"Je veux poursuivre mes études au Canada", s’enthousiasme Mehdi, 17 ans, venu accompagner sa mère Ibtissem au groupe de parole pour parents d’enfants autistes.
Cheveux mi-longs en bataille, jeans, baskets et sweat-shirt siglé, ce jeune homme aux ambitions prometteuses cultive un look "branché" semblable aux autres adolescents de son âge, à quelques détails près.
Derrière ses lunettes de vue se dissimule un regard vague et évasif. Mehdi semble dans sa bulle, bien à l’écart des discussions tumultueuses des parents qui se sont réunis cet après-midi, à l’invitation de Samia, elle aussi maman d’un enfant autiste.
Des signes qui ne trompent pas
Le regard ému et la voix tremblante, Ibtissem, cette mère courage contrainte de faire le choix de sacrifier sa vie de couple et sa brillante carrière d’architecte pour se consacrer entièrement à son fils, se souvient auprès de l’agence TAP des premiers signes évocateurs de cette maladie:
"J’ai toujours été persuadée que Mehdi était différent. Quand je l’allaitais, il avait constamment les yeux fuyants. Petit, il éprouvait des difficultés à s’intégrer avec les autres enfants. J’avais beau essayer de le mettre en contact avec eux, je le trouvais toujours en retrait, préférant jouer avec des fourmis, au pied des arbres".
Parmi les autres détails qui ont interpellé la maman, ce sont certains comportements répétitifs comme le fait qu’il devait toujours sursauter sur son lit pour pouvoir enlever son pyjama. Il avait encore cette manie d’aligner ses jouets ou de répéter systématiquement les mots qu’il apprenait de la télé, sans pour autant communiquer.
"A côté de cela, Mehdi avait des capacités hors normes: A l’âge de 5 ans, il était déjà un as du calcul mental et pouvait dessiner un dinosaure en 3 D", témoigne Ibtissem, des étincelles de fierté dans les yeux.
C’est seulement à ses 9 ans que le diagnostic tombe enfin: Mehdi souffre d’autisme, un trouble neuro-développemental qui, selon Dr. Fatma Charfi, pédopsychiatre au CHU Mongi Slim de la Marsa, "se manifeste avant l’âge de trois ans et se caractérise par une altération des interactions sociales et de la communication verbale et non verbale".
"D’autres signes peuvent également s’associer à ces troubles, comme le désir d’immuabilité, les comportements répétitifs et stéréotypés et la restriction des champs d’activité avec une utilisation inappropriée des objets", ajoute encore Dr. Charfi.
"Avec la nouvelle classification américaine, on ne parle plus d’autisme mais plutôt des troubles du spectre autistique (TSA) pour inclure ainsi toutes les formes, des plus sévères aux plus légères", observe la pédopsychiatre.
Et de préciser: "ça va des enfants manifestant un retard intellectuel sévère et une incapacité totale à communiquer jusqu’à ceux qui sont en mesure de parler et de présenter une intelligence au-delà de la normale".
Diagnostiqué autiste sur le tard
Pour Dr. Charfi, même si aujourd’hui le diagnostic de l’autisme s’est amélioré en Tunisie et se fait en moyenne entre 2 et 3 ans grâce notamment au renforcement de la formation des médecins de première ligne et des pédiatres, cela n’a pas toujours été le cas il y a quelques années.
"Je regrette tout ce temps perdu", soupire avec amertume Ibtissem, avant de poursuivre: "Depuis toutes ces années, j’étais pertinemment convaincue que mon fils était autiste. Mais personne ne voulait me croire, pas même son pédiatre. Pour lui, Mehdi était seulement un enfant gâté".
Aussitôt le diagnostic prononcé, Ibtissem se lance alors dans l’épreuve interminable de la prise en charge qui se traduit par une panoplie d’interventions thérapeutiques (pédopsychiatrie, orthophonie, psychomotricité…) et dont le coût n’est pas toujours à la portée des bourses modestes.
"Au départ, Mehdi suivait des séances de pédopsychiatrie et d’orthophonie à raison de 3 fois par semaine, pour un tarif de 20 à 30 dinars la séance. Je me suis donc retrouvée à débourser près de 200 dinars par semaine sans vraiment percevoir d’aide sociale. Le montant remboursé par la sécurité sociale est, en effet, dérisoire et ne permet pas de compenser les frais dépensés", confie-t-elle.
