Tom Bogaert a réalisé de nombreuses expositions en Europe, au Moyen Orient, au Maghreb et aux États-Unis. Dernièrement, l’artiste belge a présenté plusieurs travaux au musée du Bardo à Tunis, dans le cadre du projet Matza Kerkennah qui réunissait plusieurs artistes tunisiens et internationaux.
Le HuffPost Tunisie le retrouve aujourd’hui pour parler de sa participation à l’événement Jaou Tunis qui aura lieu du 12 au 16 mai prochain. Cette 4ème édition s’intéresse au thème de la migration sous l’angle de la création artistique et participative.
HuffPost Tunisie: Pouvez vous présenter votre projet pour Jaou cette année?
Tom Bogaert: Pour Jaou, je suis très heureux de pouvoir présenter un nouveau chapitre de "Voyage, voyage" un projet qui parle de migration à travers des fraises. Au printemps de 2014, "Utopiana"– un collectif d'artistes basé à Genève – m'invitait à développer davantage mes réflexions sur la fascination du monde de l’art envers les modes de vie errants, migrateurs et nomades.
Le point de départ de ma recherche était l’ouvrage "Radicant" de Nicolas Bourriaud et son concept de l'artiste global en tant qu’homo viator. Un livre conduisant à un autre: Groys, Žižek, Segalen, Deleuze, Guattari et bien d'autres ont fait leur apparition. Mais dans le cadre de ce projet, je préfère m’en tenir à Bourriaud.
J’ai appris à cultiver des fraises dans une parcelle du potager urbain "Pote-à-Jean" à Genève. Je menais des tests musicaux, botaniques et artistiques sur les plantes afin de tester les affirmations de N. Bourriaud: que le radicant survit si sa racine première est coupée, que rien ne se perd dans la traduction, que l'utopisme est mort, etc.
Avec "Voyage, voyage", je tente de formuler des réponses à l'appropriation unilatérale par le monde de l'art, de la référence à l'exode, la liberté de mouvement, les immigrants, les réfugiés, le cosmopolitisme, le nomadisme. Face à la tendance actuelle qui restreint davantage la réglementation en matière d'immigration et de visa, l'enthousiasme excessif du monde de l'art pour le nomadisme peut sembler hautain.
Vous aviez exposé plusieurs fois en Tunisie, à la maison de la culture à Sidi Bouzid et plus récemment au Bardo. Avez-vous un attachement particulier à la Tunisie?
J’adore la Tunisie! Je suis venu pour la première fois en 2003,lors d'un voyage en moto, pour rejoindre mes amis, dans le sud de la Tunisie. Nefta, Tozeur, Kebili, Tataouine, Ksar Ghilane, le désert du Sahara, les lieux de tournage de Star Wars... sont des lieux qui apportent des souvenirs fantastiques.
Par contre, ma relation prérévolutionnaire avec la Tunisie en tant que touriste sur une moto dans le désert du Sahara - inconscient du paysage politique - a radicalement changé. En tant qu'artiste plasticien, je suis maintenant beaucoup plus intéressé par le contexte politique, j’ai développé une fascination pour l'auto-immolation comme forme de protestation. L
es questions concernant l'efficacité de celle-ci, les images récurrentes du festival "Burning Man" aux États-Unis et les sites de Star Wars, ont mené à un projet d'art à Sidi Bouzid en 2015. "The One Invented, Twisted Animator" a été montré pour la première fois à la Maison de la Culture de Sidi Bouzid. Le projet offre des indices thématiques du martyre, l’intentionnalité et le but sans véritable récit. Le projet pousse le spectateur à établir ses propres connexions.
En avril 2017, j’ai passé deux semaines sur les Îles de Kerkennah avec des artistes venus de Tunisie, de France, de Belgique et de Suisse pour travailler sur les enjeux divers de la mer méditerranée. J’y étais invité par Séverin Guelpa de Matza et nos œuvres ont été présentées dans le cadre d'une exposition au musée national du Bardo.
Je suis aujourd’hui très content de pouvoir participer à Jaou! En Tunisie encore et toujours!
Vous avez exposé dans de nombreux pays, vous vous êtes intéressé à la notion de migration dans plusieurs projets. On notera justement l’exposition "Voyage, voyage" à Casablanca en 2016 et l’expérience Matza Kerkennah en 2017. Cette édition de Jaou s’intitule justement "Nation migrante", c’est un sujet qui vous tient particulièrement à cœur?
