L'opération de la coalition internationale composée de la France, des États-Unis, de la Turquie, du gouvernement Irakien et de Peshmergas Kurdes, pour reprendre au groupe Etat islamique la ville irakienne de Mossoul a commencé dans la nuit de dimanche à lundi 17 octobre 2016. Située dans le nord de l'Irak et peuplée majoritairement de musulmans sunnites, Mossoul était tombée aux mains de l'Etat islamique en juin 2014 et le leader de l'organisation jihadiste, Abou Bakr al-Baghdadi, avait alors proclamé un "califat" sur les territoires conquis de manière éclair par les jihadistes en Irak et en Syrie.
"Alors que la bataille de Mossoul va entrer dans sa troisième semaine, que les médias et les réseaux sociaux bruissent de nouvelles en direct et au kilomètre près, la réalité du quotidien des personnages de l’histoire est tout autre", raconte
Laura-Maï Gaveriaux, reporter indépendante et chercheuse en philosophie, qui se trouve, depuis plusieurs jours, à Mossoul, au plus près des combats. Reportage.
La guerre c'est surtout l'attente
6h du matin. Un fin liseré de lumière découpe l’horizon au dessus de Mossoul. Un bruit de missile MILAN s’écrase dans le silence nocturne où, peut-être, la centaine de soldats qui campe entre deux tranchées avait pu trouver le sommeil l’espace de quelques heures. La journée commence sur le front de Bashiqah, à moins de 10 km de Mossoul, sur l’axe nord-est de la grande offensive annoncée le 17 octobre par le Premier Ministre irakien Haïder al Abadi.
De l’annonce au terrain, la réalité est parfois méconnaissable. Dans l’effervescence médiatique qui a suivi le déclenchement officiel de l’offensive, on a pu laisser penser que la libération de Mossoul serait une marche glorieuse et ininterrompue vers un avenir meilleur. Mais la guerre, c’est surtout de l’attente.
Au sol, les Peshmergas poussent les lignes ennemies à petits pas
Le capitaine Mohammed Dusky, un peshmerga du PDK (Parti Démocratique du Kurdistan, le parti au pouvoir au Kurdistan irakien), passe d’un groupe à l’autre, motive les troupes, donne les dernières nouvelles. C’est lui qui dirige cette zone du front de Bashiqah, faisant face au village de Ohmar Khamsi. Cela fait vingt quatre heures que ses hommes sont immobilisés au camp de base, attendant l’ordre de lancer l’assaut. La nuit n’a pas été trop froide, dans les sacs de couchage au pied des tanks stationnés là. Dans la poussière et les fumées toxiques du pétrole que fait brûler Daech pour gêner les avions de la Coalition, les peshmergas s’impatientent. Alors ils tirent sur tout ce qui passe au dessus de leur tête, y compris les drones de leur propre camp.
C’est que pour eux, engagés sur le terrain depuis des mois, rien n’a fondamentalement changé. Vingt jours au combat, dix de permission, de longues journées à attendre les ordres. Et parfois, quelques poussées entre les villages de la plaine de Ninive, devenue un vaste champ de bataille où s’écrasent les mortiers et débris des roquettes artisanales chargées de gaz nocif. Hormis la poussée le long de l’axe du Tigre et la prise des villes chrétiennes de Karakoch et Bartella, la bataille ultime annoncée depuis un an peine à trouver son rythme. Même si ce n’est pas exactement ce que reflètent les médias locaux et leurs clips épiques racontant la guerre en continu.
Une résistance déterminée de la part des djihadistes assiégés
En surplomb de la zone, où se trouvait l’ancienne ligne de front, le General Harem Kamal Agha dirige une autre unité, des peshmergas de l’UPK (Union Patriotique Kurdistan, parti d’opposition au Kurdistan irakien), l’unité des Forces 70. En ce matin d'octobre, ses troupes partent à l’assaut du village de Fadiliyah, dernière étape sur la route de Bashiqah. Le Général Agha se tient debout sur la colline, suit la progression de ses hommes à la jumelle, et dirige les opérations. Elles sont plus ardues que prévu: au cours de la matinée, deux voitures piégées ont déjà causé des pertes côté peshmergas .
