CONGRÈS D'ENNAHDHA - A la veille de son congrès qui se tiendra les 20, 21 et 22 mai, le parti Ennahdha est sous la loupe des observateurs. Cinq ans d'activisme public et des décennies de travail souterrain. Le parti représente toujours autant d'intérêts pour les uns et d'appréhensions pour les autres.
Des décennies jalonnées par des alliances naturelles et scélérates, de drames commis ou de drames subis, d'habilité politique ou d'ambivalences, d'ambiguïtés et de double discours, d'évolution ou de revirements, à chacun sa lecture.
On note, toutefois, une certaine constance, parfois voilée mais ancrée. Constance non seulement au niveau des figures emblématiques du parti - qui sont pratiquement les mêmes - mais surtout au niveau de sa doctrine.
Qui est Ennahdha?
De simple association de prédication (1971) à mouvement de la tendance islamique (1981) pour enfin devenir Ennahdha (1989) et ce afin de se conformer à la loi de 1989 interdisant la création de partis à caractère religieux. Ses revendications au départ étaient d’instaurer une société et un Etat gouvernés par la charia. Pour y parvenir, ils multiplient les actions: des cours dans les mosquées vacillant entre le style direct ou indirect, la propagande écrite avec affiches, grafittis, organes de presse comme "al-ma’rifa" et "al-mujtama", un parcours émaillé toutefois par la violence, notamment dans les universités, relève Yadh Ben Achour: dans une étude intitulée"Islam perdu, islam retrouvé".
Après le 14 janvier 2011, les dirigeants du parti multiplient encore les déclarations, tendant à endiguer les craintes de certains quant à une islamisation de l'Etat, comparant leur idéologie à celle du Parti pour la justice et le développement turc ou encore aux partis de référence chrétienne en Italie et en Allemagne. Récemment, ils annoncent leur projet de dissocier l'activisme politique ou de l'activité de prédication conformément à aux lois tunisiennes.
Dotée d'un réseau de militants solide et discipliné, Ennahdha gagne les élections de la Constituante de 2011.
Aux élections législatives de 2014, Ennahdha perd sa place de premier parti du pays au profit de Nidaa Tounes. Toutefois, elle intègre le gouvernement de coalition formé par Habib Essid et ce "dans l'intérêt du pays", a affirmé Rached Ghannouchi dans "Le Monde".
Une doctrine figée?
Afin de mesurer l'éventuelle évolution du parti, les déclarations et écrits de Rached Ghannouchi (qui ne sont certes pas représentatives de tout le parti) sont utiles.
Dans une interview accordée au journal français "Le Monde", le leader d' Ennadha, Rached Ghannouchi définit son parti comme "un parti politique, démocratique et civil qui a un référentiel de valeurs en relation avec la civilisation musulmane et moderne". Il annonce que l'un des sujets de discussion lors du prochain congrès sera le rapport entre politique et religion au sein du parti. Un débat qu'il semble lui-même trancher en avançant que l'islam politique "a perdu sa justification".
Il s'agit d'un grand écart fracassant comparé à ce qu'écrivait même Rached Ghannouchi, il y a quelques années, dans son ouvrage "La modération chez Youssef Qaradhawi", leader des Frères musulmans, où il y cite abondamment Mawdoudi, Al-Banna, Qotb, Tourabi, idéologues de l'islam politique comme des références idéologiques.
Quelle évolution?
Dans l'interview du "Monde" Rached Ghannouchi estime que le débat concernant l’égalité entre les hommes et les femmes est clos avec la promulgation de la Constitution de 2014: "La plupart des Tunisiens, et même au sein de l’élite, considèrent que c’est un faux problème pour faire diversion".
Il a également déploré la participation limitée des femmes à la vie publique, alors qu'il avait auparavant pesté contre les réformes du président Habib Bourguiba lors notamment de la promulgation du Code du Statut Personnel.
"Le Code du Statut Personnel n’a pas pour but de redresser la situation de la femme, mais une révolution tous azimuts contre la société archaïque. Il s’ensuivit une vague d’attaques contre la religion et ses hommes et un appel au déchaînement fiévreux et destructeur qui a failli abolir toute morale et toute religiosité", avait-il estimé dans son livre "La femme entre le Coran et vécu des musulmans".
