les choses par leur nom. J’imagine que ça n’a pas été facile pour lui.”
Judith, septuagénaire
”Mon expérience est très différente de celle d’autres personnes. J’étais au courant avant de l’épouser, mais j’étais très attirée par lui. C’était mon âme-sœur. Avant notre mariage, Dick m’a dit qu’il avait quelque chose à m’annoncer, que sans moi, il serait homosexuel. Nous étions en 1966. Personne ne parlait de ces choses-là à l’époque. Je ne connaissais aucun homosexuel. Pour moi, c’était une forme de névrose. Il m’a dit que oui, en partie. Il avait suivi une thérapie, et je lui ai proposé de continuer.
Il a demandé ma main, et j’ai accepté. Je ne savais pas qu’il souffrait, que des hommes le faisaient fantasmer. On n’en parlait pas. Les choses n’ont pas été simples.
Quand il m’a avoué ça, j’étais abasourdie, je me sentais abandonnée. Mais j’étais aussi féministe, et je soutenais vraiment le mouvement de libération homosexuelle, qui n’en était qu’à ses débuts. Je lui ai dit que j’admirais son courage.
S’il m’avait trompée avec une femme, ça m’aurait anéanti. J’aurais eu l’impression qu’une autre avait pris ma place. Mais j’étais toujours la femme de sa vie. Ça me faisait du bien. Mais, comme dans une rupture amoureuse, les choses ne pourraient plus jamais être comme avant.
C’est l’homme qui a le plus compté pour moi, jusqu’à la naissance de ma fille. Ça n’a jamais posé de problème à mon deuxième mari. En 1986, Dick est mort du sida. Mon mari a été surpris par la profondeur de mon chagrin. Je ne m’étais jamais sentie aussi proche de quelqu’un. Il était lié à ma jeunesse, et à mon enthousiasme juvénile. Et ça, ça n’arrive qu’une fois.
Retrouvez l’intégralité du témoignage de Judy (en anglais) en cliquant ici.
Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Bamiyan Shiff.
“Il y a deux victimes. Celui ou celle qui est homosexuel-le et celui ou celle qui ne l’est pas”, explique Amity Pierce. En 1986, quand l’homme qu’elle avait épousé 25 ans auparavant a fait son coming-out, elle a fondé le réseau Straight Spouse pour aider d’autres couples dans son cas.
Quand les personnes concernées ont atteint l’âge mûr, voire plus tard, ce genre de situation entraîne des problèmes particuliers.
“En vieillissant, on a moins de temps de refaire sa vie”, ajoute-t-elle. Selon ses observations, un tiers des couples concernés se séparent immédiatement, en très mauvais termes, un autre tiers divorce à l’amiable, et le dernier tiers tente de s’adapter.
Ce coup de théâtre est particulièrement difficile pour les femmes âgées, qui s’étaient imaginées profiter de la retraite avec leur mari, et accueillir leurs petits-enfants. Outre les questions d’amour-propre, les femmes qui se sont consacrées à l’éducation de leurs enfants risquent d’avoir des problèmes d’ordre financier, souligne la psychothérapeute Kimberly Brooks Mazella.
Cela dit, la colère qu’engendrent ces situations n’a que peu de rapport avec la sexualité du ou de la partenaire qui fait son coming-out.
“Beaucoup des personnes qui découvrent la véritable orientation sexuelle de leur épouse ou de leur mari soutiennent activement les droits de la communauté LGBT, moi y compris”, poursuit-elle. “La colère naît du sentiment d’avoir été trompé-e, surtout si cela dure depuis des années. Je pense que ceux qui ressentent le plus de colère sont ceux qui apprennent la vérité de la bouche de quelqu’un d’autre.”
D’ailleurs, si l’on en croit une étude qu’elle a elle-même réalisée, c’est ce qui se produit dans les deux tiers des cas. Souvent, le partenaire hétérosexuel soupçonne une liaison, ou découvre d’autres indices, comme des messages privés ou de la pornographie.
Selon les experts, le partenaire homosexuel n’ose pas dire la vérité à l’autre en raison de facteurs extérieurs, comme les croyances religieuses, la pression sociale, ou même par véritable amour et amitié pour la personne délaissée.
“On peut comprendre que certains hommes ne fassent pas leur coming-out. Mais s’ils se marient, ils associent une femme qui ne se doute de rien à leur mensonge”, ajoute le Dr Brooks Mazella.
Certains pensent même que le fait d’être en couple avec un-e hétéro les aidera à réfréner leurs pulsions homosexuelles. Quand ils s’aperçoivent que ce n’est pas le cas, ils sont incapables de s’épanouir, et peuvent souffrir tout autant que leur partenaire.
“Il faut trouver le moyen de faire comprendre aux gens que le fait d’être LGBTQ n’a rien d’immoral ou de pervers, pour que cessent les mariages sexuellement incompatibles, ou ceux qui sont en attente d’un hypothétique coming-out”, explique Amity Pierce.
Afin de nous aider à comprendre ce qui se passe dans de telles situations, trois femmes nous ont fait part de leur expérience. Voici ce qu’elles nous ont dit (leurs réponses ont été condensées par souci de clarté).
Amity, 87 ans
“Nous avions deux enfants. C’était un mariage merveilleux, mais il est devenu distant. Il avait pris une retraite anticipée, et il voyageait seul. Il faisait des choses de son côté. Je ne me suis doutée de rien.