En une heure, le ciel se voile d’un épais nuage sombre, l’odeur âcre du pétrole brûlé envahit l’atmosphère et les picks up, plein phare, n’éclairent plus rien à 100 mètres. Il faut interrompre l’opération.
Ce sera le rythme de la journée: une succession de départs, de ralentissements, alternance de tirs de douchka en appui des troupes en premières lignes, et de mortiers qui déchirent le ciel. Hormis les rafales d’armes, la scène est calme. Il n’y a rien de plus silencieux que la guerre, c’est ce qui la rend angoissante.
La crise humanitaire à venir
Au camp de Debagah, l’un des principaux points de chute des déplacés dans la région de Makhmur, sur l’axe sud de Mossoul, les équipes du HCR (le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) se préparent à gérer la crise à venir. Pour le moment, les capacités d’accueil sont exploitées à leur maximum, mais le camp n’est pas saturé, la majorité des arrivées récentes s’étant faite avant le début officiel de la bataille. Et de nouvelles tentes sont construites à flux tendu. Si le rythme ne s’emballe pas, ce que l’on nomme la "Mosul response" dans le jargon des ONG (organisations non gouvernementales), devrait se déployer sans accrocs. Mais les flux n’ont pas encore vraiment commencé, et dans l’humanitaire, rien ne se passe jamais comme prévu.
"Tel qu’on le voit aujourd’hui, le camp est organisé, ça fonctionne, c’est propre… il y a quelques mois, au moment de la poussée des forces irakiennes sur Qayyarah, on a dû gérer des arrivées massives en très peu de temps" explique Leyla Nugmanova, un cadre responsable de la protection des populations pour l’ensemble des camps de la région. "Debagah était chaotique, car nous manquions de terres pour étendre l’espace disponible. Alors qu’en ce moment nous avons même le temps de construire une nouvelle école, c’est dire le travail qui a été fait! Mais on sait que ça n’est qu’un court répit avant la prochaine urgence. On s’y prépare".
"Celui qui va au devant de la mort"
En haut de la colline de Bashiqa, dans la base des Forces 70, les peshmergas aussi attendent. Parmi eux, Aras , un soldat de 24 ans, qui sait devoir descendre à l’assaut le lendemain. Quelques heures plus tôt son oncle, intégré dans la même unité, mourrait touché par l’explosion d’une voiture kamikaze lancée à toute allure contre son groupe en patrouille. A cette heure de l’après midi, le jeune peshmerga ne le sait pas encore. Entre deux cigarettes, il se confie: "Je sais que je vais mourir. Et je ne vois pas bien quels projets je pourrais faire, sachant que cette guerre ne va pas s’arrêter de sitôt… probablement que nous serons encore en train de nous battre dans deux ans. J’aurais croisé tant d’occasions de mourir, qu’à part faire la guerre, ma vie n’aura rien été d’autre".
Le jeune homme a l’allure de tous les garçons de vingt ans, sweat-shirt à capuche, baskets Nike, mèche stylisée… la kalachnikov en plus. Son regard se fait d’un coup plus sombre, et fondamentalement plus triste: "L’année dernière j’ai déjà été blessé deux fois, à cause de voitures piégées. Elles sortent de nulle part et foncent sur nous. J’ai passé de sales moments, des nuits très sombres. Depuis je pense tout le temps à la mort. Je vais mourir pour quelque chose de plus grand que moi, mon pays, mes valeurs, je suis prêt. J’ai peur, mais la mort, je l’attends". Le terme même de "peshmergas" signifie "celui qui va au devant de la mort", en kurde.
Alors que la bataille de Mossoul va entrer dans sa troisième semaine, que les médias et les réseaux sociaux bruissent de nouvelles en direct et au kilomètre près, la réalité du quotidien des personnages de l’histoire est tout autre
Qu’ils soient soldats, personnels humanitaires, civils, journalistes, tous sont pris dans une temporalité paradoxale, mêlée d’urgence, de fatigue, et surtout d’attente. Quand on sait que le pire est à venir, mais que l’on est déjà conscient de vivre au cœur de la guerre, on voit finir le jour avec soulagement. Jusqu’au suivant.