Face à cette prise en charge onéreuse, Ibtissem choisit de faire preuve de sacrifices quitte à se priver de tout, rien que pour offrir à son fils une vie semblable à celle des autres enfants.
"En somme, ces séances thérapeutiques auront duré 5 ans. Lorsque Mehdi a fini par montrer une réelle progression, on a commencé alors à réduire petit à petit la fréquence des consultations jusqu’à ce qu’elles soient devenues mensuelles", raconte Ibtissem qui, malgré son jeune âge, arbore une chevelure sel et poivre témoin des innombrables épreuves qu’elle a pu endurer.
"L’enfant sauvage"
Outre la cherté de la prise en charge, Ibtissem s’est heurtée à un autre obstacle de taille.
La scolarisation de son fils s’apparentait à un vrai parcours du combattant dans la mesure où elle devait à chaque fois trouver une école qui l'accepte tel qu’il est.
"Jusqu’à ses 8 ans, Mehdi était scolarisé dans une école publique. A cette époque-là, il collectionnait les zéros dans toutes les matières. La classe n’était rien d’autre pour lui qu’un dortoir", témoigne Ibtissem, avant de poursuivre: "En troisième année, son institutrice faisait toujours en sorte qu’il soit écarté, exilé au fond de la classe. C’était l’enfant sauvage".
Déterminée à aller jusqu'au bout de son combat, Ibtissem décide malgré ses modestes ressources de transférer son fils à une école privée dont les frais de scolarisation s’élevaient à 800 dinars par mois. Dans cet établissement réputé pour son inclusion d’élèves en situation de handicap, une institutrice réussit à réconcilier Mehdi avec l’école et à lui redonner l’envie d’apprendre.
"Elle l’accueillait toujours avec le sourire et faisait preuve de beaucoup de tact dans le choix de mots. Elle veillait toujours à ne pas le mettre en situation d’échec devant ses camarades de classe. Ainsi, lorsqu’il subissait leurs brimades en raison de sa dysgraphie, elle leur rétorquait que Mehdi connaissait parfaitement la réponse sauf qu’il éprouvait des difficultés à l’écrire", relate Ibtissem.
Et d’ajouter: "Grâce à cette dame, mon fils a retrouvé confiance en lui, si bien qu’il a eu 17/20 en français et 19/20 en mathématiques".
Lorsque les résultats de Mehdi commençaient à peine à progresser, son institutrice s’est vue remplacer par une autre. La séparation avec sa maîtresse a été un "vrai choc" pour lui, car comme tout enfant autiste, Mehdi ne supporte pas le moindre changement.
Dès lors, ses résultats scolaires ont chuté, à tel point qu’il s’est vu renvoyer définitivement de cette école. Retour à la case départ pour Ibtissem qui se retrouve contrainte, à nouveau, de trouver une autre école pour son fils.
C’est ainsi qu’elle décide cette fois de se tourner vers une école dispensant un programme français, où Mehdi a fini par accomplir des progrès notables et trouver une certaine stabilité.
Enfin sur la bonne voie
"Actuellement, mon fils est encore scolarisé dans cet établissement. Il est même inscrit en 1ère année baccalauréat informatique", lance-t-elle sur un ton presque euphorique, avant d’ajouter: "A ses heures perdues, il fait du théâtre et joue de la guitare à laquelle il voue une passion sans borne. D’ailleurs, il a appris à manier cet instrument à l’oreille".
Aujourd’hui, le combat haletant et sans relâche de cette maman pour son fils finit enfin par porter ses fruits. Mehdi est parvenu à sortir de l’abîme.
"Je sais maintenant qu’il est sur la bonne voie à partir du moment où il sait vraiment ce qu’il veut. A présent, notre objectif ultime est le Canada", se réjouit Ibtissem en lançant un regard complice à son fils, histoire de le faire participer à la conversation.
Mains tordues et yeux rivés au sol, Mehdi finit par braver partiellement sa timidité en répliquant d’une voix à peine audible: "Au Canada, je veux créer une entreprise de services informatiques, où j’embaucherai des personnes pas forcément diplômées mais qui auront de la jugeote".
