La compagnie théâtrale "La Communauté inavouable" présente la pièce "Tunisia" de la metteur en scène, auteure et comédienne Clyde Chabot, du 23 au 25 juin au Musée National de l’Histoire de l’Immigration, à Paris.
La pièce avait déjà été présentée depuis 2015 dans plusieurs villes de France, en Suède lors du Festival Résistance de Riddarhyttan, en Tunisie à l’FT et dans le cadre des JCC.
"Tunisia" est le 2ème volet d’un récit autour de la famille et des origines de Clyde Chabot, faisant suite au 1er volet "Sicilia" dans lequel elle tente de revenir sur les traces de ses ancêtres qui quittèrent leur Sicile d’origine pour la Tunisie.
La comédienne, assise à une table, nous interroge sur la notion d’étranger, entretenant une réflexion sur le passé et le présent à travers les souvenirs de la Tunisie rapportés par ses proches et l’expérience de ce voyage, dont elle rêvait, effectué avec sa fille en février 2015.
Sur cette table, sont posées des objets liés à l’histoire de sa famille en Tunisie. Elle présentera au public un siège fabriqué par son grand-père ou encore une couverture tissée avec la laine des moutons de la ferme habitée par la famille durant la seconde guerre mondiale à Tébourba…
Près d’elle, sont projetés, des images filmées ainsi qu’un diaporama de photos prises sur place à Tébourba, Bizerte et Tunis. "Ces images ouvrent une fenêtre concrète sur la Tunisie aujourd’hui en lien avec ce dont il est question dans le texte".
Le spectacle se clos de manière tout aussi symbolique, par une offrande au public de dattes farcies et de thé à la menthe, une "spécialité conservée dans ma famille à travers le temps", explique Clyde Chabot. L’acte vient clore le récit de son voyage, mettant fin à « la peur ou le malaise » transmis par sa famille, mais aussi matérialiser la générosité des Tunisiens dans leur accueil.
HuffPost Tunisie: En venant en Tunisie en 2015, vous avez dépassé les souvenirs qui vous ont été rapportés par votre famille. Quels sont vos propres souvenirs de ce voyage?
Clyde Chabot: Les souvenirs de ma famille sont contrastés: à la fois la mémoire d’une vie, heureuse et insouciante, lorsqu’ils habitaient en Tunisie et une distance.
Selon ma mère, "à l’époque, tout le monde s’entendait bien". Dans les faits, ni ma mère ni ma tante n’ont appris la langue ni conservé de lien avec les Tunisiens. Personne de ma famille n’est jamais revenu. Ma famille a quitté la Tunisie du fait des tensions, préalables à l’indépendance. Elle a refermé la porte. J’avais la sensation de transgresser un interdit en venant, d’ouvrir une porte qui avait été refermée.
Et une certaine peur, malgré moi, m’a été transmise que j’ai ressentie au cours de mon voyage, à chaque instant.
J’aurais voulu être plus ouverte et tranquille. Mais je n’y parvenais pas. J’ai mis un voile sur ma tête, en particulier le soir car je ne voulais pas risquer de provoquer qui que ce soit. J’ai demandé aussi à ma fille, de taille adulte malgré ses 12 ans à l’époque, de le faire également.
À l’inverse, j’ai été très touchée par l’accueil qui m’a été réservé par les personnes qui habitent aujourd’hui la maison reconstruite par mon grand-père, après les bombardements allemands de 1942 qui ont quasiment détruit le village de Tébourba. Le nouveau propriétaire m’a accompagné dans mes recherches dans le village. Il nous a invités à rester manger le couscous, préparé par sa mère, avec ma fille et notre accompagnateur. La présence de ce dernier, un jeune metteur en scène, a été essentielle pour faire lien en arrivant sur place, pour communiquer plus facilement avec les personnes que nous rencontrions.
Quelques mois plus tard, le propriétaire de l’ancienne maison de ma famille est venu assister au spectacle lorsque je l’ai présenté dans le cadre des Journées théâtrales de Carthage à l’Institut français de Tunis en octobre 2015.