"Alors que la bataille de Mossoul va entrer dans sa troisième semaine, que les médias et les réseaux sociaux bruissent de nouvelles en direct et au kilomètre près, la réalité du quotidien des personnages de l’histoire est tout autre", raconte
Laura-Maï Gaveriaux, reporter indépendante et chercheuse en philosophie, qui se trouve, depuis plusieurs jours, à Mossoul, au plus près des combats. Reportage.
La guerre c'est surtout l'attente
6h du matin. Un fin liseré de lumière découpe l’horizon au dessus de Mossoul. Un bruit de missile MILAN s’écrase dans le silence nocturne où, peut-être, la centaine de soldats qui campe entre deux tranchées avait pu trouver le sommeil l’espace de quelques heures. La journée commence sur le front de Bashiqah, à moins de 10 km de Mossoul, sur l’axe nord-est de la grande offensive annoncée le 17 octobre par le Premier Ministre irakien Haïder al Abadi.
De l’annonce au terrain, la réalité est parfois méconnaissable. Dans l’effervescence médiatique qui a suivi le déclenchement officiel de l’offensive, on a pu laisser penser que la libération de Mossoul serait une marche glorieuse et ininterrompue vers un avenir meilleur. Mais la guerre, c’est surtout de l’attente.
Au sol, les Peshmergas poussent les lignes ennemies à petits pas
Le capitaine Mohammed Dusky, un peshmerga du PDK (Parti Démocratique du Kurdistan, le parti au pouvoir au Kurdistan irakien), passe d’un groupe à l’autre, motive les troupes, donne les dernières nouvelles. C’est lui qui dirige cette zone du front de Bashiqah, faisant face au village de Ohmar Khamsi. Cela fait vingt quatre heures que ses hommes sont immobilisés au camp de base, attendant l’ordre de lancer l’assaut. La nuit n’a pas été trop froide, dans les sacs de couchage au pied des tanks stationnés là. Dans la poussière et les fumées toxiques du pétrole que fait brûler Daech pour gêner les avions de la Coalition, les peshmergas s’impatientent. Alors ils tirent sur tout ce qui passe au dessus de leur tête, y compris les drones de leur propre camp.
C’est que pour eux, engagés sur le terrain depuis des mois, rien n’a fondamentalement changé. Vingt jours au combat, dix de permission, de longues journées à attendre les ordres. Et parfois, quelques poussées entre les villages de la plaine de Ninive, devenue un vaste champ de bataille où s’écrasent les mortiers et débris des roquettes artisanales chargées de gaz nocif. Hormis la poussée le long de l’axe du Tigre et la prise des villes chrétiennes de Karakoch et Bartella, la bataille ultime annoncée depuis un an peine à trouver son rythme. Même si ce n’est pas exactement ce que reflètent les médias locaux et leurs clips épiques racontant la guerre en continu.
Une résistance déterminée de la part des djihadistes assiégés
En surplomb de la zone, où se trouvait l’ancienne ligne de front, le General Harem Kamal Agha dirige une autre unité, des peshmergas de l’UPK (Union Patriotique Kurdistan, parti d’opposition au Kurdistan irakien), l’unité des Forces 70. En ce matin d'octobre, ses troupes partent à l’assaut du village de Fadiliyah, dernière étape sur la route de Bashiqah. Le Général Agha se tient debout sur la colline, suit la progression de ses hommes à la jumelle, et dirige les opérations. Elles sont plus ardues que prévu: au cours de la matinée, deux voitures piégées ont déjà causé des pertes côté peshmergas .
En une heure, le ciel se voile d’un épais nuage sombre, l’odeur âcre du pétrole brûlé envahit l’atmosphère et les picks up, plein phare, n’éclairent plus rien à 100 mètres. Il faut interrompre l’opération.