Dans une autre vie, j’étais juriste au sein d’Amnesty International et du Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unis. En 2004, j’ai quitté le monde du droit international et je me suis installé à New York en tant qu’artiste visuel. Ma pratique artistique est organisée à travers des projets de recherche à long terme qui examinent principalement les rapports entre humanisme et droits humains, politique et divertissement, art et propagande.
Cela dit, je ne vois pas ma carrière artistique comme une extension de mon travail pour les réfugiés. Peut-être que je suis maintenant dans le domaine du "post-activisme". "Post" (à l’image de la discussion post-internet) dans le sens où mon œuvre ne se réfère pas à un temps "après" mon activisme, mais plutôt à un état d'esprit militant, avec l’idée de penser à un mode de changement politique ou social. Je pratique l'art avec une conscience du cadre politique existant, de la conception et de la production à la diffusion et à la réception.
Pourquoi utilisez-vous des fraises pour traiter un tel sujet?
J'ai tendance à enquêter sur ce que certains pourraient considérer comme des thèmes et des sujets difficiles, néanmoins j'essaie toujours de maintenir un degré de légèreté et d'humour dans mon travail pour équilibrer son cadre conceptuel. Et c’est exactement pour cette raison que je travaille avec des fraises pour parler de migration.
Lorsque Bourriaud parle de radicant etc., il donne trois exemples, la trompette de Virginie, le lierre et les fraisiers. Le lierre est un peu ennuyeux, et je ne connaissais pas très bien la trompette de Virginie.
J’ai d’abord choisi les fraises parce qu’il y a un lien entre des mouvements migratoires (saisonniers): des milliers de femmes marocaines vont chaque année en Espagne, pour travailler dans la cueillette de fraises et les travailleurs roumains vont vers les serres d’Europe par exemple. Ensuite, parce que les fraises sont en principe assez faciles à cultiver. Enfin, j’ai toujours eu l’intention de faire quelque chose avec la chanson "Stawberry Fields Forever" des Beatles…
LIRE AUSSI: Exposition "Matza Kerkennah: La mer un espace commun" au musée du Bardo du 14 avril au 7 mai
Le HuffPost Tunisie le retrouve aujourd’hui pour parler de sa participation à l’événement Jaou Tunis qui aura lieu du 12 au 16 mai prochain. Cette 4ème édition s’intéresse au thème de la migration sous l’angle de la création artistique et participative.
HuffPost Tunisie: Pouvez vous présenter votre projet pour Jaou cette année?
Tom Bogaert: Pour Jaou, je suis très heureux de pouvoir présenter un nouveau chapitre de "Voyage, voyage" un projet qui parle de migration à travers des fraises. Au printemps de 2014, "Utopiana"– un collectif d'artistes basé à Genève – m'invitait à développer davantage mes réflexions sur la fascination du monde de l’art envers les modes de vie errants, migrateurs et nomades.
Le point de départ de ma recherche était l’ouvrage "Radicant" de Nicolas Bourriaud et son concept de l'artiste global en tant qu’homo viator. Un livre conduisant à un autre: Groys, Žižek, Segalen, Deleuze, Guattari et bien d'autres ont fait leur apparition. Mais dans le cadre de ce projet, je préfère m’en tenir à Bourriaud.
J’ai appris à cultiver des fraises dans une parcelle du potager urbain "Pote-à-Jean" à Genève. Je menais des tests musicaux, botaniques et artistiques sur les plantes afin de tester les affirmations de N. Bourriaud: que le radicant survit si sa racine première est coupée, que rien ne se perd dans la traduction, que l'utopisme est mort, etc.
Nicolas Bourriaud, commissaire d'exposition de renom, critique d’art et directeur de l’école nationale supérieure des Beaux Arts de Paris, a introduit dans le monde de l'art contemporain son concept de radicant, pour désigner les figures dominantes de la culture contemporaine que sont l'immigré, l'exilé, le touriste et l’errant urbain. Selon Nicolas Bourriaud, l'artiste se rapproche de plus en plus de la famille botanique des radicants.Ces derniers font pousser leurs racines au fur et à mesure de leurs avancées, contrairement aux radicaux dont l'évolution est déterminée par l'ancrage dans le sol.
Avec "Voyage, voyage", je tente de formuler des réponses à l'appropriation unilatérale par le monde de l'art, de la référence à l'exode, la liberté de mouvement, les immigrants, les réfugiés, le cosmopolitisme, le nomadisme. Face à la tendance actuelle qui restreint davantage la réglementation en matière d'immigration et de visa, l'enthousiasme excessif du monde de l'art pour le nomadisme peut sembler hautain.