Il y fustige l’interdiction de la polygamie: "En cas de guerre, où il y aura une perte de nombreux hommes, que faire pour prévenir l’effondrement de l’ordre social, dû au surplus de femmes? Les tuer, les envoyer dans les églises (inexistantes en terre d’Islam) ou leur laisser le choix entre un éternel célibat, les privant de la jouissance de la maternité et de la vie conjugale, partagée même avec une autre? Si la majorité préfèrerait le deuxième choix, choisissant le moins pire, de quel droit intervient le législateur pour leur refuser ce choix libre, qui satisfait les besoins de l’instinct et protège l’ordre social?"
Pour lui, le régime bourguibien a voulu se targuer de son interdiction de la polygamie, alors "qu’il n’a fait que rendre le licite ("halel") illicite ("haram"), encourageant ainsi la légèreté des mœurs, l’exploitation du corps de la femme pour la publicité, permettant les relations hors mariage ("zina") en facilitant l’accès aux moyens contraceptifs et à l’avortement."
Jusqu'à aujourd'hui Rached Ghannouchi n'a jamais renié ses ouvrages. Il fait même partie de l'Union internationale des savants musulmans avec Youssef Qaradawi.
Si le parti a enterré officiellement son voeu d'un Etat gouverné par la charia islamique lors de la promulgation de la Constitution et approuvé les dispositions tendant vers l'égalité homme/femme, il reste cloué sur certains sujets de société, notamment en ce qui concerne la dépénalisation de l'homosexualité ou encore l'égalité dans héritage. Et ce malgré une Constitution qui garantit l'égalité de tous et les libertés individuelles mais qui ébranle donc, à certains égards, les vieilles, sempiternelles aspirations d'Ennahdha.
Des décennies jalonnées par des alliances naturelles et scélérates, de drames commis ou de drames subis, d'habilité politique ou d'ambivalences, d'ambiguïtés et de double discours, d'évolution ou de revirements, à chacun sa lecture.
On note, toutefois, une certaine constance, parfois voilée mais ancrée. Constance non seulement au niveau des figures emblématiques du parti - qui sont pratiquement les mêmes - mais surtout au niveau de sa doctrine.
Qui est Ennahdha?
De simple association de prédication (1971) à mouvement de la tendance islamique (1981) pour enfin devenir Ennahdha (1989) et ce afin de se conformer à la loi de 1989 interdisant la création de partis à caractère religieux. Ses revendications au départ étaient d’instaurer une société et un Etat gouvernés par la charia. Pour y parvenir, ils multiplient les actions: des cours dans les mosquées vacillant entre le style direct ou indirect, la propagande écrite avec affiches, grafittis, organes de presse comme "al-ma’rifa" et "al-mujtama", un parcours émaillé toutefois par la violence, notamment dans les universités, relève Yadh Ben Achour: dans une étude intitulée"Islam perdu, islam retrouvé".
Après le 14 janvier 2011, les dirigeants du parti multiplient encore les déclarations, tendant à endiguer les craintes de certains quant à une islamisation de l'Etat, comparant leur idéologie à celle du Parti pour la justice et le développement turc ou encore aux partis de référence chrétienne en Italie et en Allemagne. Récemment, ils annoncent leur projet de dissocier l'activisme politique ou de l'activité de prédication conformément à aux lois tunisiennes.
Dotée d'un réseau de militants solide et discipliné, Ennahdha gagne les élections de la Constituante de 2011.
Aux élections législatives de 2014, Ennahdha perd sa place de premier parti du pays au profit de Nidaa Tounes. Toutefois, elle intègre le gouvernement de coalition formé par Habib Essid et ce "dans l'intérêt du pays", a affirmé Rached Ghannouchi dans "Le Monde".
Une doctrine figée?
Afin de mesurer l'éventuelle évolution du parti, les déclarations et écrits de Rached Ghannouchi (qui ne sont certes pas représentatives de tout le parti) sont utiles.
Dans une interview accordée au journal français "Le Monde", le leader d' Ennadha, Rached Ghannouchi définit son parti comme "un parti politique, démocratique et civil qui a un référentiel de valeurs en relation avec la civilisation musulmane et moderne". Il annonce que l'un des sujets de discussion lors du prochain congrès sera le rapport entre politique et religion au sein du parti. Un débat qu'il semble lui-même trancher en avançant que l'islam politique "a perdu sa justification".
