Charles Thepaut est un diplomate français passionné par la zone MENA. Il est l'auteur d'un ouvrage portant sur les mutations politiques arabes intitulé Le Monde arabe en morceaux. Paru chez Armand Colin, en février, ce livre se présente comme une "boîte à outils pour suivre l’actualité politique arabe".
Fruit d'une recherche académique agrémentée de cartes et d'anecdotes de terrain, "ce manuel de politique arabe décrypte l’évolution d’une région fragmentée, dont le destin est plus que jamais lié à celui de l’Europe". Le HuffPost Tunisie est allé à la rencontre de Charles Thepaut. Interview.
HuffPost Tunisie: Le monde arabe en morceaux est le fruit d'une étude de peuples et de politiques en mutation. Pourquoi ce livre et pour quel public est-il destiné?
Charles Thepaut: Ce livre vise à permettre au public français et européen de suivre l’actualité politique des pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient. Les pays arabes et les pays européens sont voisins et liés à tous les niveaux. Il est ainsi essentiel que le débat public européen sur le monde arabe soit le mieux informé possible.
Mon projet part, toutefois, du constat qu’il est très difficile pour un public curieux mais extérieur à la région de comprendre et d’analyser tous les évènements politiques, sociaux et économiques. Il y a en particulier eu avec les soulèvements en Tunisie, en Egypte, en Libye, au Yémen, et en Syrie en 2011 une forme "d’accélération du calendrier"que de nombreuses personnes ont suivi dans le monde entier. La rupture du statu quo politique qui semblait exister dans le monde arabe avant 2011 a suscité beaucoup d’intérêt et de questions, notamment en Europe.
Il me semblait, toutefois, qu’il manquait une sorte de manuel qui puisse guider les observateurs dans l’analyse des mouvements.
Les changements étant en cours, il n’était, dans un premier temps, pas possible de présenter une analyse approfondie et transversale des mutations issues des soulèvements de 2011.
Il y a ensuite eu de nombreux ouvrages écrits sur ces soulèvements, mais il était encore trop tôt pour faire un bilan et un certain nombre de livres présentaient des thèses et des interprétations, intéressantes pour le débat public mais vis-à-vis desquelles il peut être difficile pour le grand public de se faire sa propre idée.
Alors que les années passent et nous donnent plus de recul, je souhaitais donc rassembler ces débats dans un ouvrage unique, en y ajoutant une présentation de l’histoire plus longue du monde arabe et en présentant également les mutations régionales que la région a connues depuis 6 ans.
La Tunisie a été un des précurseurs des mouvements visant à mettre à bas la dictature. Quelle place occupe-t-elle dans votre livre?
La Tunisie occupe une place centrale dans la partie sur l’année 2011 et dans les chapitres qui décrivent les transitions politiques qui ont suivi.
Je qualifie la révolution tunisienne de "détonateur"car elle a inspiré une dynamique régionale.
Le fait que le mouvement ait commencé en Tunisie est important et a été déterminant dans la propagation de la contestation. La Tunisie était perçue jusqu’à fin 2010 comme l'un des Etats les plus stables de la région. Le développement du tourisme sur le littoral cachait notamment les difficultés économiques d’autres régions du pays.
L’histoire de Mohamed Bouazizi a, dans ce contexte, été symbolique tant de la situation de la jeunesse dans beaucoup de pays de la région que du comportement des autorités. Après la révolution, le dialogue national tunisien, et son succès, sont aussi devenus un modèle pour la région, et il était ainsi important de l’analyser.
Vous qui êtes un diplomate très intéressé par le monde arabe, quel avenir voyez-vous à cette partie du monde qui peine à asseoir pleinement une vraie démocratie?
Les défis restent considérables car les pays qui ont renversé des chefs d’Etat autoritaires se sont trouvés face à des questions politiques, économiques et sécuritaires qui sont très complexes.
Les pays de la zone sont en réalité dans des situations très différentes, avec dans certains cas de terribles guerres. L’enjeu sera pour la région de trouver ses propres solutions viables.
On ne peut pas dire à l’avance si les tentatives seront toutes couronnées de succès. Les soulèvements de 2011 peuvent ainsi avoir un goût amer pour une partie des opinions publiques arabes. L’exemple tunisien montre, néanmoins, que des solutions politiques inclusives peuvent être trouvées.