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Tunisie: Entretien avec Ahmed Manai, ancien militant d'Ennahdha qui dresse un bilan du parti (INTERVIEW)

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INTERVIEW- Ahmed Manaï, 74 ans, avait oeuvré pour la légalisation du Mouvement de la tendance islamique (MTI) dans les années 1980. Sa rupture avec son chef a lieu en 2006. Il a été opposant à Ben Ali et un des plus fervents défenseurs des droits de l'Homme.

Il dresse au HuffPost Tunisie un bilan de Ennahdha, cinq ans après sa sortie de la clandestinité.

HuffPost Tunisie: Que pensez-vous de l'annonce du parti Ennahdha concernant la séparation entre l'activité politique et l'activité de prédication? Est-ce un aveu que le parti associait avant les deux, comme l'accusent certains?

Ahmed Manai: A ma connaissance, la première fois que ce problème a été posé au sein d'Ennahdha, il l'a été par feu Salah Karkar, cofondateur du MTI (Mouvement de la tendance islamique), au début des années 2000. Il l'a fait à la suite d'une véritable remise en cause des choix antérieurs de son mouvement, notamment ses aventures conspirationnistes et putschistes en engageant un véritable débat interne avec ses amis sur les causes profondes de la crise qui secouait son parti. Après mûre réflexion, il a préconisé une véritable sécularisation du parti.

Cette tentative a échoué, et son auteur a été marginalisé, parce que la direction de son parti ne voulait pas d'un débat de fond sur les relations islam/politique qui risquerait de les priver de leur véritable fonds de commerce.

Il faudrait comprendre que la prédication religieuse dans les mosquées ou ailleurs, n'est pas une fin en soi pour Ennahdha. Elle vise moins à former, enseigner, éduquer et diffuser des valeurs et des principes islamiques, qu'à faciliter le recrutement d'adeptes de leur propre religion. Ennahdha, branche tunisienne des Frères musulmans, est une religion dans la religion, un islam dans l'islam.


Dans les années 1970, ils ont excommunié l'ensemble de la société tunisienne, tous les partis politiques, et notamment les destouriens. Même le croyant qui faisait ses prières à leurs côtés mais n'appartenait pas à leur Jamaâ, était considéré comme un musulman de second ordre. Dans les familles, les jeunes taxaient leurs parents d'apostats pour les motifs les plus futiles. C'était le "temps de la jeunesse" que Ghannouchi évoquait récemment à propos de sa proximité avec les salafistes. C'était Elfarqa ennajia, élue par Dieu, et destinée à peupler le paradis.

Quelles seraient les conséquences de cette éventuelle séparation?

A la longue, cette séparation entre l'activité de prédication et l'activité politique pourrait être effective, d'autant plus qu'au cours des cinq dernières années, Ennahdha a investi toutes les institutions religieuses officielles : la Zeitouna et l'ensemble des organismes de formation et d'enseignement religieux (le Haut comité islamique, etc.).

Certains évoquent 'la tunisfication" du parti, est-elle réelle à votre avis?

En 1991, j'ai fait la connaissance de deux dirigeants d'Ennahdha en exil, dont un est actuellement ministre, et la première question que je leur aurait posée c'était "quel rapport a votre mouvement avec la Tunisie? " A l'époque, et pendant longtemps, Ennahdha m'a semblé être une organisation idéologique extraterritoriale déconnectée de la réalité tunisienne, mais aussi de l'histoire et de la culture du pays.

Ses dirigeants sont bien sûr de nationalité tunisienne, même si nombre d'entre eux ont la double et même la triple nationalité ; mais ils étaient plus préoccupés par le devenir de l'islam que celui des musulmans, et du monde musulman que de la Tunisie. Leur tunisification ne sera pas très difficile, non point parce que les dirigeants auraient changé - on se souvient que certains de leurs députés et ministres ont refusé de se mettre debout à l'entonnement de l'hymne national - mais parce que leur base s'est élargie à de vastes couches populaires, plus ancrées dans la réalité et moins perméables à l'idéologie.


Constatez-vous une évolution idéologique au sein du parti sur des sujets de société?


Oui absolument. Je crois qu'à ce niveau, Ennahdha ne sera pas trop différente du RCD, avec sûrement plus d'opportunisme. Les nahdaouis sont déjà très compréhensifs par rapport à l'homosexualité, et à la consommation du cannabis, et avec le temps ils seront favorables à l'égalité de l'héritage entre les deux sexes, pour peu que cela les serve dans les élections.


On évoque également les divergences entre les positions officielles du parti et la base, existent-elles vraiment ? Et quelles en sont les conséquences?

En 1988, lors du changement du MTI à Ennahdha, la direction du parti avait demandé à ses membres de choisir l'un des quatre ou cinq noms proposés. Très peu de gens connaissent le résultat de ce référendum interne ; mais c'est le nom d'Ennahdha suggéré par Ben Ali qui a été adopté en définitive.

Il ne faut pas exagérer les divergences entre la direction et la base, ni entre les courants qui traversent ce parti. Il y a des divergences partout dans tous les partis de masse, il ne faut pas oublier une chose : Ennahdha est une structure pyramidale, où tout procède d'en haut, c'est à dire du Cheikh.



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