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Prévention de la radicalisation: Muriel Domenach propose des pistes pour lutter contre ce mal commun à la France et à la Tunisie

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Face au phénomène du retour des Tunisiens des zones de conflits et du débat qu'il suscite sur la scène médiatique en Tunisie, se pose une autre question sous-jacente: Comment faire pour éviter que ces personnes radicalisées, revenant des zones de conflits, n'attirent dans leurs filets d'autres personnes?

Présente en Tunisie dans le cadre d'une conférence qui aura lieu à l'Institut Français de Tunisie, lundi 06 février, sur le thème: "Prévention de la radicalisation, que peut faire l’Etat? L’exemple de la France", Muriel Domenach, Secrétaire Générale du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) revient pour le HuffPost Tunisie sur les moyens adoptés en France face à cette problématique, mais donne aussi quelques pistes qui peuvent être appliquées en Tunisie. Interview.

HuffPost Tunisie: Vous êtes Secrétaire Générale du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Tout d'abord, pourquoi ce choix de rattacher la délinquance à la radicalisation? Ont-elles des origines communes?

Muriel Domenach: Je suis arrivée cet été à la direction de cette structure, qui venait de voir ajouter formellement la radicalisation à sa compétence sur la délinquance. Dès 2014, le Comité Interministériel de la Prévention de la Délinquance qui fixait les orientations de la politique gouvernementale en matière de prévention de la délinquance et veillait à sa mise en œuvre s’était élargi à la radicalisation. Il est officiellement devenu CIPDR en mai dernier.

Ce rattachement relève du pragmatisme institutionnel selon moi, plus que d’un choix idéologique: le CIPD gère le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) qui vient en appui à l’action de structures sociales souvent associatives impliquées auprès des jeunes. Quand il a fallu développer une nouvelle politique publique, de prévention de la radicalisation qui serait opérée par les mêmes structures, le choix a été fait de ne pas développer un fonds et une structure administrative parallèles.

Cela fait bientôt 7 mois que vous êtes à la tête du CIPDR, Quel état des lieux faites-vous de la prévention de la radicalisation en France?

La France a été en Europe la première visée, avec des attaques sanglantes répétées. Elle a su développer une nouvelle politique publique contre la radicalisation en très peu de temps, avec un volet répressif bien sûr, et un volet préventif. Le volet préventif partait de rien. Il a été conçu et mis en place en très peu de temps, à partir d’avril 2014, en s’appuyant sur la densité du réseau des préfectures (représentations de l’Etat) et du tissu associatif dans les territoires. Il y a eu une phase de mise en place de cette politique, et nous sommes aujourd’hui dans la phase de structuration.

Après une phase d’état de sidération suite aux premiers attentats sur le territoire national et à la découverte du phénomène nouveau et complexe qu’est la radicalisation, les acteurs sociaux classiques se sont mis en route. Les médias relayent beaucoup les polémiques sur le travail de telle ou telle structure ad hoc. Mais la réalité est que l’essentiel de la prise en charge aujourd’hui est assuré par des acteurs sociaux classiques (éducateurs de rue, maisons des ados, missions locales, établissements médicaux etc). La prise en charge ne cesse d’augmenter: elle concerne désormais 2400 personnes et 1000 familles, alors qu’en mai 2016 nous comptabilisions 1600 personnes et 800 familles. Je m’efforce de mobiliser les grands réseaux de travailleurs sociaux pour amplifier et professionnaliser, évaluer aussi cette prise en charge, conformément à la feuille de route qui m’a été confiée.

Nous avons également développé un programme expérimental de réinsertion et de citoyenneté, avec l’ouverture d’un premier centre avec hébergement et coupure du milieu familial, et une prise en charge pluridisciplinaire.