Cheveux mi-longs en bataille, jeans, baskets et sweat-shirt siglé, ce jeune homme aux ambitions prometteuses cultive un look "branché" semblable aux autres adolescents de son âge, à quelques détails près.
Derrière ses lunettes de vue se dissimule un regard vague et évasif. Mehdi semble dans sa bulle, bien à l’écart des discussions tumultueuses des parents qui se sont réunis cet après-midi, à l’invitation de Samia, elle aussi maman d’un enfant autiste.
Des signes qui ne trompent pas
Le regard ému et la voix tremblante, Ibtissem, cette mère courage contrainte de faire le choix de sacrifier sa vie de couple et sa brillante carrière d’architecte pour se consacrer entièrement à son fils, se souvient auprès de l’agence TAP des premiers signes évocateurs de cette maladie:
"J’ai toujours été persuadée que Mehdi était différent. Quand je l’allaitais, il avait constamment les yeux fuyants. Petit, il éprouvait des difficultés à s’intégrer avec les autres enfants. J’avais beau essayer de le mettre en contact avec eux, je le trouvais toujours en retrait, préférant jouer avec des fourmis, au pied des arbres".
Parmi les autres détails qui ont interpellé la maman, ce sont certains comportements répétitifs comme le fait qu’il devait toujours sursauter sur son lit pour pouvoir enlever son pyjama. Il avait encore cette manie d’aligner ses jouets ou de répéter systématiquement les mots qu’il apprenait de la télé, sans pour autant communiquer.
"A côté de cela, Mehdi avait des capacités hors normes: A l’âge de 5 ans, il était déjà un as du calcul mental et pouvait dessiner un dinosaure en 3 D", témoigne Ibtissem, des étincelles de fierté dans les yeux.
C’est seulement à ses 9 ans que le diagnostic tombe enfin: Mehdi souffre d’autisme, un trouble neuro-développemental qui, selon Dr. Fatma Charfi, pédopsychiatre au CHU Mongi Slim de la Marsa, "se manifeste avant l’âge de trois ans et se caractérise par une altération des interactions sociales et de la communication verbale et non verbale".
"D’autres signes peuvent également s’associer à ces troubles, comme le désir d’immuabilité, les comportements répétitifs et stéréotypés et la restriction des champs d’activité avec une utilisation inappropriée des objets", ajoute encore Dr. Charfi.
"Avec la nouvelle classification américaine, on ne parle plus d’autisme mais plutôt des troubles du spectre autistique (TSA) pour inclure ainsi toutes les formes, des plus sévères aux plus légères", observe la pédopsychiatre.
Et de préciser: "ça va des enfants manifestant un retard intellectuel sévère et une incapacité totale à communiquer jusqu’à ceux qui sont en mesure de parler et de présenter une intelligence au-delà de la normale".
Diagnostiqué autiste sur le tard
Pour Dr. Charfi, même si aujourd’hui le diagnostic de l’autisme s’est amélioré en Tunisie et se fait en moyenne entre 2 et 3 ans grâce notamment au renforcement de la formation des médecins de première ligne et des pédiatres, cela n’a pas toujours été le cas il y a quelques années.
"Je regrette tout ce temps perdu", soupire avec amertume Ibtissem, avant de poursuivre: "Depuis toutes ces années, j’étais pertinemment convaincue que mon fils était autiste. Mais personne ne voulait me croire, pas même son pédiatre. Pour lui, Mehdi était seulement un enfant gâté".
Aussitôt le diagnostic prononcé, Ibtissem se lance alors dans l’épreuve interminable de la prise en charge qui se traduit par une panoplie d’interventions thérapeutiques (pédopsychiatrie, orthophonie, psychomotricité…) et dont le coût n’est pas toujours à la portée des bourses modestes.
"Au départ, Mehdi suivait des séances de pédopsychiatrie et d’orthophonie à raison de 3 fois par semaine, pour un tarif de 20 à 30 dinars la séance. Je me suis donc retrouvée à débourser près de 200 dinars par semaine sans vraiment percevoir d’aide sociale. Le montant remboursé par la sécurité sociale est, en effet, dérisoire et ne permet pas de compenser les frais dépensés", confie-t-elle.