Il a fini par me quitter. L’année suivante, il m’a invitée à déjeuner et il m’a accusé d’être frigide. Ça m’a mis hors de moi. Plus tard, alors qu’il était à l’hôpital pour une opération bénigne, je suis allée le voir. Il était encore groggy. Il m’a dit qu’il avait quelque chose à m’avouer, qu’il était gay. J’ai éclaté de rire et j’ai répondu: ‘On se croirait dans un mauvais feuilleton télé!’
Il avait quitté son compagnon pour m’épouser, parce qu’il avait été élevé dans la tradition catholique. Mais il ne m’a jamais trompée.
J’ai d’abord été choquée, je n’arrivais pas à y croire. J’ai mis du temps à l’accepter. Je me demandais ce que ça voulait dire, si je n’étais pas suffisamment sexy, si je ne faisais pas ce qu’il fallait au lit. Je me disais: ‘Si ma vie est la conséquence de son mensonge, qui suis-je vraiment?’ Toutes mes convictions s’étaient effondrées.
En fait, c’était très clair. J’étais une prison pour lui. Il ne pouvait pas être celui qu’il était vraiment. Un jour, il m’a dit que ça ne pouvait pas continuer comme ça. Je lui ai répondu: ‘Bien sûr que si!’ Le lendemain, il s’est suicidé. C’était devenu trop pénible pour lui. C’était quelqu’un de bien, et je me suis effondrée. Je crois qu’il était en dépression, parce qu’il n’avait jamais pu être lui-même. Tous les hommes gays ressentent ça, en raison de leur sexualité et de leur identité. Même les jeunes.”
Susan, 51 ans
“Au bout de dix ans de mariage, je me suis dit qu’il avait une liaison avec une autre femme. Je l’avais entendu parler d’aller danser dans un bar au cours d’une conversation téléphonique, et j’ai fini par comprendre qu’il s’adressait à un homme. Un soir, pendant que nous étions en vacances, nous avons un peu trop bu et je lui ai posé la question. Il m’a répondu qu’il avait ‘toujours été attiré par les hommes’.
Je lui en ai reparlé de temps en temps, mais ça le mettait en colère. Alors, j’ai cessé de le faire. Pourtant, je n’arrêtais pas d’y penser. Je me suis mise à surveiller ses faits et gestes, et à réunir les pièces du puzzle, mais il m’a fallu près de dix ans de plus pour avoir le courage de divorcer.
En 2015, les choses ont vraiment pris une sale tournure. Il commençait à assumer sa sexualité, et j’étais presque sûre de mon coup. J’ai pris mon courage à deux mains, et je lui ai demandé s’il savait qu’il était gay avant de m’épouser. Il m’a dit que oui. J’ai mis un moment à l’accepter. D’un côté, j’étais furieuse et je lui en voulais mais, de l’autre, j’étais terriblement triste pour lui. Je me souviens lui avoir dit que s’il avait été honnête, on aurait pu être amis pour la vie. Mais que je voulais divorcer.
Cette révélation a eu un impact certain sur mon amour-propre. Comment avais-je pu vivre avec quelqu’un pendant 20 ans sans vraiment le connaître? Depuis, j’ai peur de rencontrer quelqu’un, et de coucher avec lui. Au fond, est-ce que je suis vraiment si ouverte d’esprit? J’ai peut-être des préjugés. Pour moi, c’est une qualité. Cette expérience a changé mon point de vue.
Comme je le dis à mes enfants, l’idéal serait de passer nos vacances tous ensemble. Mais je n’y suis pas encore tout à fait prête.
Je ne sais pas trop comment il a vécu les choses. A mon avis, il n’assume pas encore tout à fait. Il ne dit pas qu’il est gay, mais qu’il est attiré par les hommes. Comme s’il avait peur d’appeler les choses par leur nom. J’imagine que ça n’a pas été facile pour lui.”
Judith, septuagénaire
”Mon expérience est très différente de celle d’autres personnes. J’étais au courant avant de l’épouser, mais j’étais très attirée par lui. C’était mon âme-sœur. Avant notre mariage, Dick m’a dit qu’il avait quelque chose à m’annoncer, que sans moi, il serait homosexuel. Nous étions en 1966. Personne ne parlait de ces choses-là à l’époque. Je ne connaissais aucun homosexuel. Pour moi, c’était une forme de névrose. Il m’a dit que oui, en partie. Il avait suivi une thérapie, et je lui ai proposé de continuer.
Il a demandé ma main, et j’ai accepté. Je ne savais pas qu’il souffrait, que des hommes le faisaient fantasmer. On n’en parlait pas. Les choses n’ont pas été simples.
Quand il m’a avoué ça, j’étais abasourdie, je me sentais abandonnée. Mais j’étais aussi féministe, et je soutenais vraiment le mouvement de libération homosexuelle, qui n’en était qu’à ses débuts. Je lui ai dit que j’admirais son courage.
S’il m’avait trompée avec une femme, ça m’aurait anéanti. J’aurais eu l’impression qu’une autre avait pris ma place. Mais j’étais toujours la femme de sa vie. Ça me faisait du bien. Mais, comme dans une rupture amoureuse, les choses ne pourraient plus jamais être comme avant.
C’est l’homme qui a le plus compté pour moi, jusqu’à la naissance de ma fille. Ça n’a jamais posé de problème à mon deuxième mari. En 1986, Dick est mort du sida. Mon mari a été surpris par la profondeur de mon chagrin. Je ne m’étais jamais sentie aussi proche de quelqu’un. Il était lié à ma jeunesse, et à mon enthousiasme juvénile. Et ça, ça n’arrive qu’une fois.
Retrouvez l’intégralité du témoignage de Judy (en anglais) en cliquant ici.
Cet article, publié à l’origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Bamiyan Shiff.
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