Ce voyage vous a-t-il donné envie de revenir en Tunisie?
Je rêverais de revenir avec le spectacle. Les représentations à l’Institut français ont été très fortes. Il n’était pas évident de dire au public tunisien que j’avais (eu) peur de lui, malgré moi, de lui dire que j’avais grandi avec cette peur irrationnelle de l’autre et que je n’en étais pas indemne aujourd’hui. Un très bel échange a eu lieu avec les spectateurs. Certains ont pris très à cœur cette inquiétude pour me rassurer!
Pouvoir parler directement au public tunisien me semblait, à ma mesure, comme un geste de réparation possible au regard de l’histoire forte et complexe qui lie ma famille à ce pays, la France à la Tunisie.
Il y a également le projet d’une recréation du spectacle avec la chanteuse tunisienne Wafa Ghorbel. Sa présence permettrait de concrétiser le lien aujourd’hui au-delà de la distance.
Wafa Ghorbel est citée dans le spectacle, en tant que "connaissance tunisienne d’un ami contactée avant mon départ". Elle s’était inquiétée pour moi durant mon séjour en février 2015. J’ai retranscrit nos échanges de SMS dans la pièce. Elle m’écrivait alors que 4 soldats de la brigade nationale venaient d’avoir été tués à Kasserine au Centre Ouest et qu’un collège italien de l’Université avait été tué chez lui à la Marsa, que la situation n’était pas bonne actuellement en Tunisie et qu’elle s’inquiétait un peu pour moi.
Elle a assisté au spectacle à l’Institut Français et l’a apprécié. Nous avons imaginé qu’elle pourrait chanter a capella des chansons anciennes en écho au temps où ma famille vivait en Tunisie et d’autres, plus contemporaines, en écho à mon voyage dans un mouvement concret de rapprochement de nos deux présences sur le plateau. Le projet n’a pas encore trouvé les partenariats sur place mais j’espère que cela sera possible prochainement !
Quelle a été la réception du public?
La réception du public a été à chaque fois forte et belle. Par le prisme de l’intime, je retrace une partie de l’histoire des relations entre la France et la Tunisie, la France et la colonisation. Avec ce spectacle, j’invite chacun à une remémoration et à une forme d’apaisement et d’accueil de l’autre à travers les générations.
Votre prochaine représentation se fera au Musée de l'immigration, un lieu symbolique…
J’ai eu le plaisir d’y jouer également fin avril mon premier solo SICILIA qui retrace un voyage réalisé sur place en 2010. Ce spectacle se joue autour d’une grande table dressée, comme si le public était ma famille réunie. J’interroge la disparition de la culture sicilienne dans ma famille à travers le temps.
Un large public y est venu, se reconnaissant dans ce flux migratoire de l’Italie vers la Tunisie puis la France.
Jouer au Musée national de l’histoire de l’immigration est fondamental. Un premier contact avait été pris avec le musée à la création de mon spectacle SICILIA en 2011. Et le projet d’un accueil avait été reporté depuis car il fallait que les représentations puissent s’inscrire dans le cadre d’une exposition consacrée à l’immigration italienne. Cette dernière se réalise seulement maintenant. Le Musée a programmé mes deux solos, ce qui permet de retracer plus globalement ce flux migratoire très important du sud de l’Italie vers l’Afrique du Nord puis la France.
Jouer ces solos au Musée national de l’immigration est très émouvant pour moi. Ma mère est parvenue à se fondre dans la société française en prenant le nom français de son mari et cela a été vital pour elle, au vu de la violence vécue à son arrivée en France dans l’attitude à l’époque des français vis à vis des immigrés d’origine italienne. Aujourd’hui, avec ces spectacles, je mets à jour cette réalité constitutive de l’histoire de ma famille et de très nombreux français dans le cadre prestigieux du Musée. Ainsi cette histoire n’est plus honteuse et à cacher mais se révèle comme une vérité de l’histoire de la France qui peut être représentée, enfin reconnue dans sa valeur humaine et sa réalité sensible.