Ce sera le rythme de la journée: une succession de départs, de ralentissements, alternance de tirs de douchka en appui des troupes en premières lignes, et de mortiers qui déchirent le ciel. Hormis les rafales d’armes, la scène est calme. Il n’y a rien de plus silencieux que la guerre, c’est ce qui la rend angoissante.
La crise humanitaire à venir
Au camp de Debagah, l’un des principaux points de chute des déplacés dans la région de Makhmur, sur l’axe sud de Mossoul, les équipes du HCR (le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) se préparent à gérer la crise à venir. Pour le moment, les capacités d’accueil sont exploitées à leur maximum, mais le camp n’est pas saturé, la majorité des arrivées récentes s’étant faite avant le début officiel de la bataille. Et de nouvelles tentes sont construites à flux tendu. Si le rythme ne s’emballe pas, ce que l’on nomme la "Mosul response" dans le jargon des ONG (organisations non gouvernementales), devrait se déployer sans accrocs. Mais les flux n’ont pas encore vraiment commencé, et dans l’humanitaire, rien ne se passe jamais comme prévu.
"Tel qu’on le voit aujourd’hui, le camp est organisé, ça fonctionne, c’est propre… il y a quelques mois, au moment de la poussée des forces irakiennes sur Qayyarah, on a dû gérer des arrivées massives en très peu de temps" explique Leyla Nugmanova, un cadre responsable de la protection des populations pour l’ensemble des camps de la région. "Debagah était chaotique, car nous manquions de terres pour étendre l’espace disponible. Alors qu’en ce moment nous avons même le temps de construire une nouvelle école, c’est dire le travail qui a été fait! Mais on sait que ça n’est qu’un court répit avant la prochaine urgence. On s’y prépare".
"Celui qui va au devant de la mort"
En haut de la colline de Bashiqa, dans la base des Forces 70, les peshmergas aussi attendent. Parmi eux, Aras , un soldat de 24 ans, qui sait devoir descendre à l’assaut le lendemain. Quelques heures plus tôt son oncle, intégré dans la même unité, mourrait touché par l’explosion d’une voiture kamikaze lancée à toute allure contre son groupe en patrouille. A cette heure de l’après midi, le jeune peshmerga ne le sait pas encore. Entre deux cigarettes, il se confie: "Je sais que je vais mourir. Et je ne vois pas bien quels projets je pourrais faire, sachant que cette guerre ne va pas s’arrêter de sitôt… probablement que nous serons encore en train de nous battre dans deux ans. J’aurais croisé tant d’occasions de mourir, qu’à part faire la guerre, ma vie n’aura rien été d’autre".
Le jeune homme a l’allure de tous les garçons de vingt ans, sweat-shirt à capuche, baskets Nike, mèche stylisée… la kalachnikov en plus. Son regard se fait d’un coup plus sombre, et fondamentalement plus triste: "L’année dernière j’ai déjà été blessé deux fois, à cause de voitures piégées. Elles sortent de nulle part et foncent sur nous. J’ai passé de sales moments, des nuits très sombres. Depuis je pense tout le temps à la mort. Je vais mourir pour quelque chose de plus grand que moi, mon pays, mes valeurs, je suis prêt. J’ai peur, mais la mort, je l’attends". Le terme même de "peshmergas" signifie "celui qui va au devant de la mort", en kurde.
Alors que la bataille de Mossoul va entrer dans sa troisième semaine, que les médias et les réseaux sociaux bruissent de nouvelles en direct et au kilomètre près, la réalité du quotidien des personnages de l’histoire est tout autre
Qu’ils soient soldats, personnels humanitaires, civils, journalistes, tous sont pris dans une temporalité paradoxale, mêlée d’urgence, de fatigue, et surtout d’attente. Quand on sait que le pire est à venir, mais que l’on est déjà conscient de vivre au cœur de la guerre, on voit finir le jour avec soulagement. Jusqu’au suivant.
L'auteur de cet article, Laura-Maï Gaveriaux est reporter indépendante et chercheuse en philosophie. Elle collabore avec le HuffPost Tunisie.
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