"Nous voulons qu’un imam ne soit ni dirigeant, ni même membre, à terme, d’aucun parti", a-t-il confié.
Il s'agit d'un grand écart fracassant comparé à ce qu'écrivait même Rached Ghannouchi, il y a quelques années, dans son ouvrage "La modération chez Youssef Qaradhawi", leader des Frères musulmans, où il y cite abondamment Mawdoudi, Al-Banna, Qotb, Tourabi, idéologues de l'islam politique comme des références idéologiques.
Ce même Qotb qui déclarait que "l’islam englobe chaque aspect de l’âme humaine parce qu’il est révélé pour chaque personne individuelle vivant sur cette terre, sans considération pour sa race, sa couleur, sa langue, son lieu, son environnement, les circonstances géographiques ou historiques, l’héritage culturel et intellectuel (…); l’islam englobe et réalise tous les besoins de la vie, passé et future…, que ces besoins soient spirituels, matériels, politiques, économiques, sociaux, moraux, intellectuels ou esthétiques(…). Les prétendues sociétés musulmanes d’aujourd’hui sont retombées dans l’état de jahiliyya où elles se trouvaient avant la Révélation (…) Ainsi l’histoire, loin d’être un sens et un processus d’avènement d’une modernité, n’est qu’une parenthèse, une perdition, qui sera annulée par l’avènement d’une nouvelle société islamique". (Qotb cité par Olivier Roy: L'échec de l'islam politique).
Quelle évolution?
Dans l'interview du "Monde" Rached Ghannouchi estime que le débat concernant l’égalité entre les hommes et les femmes est clos avec la promulgation de la Constitution de 2014: "La plupart des Tunisiens, et même au sein de l’élite, considèrent que c’est un faux problème pour faire diversion".
Il a également déploré la participation limitée des femmes à la vie publique, alors qu'il avait auparavant pesté contre les réformes du président Habib Bourguiba lors notamment de la promulgation du Code du Statut Personnel.
"Le Code du Statut Personnel n’a pas pour but de redresser la situation de la femme, mais une révolution tous azimuts contre la société archaïque. Il s’ensuivit une vague d’attaques contre la religion et ses hommes et un appel au déchaînement fiévreux et destructeur qui a failli abolir toute morale et toute religiosité", avait-il estimé dans son livre "La femme entre le Coran et vécu des musulmans".
Il y fustige l’interdiction de la polygamie: "En cas de guerre, où il y aura une perte de nombreux hommes, que faire pour prévenir l’effondrement de l’ordre social, dû au surplus de femmes? Les tuer, les envoyer dans les églises (inexistantes en terre d’Islam) ou leur laisser le choix entre un éternel célibat, les privant de la jouissance de la maternité et de la vie conjugale, partagée même avec une autre? Si la majorité préfèrerait le deuxième choix, choisissant le moins pire, de quel droit intervient le législateur pour leur refuser ce choix libre, qui satisfait les besoins de l’instinct et protège l’ordre social?"
Pour lui, le régime bourguibien a voulu se targuer de son interdiction de la polygamie, alors "qu’il n’a fait que rendre le licite ("halel") illicite ("haram"), encourageant ainsi la légèreté des mœurs, l’exploitation du corps de la femme pour la publicité, permettant les relations hors mariage ("zina") en facilitant l’accès aux moyens contraceptifs et à l’avortement."
Jusqu'à aujourd'hui Rached Ghannouchi n'a jamais renié ses ouvrages. Il fait même partie de l'Union internationale des savants musulmans avec Youssef Qaradawi.
Si le parti a enterré officiellement son voeu d'un Etat gouverné par la charia islamique lors de la promulgation de la Constitution et approuvé les dispositions tendant vers l'égalité homme/femme, il reste cloué sur certains sujets de société, notamment en ce qui concerne la dépénalisation de l'homosexualité ou encore l'égalité dans héritage. Et ce malgré une Constitution qui garantit l'égalité de tous et les libertés individuelles mais qui ébranle donc, à certains égards, les vieilles, sempiternelles aspirations d'Ennahdha.
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