La pièce avait déjà été présentée depuis 2015 dans plusieurs villes de France, en Suède lors du Festival Résistance de Riddarhyttan, en Tunisie à l’FT et dans le cadre des JCC.
"Tunisia" est le 2ème volet d’un récit autour de la famille et des origines de Clyde Chabot, faisant suite au 1er volet "Sicilia" dans lequel elle tente de revenir sur les traces de ses ancêtres qui quittèrent leur Sicile d’origine pour la Tunisie.
La comédienne, assise à une table, nous interroge sur la notion d’étranger, entretenant une réflexion sur le passé et le présent à travers les souvenirs de la Tunisie rapportés par ses proches et l’expérience de ce voyage, dont elle rêvait, effectué avec sa fille en février 2015.
Sur cette table, sont posées des objets liés à l’histoire de sa famille en Tunisie. Elle présentera au public un siège fabriqué par son grand-père ou encore une couverture tissée avec la laine des moutons de la ferme habitée par la famille durant la seconde guerre mondiale à Tébourba…
Près d’elle, sont projetés, des images filmées ainsi qu’un diaporama de photos prises sur place à Tébourba, Bizerte et Tunis. "Ces images ouvrent une fenêtre concrète sur la Tunisie aujourd’hui en lien avec ce dont il est question dans le texte".
Le spectacle se clos de manière tout aussi symbolique, par une offrande au public de dattes farcies et de thé à la menthe, une "spécialité conservée dans ma famille à travers le temps", explique Clyde Chabot. L’acte vient clore le récit de son voyage, mettant fin à « la peur ou le malaise » transmis par sa famille, mais aussi matérialiser la générosité des Tunisiens dans leur accueil.
HuffPost Tunisie: En venant en Tunisie en 2015, vous avez dépassé les souvenirs qui vous ont été rapportés par votre famille. Quels sont vos propres souvenirs de ce voyage?
Clyde Chabot: Les souvenirs de ma famille sont contrastés: à la fois la mémoire d’une vie, heureuse et insouciante, lorsqu’ils habitaient en Tunisie et une distance.
Selon ma mère, "à l’époque, tout le monde s’entendait bien". Dans les faits, ni ma mère ni ma tante n’ont appris la langue ni conservé de lien avec les Tunisiens. Personne de ma famille n’est jamais revenu. Ma famille a quitté la Tunisie du fait des tensions, préalables à l’indépendance. Elle a refermé la porte. J’avais la sensation de transgresser un interdit en venant, d’ouvrir une porte qui avait été refermée.
Et une certaine peur, malgré moi, m’a été transmise que j’ai ressentie au cours de mon voyage, à chaque instant.
J’aurais voulu être plus ouverte et tranquille. Mais je n’y parvenais pas. J’ai mis un voile sur ma tête, en particulier le soir car je ne voulais pas risquer de provoquer qui que ce soit. J’ai demandé aussi à ma fille, de taille adulte malgré ses 12 ans à l’époque, de le faire également.
À l’inverse, j’ai été très touchée par l’accueil qui m’a été réservé par les personnes qui habitent aujourd’hui la maison reconstruite par mon grand-père, après les bombardements allemands de 1942 qui ont quasiment détruit le village de Tébourba. Le nouveau propriétaire m’a accompagné dans mes recherches dans le village. Il nous a invités à rester manger le couscous, préparé par sa mère, avec ma fille et notre accompagnateur. La présence de ce dernier, un jeune metteur en scène, a été essentielle pour faire lien en arrivant sur place, pour communiquer plus facilement avec les personnes que nous rencontrions.
Quelques mois plus tard, le propriétaire de l’ancienne maison de ma famille est venu assister au spectacle lorsque je l’ai présenté dans le cadre des Journées théâtrales de Carthage à l’Institut français de Tunis en octobre 2015.
Ce voyage vous a-t-il donné envie de revenir en Tunisie?