Face à cette prise en charge onéreuse, Ibtissem choisit de faire preuve de sacrifices quitte à se priver de tout, rien que pour offrir à son fils une vie semblable à celle des autres enfants.
"En somme, ces séances thérapeutiques auront duré 5 ans. Lorsque Mehdi a fini par montrer une réelle progression, on a commencé alors à réduire petit à petit la fréquence des consultations jusqu’à ce qu’elles soient devenues mensuelles", raconte Ibtissem qui, malgré son jeune âge, arbore une chevelure sel et poivre témoin des innombrables épreuves qu’elle a pu endurer.
"L’enfant sauvage"
Outre la cherté de la prise en charge, Ibtissem s’est heurtée à un autre obstacle de taille.
La scolarisation de son fils s’apparentait à un vrai parcours du combattant dans la mesure où elle devait à chaque fois trouver une école qui l'accepte tel qu’il est.
"Jusqu’à ses 8 ans, Mehdi était scolarisé dans une école publique. A cette époque-là, il collectionnait les zéros dans toutes les matières. La classe n’était rien d’autre pour lui qu’un dortoir", témoigne Ibtissem, avant de poursuivre: "En troisième année, son institutrice faisait toujours en sorte qu’il soit écarté, exilé au fond de la classe. C’était l’enfant sauvage".
Déterminée à aller jusqu'au bout de son combat, Ibtissem décide malgré ses modestes ressources de transférer son fils à une école privée dont les frais de scolarisation s’élevaient à 800 dinars par mois. Dans cet établissement réputé pour son inclusion d’élèves en situation de handicap, une institutrice réussit à réconcilier Mehdi avec l’école et à lui redonner l’envie d’apprendre.
"Elle l’accueillait toujours avec le sourire et faisait preuve de beaucoup de tact dans le choix de mots. Elle veillait toujours à ne pas le mettre en situation d’échec devant ses camarades de classe. Ainsi, lorsqu’il subissait leurs brimades en raison de sa dysgraphie, elle leur rétorquait que Mehdi connaissait parfaitement la réponse sauf qu’il éprouvait des difficultés à l’écrire", relate Ibtissem.
Et d’ajouter: "Grâce à cette dame, mon fils a retrouvé confiance en lui, si bien qu’il a eu 17/20 en français et 19/20 en mathématiques".
Lorsque les résultats de Mehdi commençaient à peine à progresser, son institutrice s’est vue remplacer par une autre. La séparation avec sa maîtresse a été un "vrai choc" pour lui, car comme tout enfant autiste, Mehdi ne supporte pas le moindre changement.
Dès lors, ses résultats scolaires ont chuté, à tel point qu’il s’est vu renvoyer définitivement de cette école. Retour à la case départ pour Ibtissem qui se retrouve contrainte, à nouveau, de trouver une autre école pour son fils.
C’est ainsi qu’elle décide cette fois de se tourner vers une école dispensant un programme français, où Mehdi a fini par accomplir des progrès notables et trouver une certaine stabilité.
Enfin sur la bonne voie
"Actuellement, mon fils est encore scolarisé dans cet établissement. Il est même inscrit en 1ère année baccalauréat informatique", lance-t-elle sur un ton presque euphorique, avant d’ajouter: "A ses heures perdues, il fait du théâtre et joue de la guitare à laquelle il voue une passion sans borne. D’ailleurs, il a appris à manier cet instrument à l’oreille".
Aujourd’hui, le combat haletant et sans relâche de cette maman pour son fils finit enfin par porter ses fruits. Mehdi est parvenu à sortir de l’abîme.
"Je sais maintenant qu’il est sur la bonne voie à partir du moment où il sait vraiment ce qu’il veut. A présent, notre objectif ultime est le Canada", se réjouit Ibtissem en lançant un regard complice à son fils, histoire de le faire participer à la conversation.
Mains tordues et yeux rivés au sol, Mehdi finit par braver partiellement sa timidité en répliquant d’une voix à peine audible: "Au Canada, je veux créer une entreprise de services informatiques, où j’embaucherai des personnes pas forcément diplômées mais qui auront de la jugeote".
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