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Lettre d'une Tunisienne à son bébé qui ne naîtra pas, tiraillée entre l'ordre naturel et l'ordre social

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Si près de mille enfants sont nés hors du cadre du mariage en Tunisie en 2015, 15 milles autres ont été avortés, selon l'office national de la famille et de la population. Parmi eux, des bébés conçus hors mariage.

Ces femmes ont choisi de mettre un terme à leurs grossesses, souvent à contre-cœur comme en témoignent beaucoup d'entre-elles.

Un choix dicté par des impératifs pesants. L'avortement n'est ni un acte anodin, ni facile pour la mère. Le HuffPost Tunisie a recueilli le témoignage d'une jeune femme qui livre, sous couvert d'anonymat, ses tourments en forme de lettre à son bébé qui ne naîtra pas.

"Je te demande pardon, pardon de ne t'avoir pas accueilli joyeusement.
L'image de toi dans mes bras me turlupine, me fait autant plaisir que chagriner, car ça ne sera pas une réalité, juste un songe d'éclair irréalisable, qui me poursuivra à jamais.

Pardon de ne pas te laisser bercer en moi, car je te sens déjà, niché en moi, dans mes entrailles, paisible.
Pardon je vais te bousculer, te faire sortir de mon corps mais pas de mon cœur, tu y seras à jamais, gravé dans ma chair et mon esprit.

Je me rappellerai toujours de toi. Je t'imagine déjà, ton sourire, ton visage, tu me ressembleras peut-être ou à ton père ou tes grands-parents, tu seras de toute façon mon petit, beau et mignon.

Il me faudrait beaucoup de courage, de force et de rébellion pour te garder, pardon je ne les ai pas.
Je suis faible, terrifiée, tiraillée. Je ne peux pas affronter ma famille, ma mère, elle sera au fond d'elle-même heureuse que tu sois parmi nous, mais elle aussi n'osera pas. Les us et coutumes sont aussi pesants qu'ils écrasent notre humanité.

Je n'ai pas pu braver la peur de perdre ma famille, de la chagriner, je t'ai sacrifié. Oui, avec la peur au ventre, une peur viscérale.
Tu la sens peut-être en moi. J'aurais aimé pouvoir la vaincre, me révolter contre l'ordre établi, les qu'en dira-t-on, les mœurs désuètes.

Dans le planning familial, la patiente célibataire est soumise à un interrogatoire préalable qui cerne, entre autres, ses pratiques sexuelles pour savoir si elles sont à risques, et afin de l'informer sur les méthodes contraceptives.

Je ne pourrai faire ceci à ma mère, lui faire endurer autant de peine. Je sacrifie ma maternité, nos liens maternels, pour préserver les miens avec ma mère. C'est absurde, n'est-ce pas? Ici, c'est comme ça, on a peu de marge, cerclés.

Ton père aussi est du même avis que ta grand-mère, il veut que les choses se fassent dans l'ordre, comme il faut. Il ne veut pas prendre de risques. Pourtant, il l'a pris en t'enfantant avec moi.

Pardonne-lui, il a peur aussi, il n'ose pas. Je ne peux l'obliger d'être plus courageux, de faire prévaloir l'ordre naturel à l'ordre social... mais il t'aime, je le sais, je l'espère parce que tu es le fruit d'un désir ardu, de notre union, de notre communion.

Tu es venu hors l'ordre du temps et de l'espace, dans une anarchie joyeuse, mais vite rattrapée par la réalité. La réalité est cruelle, sans pitié pour toi, ni moi dans un pays où tout doit se faire dans l'ordre, mais un ordre compliqué, qui ne te donne pas de place.

Si j'étais moi-même née ailleurs, je t'aurais sûrement accueilli, car sous d'autres cieux, tu serais le bienvenu, on ne m'accablera pas, ils nous laisseront vivre.

Il est à noter qu'il existe 21 centres dans les régions, appelés "centres amis des jeunes" pour sensibiliser les jeunes sur ces sujets.

Je te donnerai la mort au lieu de te donner la vie. Je m'en excuse. Entre l'appel du cœur et celui de la raison, je fais prévaloir la moins dommageable pour moi. C'est peut-être égoïste mais je ne peux te traîner dans la boue, je ne peux te faire endurer les contrecoups d'une révolte contre l'ordre établi.

Ils seront jonchés d'angoisses, nous nous en sortirons de la bataille vivants, mais épuisés.
Je ne peux te faire subir ceci. Pas à toi, tu es si fragile comme ta maman.

Pardon mon petit. Je pleure ta disparition, la disparition d'un bout de moi, d'un bout de chou. Je t'aime beaucoup, d'un amour immonde, infini, éternel comme ta présence dans ma mémoire. Là bas, tu y seras, bien vivant".


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