Je rêverais de revenir avec le spectacle. Les représentations à l’Institut français ont été très fortes. Il n’était pas évident de dire au public tunisien que j’avais (eu) peur de lui, malgré moi, de lui dire que j’avais grandi avec cette peur irrationnelle de l’autre et que je n’en étais pas indemne aujourd’hui. Un très bel échange a eu lieu avec les spectateurs. Certains ont pris très à cœur cette inquiétude pour me rassurer!
Pouvoir parler directement au public tunisien me semblait, à ma mesure, comme un geste de réparation possible au regard de l’histoire forte et complexe qui lie ma famille à ce pays, la France à la Tunisie.
Il y a également le projet d’une recréation du spectacle avec la chanteuse tunisienne Wafa Ghorbel. Sa présence permettrait de concrétiser le lien aujourd’hui au-delà de la distance.
Wafa Ghorbel est citée dans le spectacle, en tant que "connaissance tunisienne d’un ami contactée avant mon départ". Elle s’était inquiétée pour moi durant mon séjour en février 2015. J’ai retranscrit nos échanges de SMS dans la pièce. Elle m’écrivait alors que 4 soldats de la brigade nationale venaient d’avoir été tués à Kasserine au Centre Ouest et qu’un collège italien de l’Université avait été tué chez lui à la Marsa, que la situation n’était pas bonne actuellement en Tunisie et qu’elle s’inquiétait un peu pour moi.
Elle a assisté au spectacle à l’Institut Français et l’a apprécié. Nous avons imaginé qu’elle pourrait chanter a capella des chansons anciennes en écho au temps où ma famille vivait en Tunisie et d’autres, plus contemporaines, en écho à mon voyage dans un mouvement concret de rapprochement de nos deux présences sur le plateau. Le projet n’a pas encore trouvé les partenariats sur place mais j’espère que cela sera possible prochainement !
Quelle a été la réception du public?
La réception du public a été à chaque fois forte et belle. Par le prisme de l’intime, je retrace une partie de l’histoire des relations entre la France et la Tunisie, la France et la colonisation. Avec ce spectacle, j’invite chacun à une remémoration et à une forme d’apaisement et d’accueil de l’autre à travers les générations.
Votre prochaine représentation se fera au Musée de l'immigration, un lieu symbolique…
J’ai eu le plaisir d’y jouer également fin avril mon premier solo SICILIA qui retrace un voyage réalisé sur place en 2010. Ce spectacle se joue autour d’une grande table dressée, comme si le public était ma famille réunie. J’interroge la disparition de la culture sicilienne dans ma famille à travers le temps.
Un large public y est venu, se reconnaissant dans ce flux migratoire de l’Italie vers la Tunisie puis la France.
Jouer au Musée national de l’histoire de l’immigration est fondamental. Un premier contact avait été pris avec le musée à la création de mon spectacle SICILIA en 2011. Et le projet d’un accueil avait été reporté depuis car il fallait que les représentations puissent s’inscrire dans le cadre d’une exposition consacrée à l’immigration italienne. Cette dernière se réalise seulement maintenant. Le Musée a programmé mes deux solos, ce qui permet de retracer plus globalement ce flux migratoire très important du sud de l’Italie vers l’Afrique du Nord puis la France.
Jouer ces solos au Musée national de l’immigration est très émouvant pour moi. Ma mère est parvenue à se fondre dans la société française en prenant le nom français de son mari et cela a été vital pour elle, au vu de la violence vécue à son arrivée en France dans l’attitude à l’époque des français vis à vis des immigrés d’origine italienne. Aujourd’hui, avec ces spectacles, je mets à jour cette réalité constitutive de l’histoire de ma famille et de très nombreux français dans le cadre prestigieux du Musée. Ainsi cette histoire n’est plus honteuse et à cacher mais se révèle comme une vérité de l’histoire de la France qui peut être représentée, enfin reconnue dans sa valeur humaine et sa réalité sensible.
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