En France, comme dans de nombreux pays par ailleurs, le travail de prévention se fait surtout à travers un travail de terrain, presque de quartiers, centré sur le travail d'acteurs locaux. Comment et à quoi la France forme-t-elle ces acteurs locaux? Et cela ne dénote-t-il pas que finalement l'État central a perdu son aura et sa maîtrise de ce phénomène?

Je le dis clairement, la prévention de la radicalisation n’est pas une politique "jacobine" conçue et opérée par l’Etat. C’est un partenariat entre l’Etat, les collectivités locales et la société civile. Son succès repose sur la mobilisation de tous.

De même, le contre discours d’Etat est indispensable. Le service d’information du Gouvernement a récemment dynamisé sa marque "stop djihadisme" avec la campagne "toujours le choix" qui a touché un très large public. Ce contre discours est nécessaire mais pas suffisant, nous le savons bien. Nous encourageons donc la société civile, artistes, humoristes, intellectuels, internautes, à se mobiliser, y compris les musulmans qui ont évidemment une contribution clé à apporter au contre discours.

Si le travail de terrain mené par les acteurs locaux est primordial, quel rôle l'État central joue-t-il concrètement dans ce processus?

Le Secrétariat Général du CIPDR que je dirige pilote l’action de formation, de ses agents mais aussi des agents des collectivités locales et des intervenants sociaux.

20.000 personnes ont déjà été formées, Nos sessions de formation, mises en place dès 2014, sont articulées autour de huit modules: le processus de radicalisation, le phénomène sectaire, la protection de l’enfance, les filières terroristes, les concepts clés de l’islam, le cadre juridique du plan national, l’histoire et la géopolitique du djihad, la réponse publique.

Le Secrétariat Général du CIPDR encourage la mobilisation au niveau local par les représentants de l’Etat, les préfets, qui animent des cellules de prévention et d’accompagnement des familles. Ces cellules assurent la prise en charge éducative, sociale, psychologique des jeunes radicalisés. Il en existe aujourd’hui dans tous les départements. Elles sont la cheville ouvrière de notre dispositif dans un partenariat entre services de l’Etat et travailleurs sociaux qui développent face à la radicalisation une véritable culture de travail commune.

La Tunisie traverse aujourd'hui une période charnière avec le retour de nombreux Tunisiens de zones de conflits. Une coopération avec les autorités tunisiennes en matière de prévention de radicalisation a-t-elle été envisagée? Comment la France peut-elle aider la Tunisie à développer un plan de prévention de la radicalisation?

Les Français ont ressenti douloureusement les attentats en Tunisie et la France s’est montrée solidaire. Nous saluons la détermination du gouvernement tunisien pour faire face à la menace terroriste et la Tunisie peut être assurée de notre soutien.

Je sais que le gouvernement, les députés et la société civile tunisienne travaillent de plus en plus sur la thématique de la radicalisation. Le gouvernement tunisien a adopté récemment une stratégie de lutte contre le terrorisme, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux a créé un centre de recherches et d’études sur le terrorisme, et l’Assemblée des Représentants du Peuple vient de voter la création d’une commission d’enquête sur les réseaux d’embrigadement et d’envoi des jeunes Tunisiens dans les zones de conflit.

Je sais combien c’est difficile. Nul n’a de baguette magique, ni la France ni quiconque. Je suis là pour un échange d’expériences, voir comment nous pouvons mieux partager nos idées et nous aider mutuellement car nous sommes confrontés aux mêmes défis. Savoir ce que la France peut apporter, c’est donc une question que je vais d’abord poser à mes interlocuteurs tunisiens, au sein du gouvernement mais aussi dans la société civile.

Une piste pourrait être par exemple de réfléchir à la mise en place d’un outil de signalement (cf. le site internet stop djihadisme et le numéro vert 0800 005696). Une autre piste bien sûr est d’accompagner les jeunes radicalisés, avec un suivi éducatif, social et psychologique. En tout état de cause, c’est aux autorités tunisiennes de nous dire ce qui les intéresse, et comment nous pouvons être utiles.

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