Vous aviez exposé plusieurs fois en Tunisie, à la maison de la culture à Sidi Bouzid et plus récemment au Bardo. Avez-vous un attachement particulier à la Tunisie?
J’adore la Tunisie! Je suis venu pour la première fois en 2003,lors d'un voyage en moto, pour rejoindre mes amis, dans le sud de la Tunisie. Nefta, Tozeur, Kebili, Tataouine, Ksar Ghilane, le désert du Sahara, les lieux de tournage de Star Wars... sont des lieux qui apportent des souvenirs fantastiques.
LIRE AUSSI: Tunisie: L'opération de sauvetage des décors de Star Wars fait renaître l'espoir pour le tourisme saharien
Par contre, ma relation prérévolutionnaire avec la Tunisie en tant que touriste sur une moto dans le désert du Sahara - inconscient du paysage politique - a radicalement changé. En tant qu'artiste plasticien, je suis maintenant beaucoup plus intéressé par le contexte politique, j’ai développé une fascination pour l'auto-immolation comme forme de protestation. L
es questions concernant l'efficacité de celle-ci, les images récurrentes du festival "Burning Man" aux États-Unis et les sites de Star Wars, ont mené à un projet d'art à Sidi Bouzid en 2015. "The One Invented, Twisted Animator" a été montré pour la première fois à la Maison de la Culture de Sidi Bouzid. Le projet offre des indices thématiques du martyre, l’intentionnalité et le but sans véritable récit. Le projet pousse le spectateur à établir ses propres connexions.
En avril 2017, j’ai passé deux semaines sur les Îles de Kerkennah avec des artistes venus de Tunisie, de France, de Belgique et de Suisse pour travailler sur les enjeux divers de la mer méditerranée. J’y étais invité par Séverin Guelpa de Matza et nos œuvres ont été présentées dans le cadre d'une exposition au musée national du Bardo.
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Je suis aujourd’hui très content de pouvoir participer à Jaou! En Tunisie encore et toujours!
Vous avez exposé dans de nombreux pays, vous vous êtes intéressé à la notion de migration dans plusieurs projets. On notera justement l’exposition "Voyage, voyage" à Casablanca en 2016 et l’expérience Matza Kerkennah en 2017. Cette édition de Jaou s’intitule justement "Nation migrante", c’est un sujet qui vous tient particulièrement à cœur?
Dans une autre vie, j’étais juriste au sein d’Amnesty International et du Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unis. En 2004, j’ai quitté le monde du droit international et je me suis installé à New York en tant qu’artiste visuel. Ma pratique artistique est organisée à travers des projets de recherche à long terme qui examinent principalement les rapports entre humanisme et droits humains, politique et divertissement, art et propagande.
Cela dit, je ne vois pas ma carrière artistique comme une extension de mon travail pour les réfugiés. Peut-être que je suis maintenant dans le domaine du "post-activisme". "Post" (à l’image de la discussion post-internet) dans le sens où mon œuvre ne se réfère pas à un temps "après" mon activisme, mais plutôt à un état d'esprit militant, avec l’idée de penser à un mode de changement politique ou social. Je pratique l'art avec une conscience du cadre politique existant, de la conception et de la production à la diffusion et à la réception.
Pourquoi utilisez-vous des fraises pour traiter un tel sujet?
J'ai tendance à enquêter sur ce que certains pourraient considérer comme des thèmes et des sujets difficiles, néanmoins j'essaie toujours de maintenir un degré de légèreté et d'humour dans mon travail pour équilibrer son cadre conceptuel. Et c’est exactement pour cette raison que je travaille avec des fraises pour parler de migration.
Lorsque Bourriaud parle de radicant etc., il donne trois exemples, la trompette de Virginie, le lierre et les fraisiers. Le lierre est un peu ennuyeux, et je ne connaissais pas très bien la trompette de Virginie.
J’ai d’abord choisi les fraises parce qu’il y a un lien entre des mouvements migratoires (saisonniers): des milliers de femmes marocaines vont chaque année en Espagne, pour travailler dans la cueillette de fraises et les travailleurs roumains vont vers les serres d’Europe par exemple. Ensuite, parce que les fraises sont en principe assez faciles à cultiver. Enfin, j’ai toujours eu l’intention de faire quelque chose avec la chanson "Stawberry Fields Forever" des Beatles…
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