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Entretien avec Adel Ltifi, historien et écrivain tunisien: "la justice transitionnelle a fait un hold-up sur l'histoire nationale"

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Adel Ltifi, écrivain, chercheur et professeur de l’Histoire du monde arabe moderne à l’Université de Paris, est revenu, dans un entretien accordé au HuffPost Tunisie, sur l’accélération du dépôt des dossiers par les différents acteurs de la société politique et civile tunisienne auprès de l’Instance Vérité et Dignité.

-HuffPost Tunisie : Quelques heures avant la fin des délais, l’Instance Vérité et Dignité a reçu des centaines de dossiers. Pourquoi les personnes concernées ont tant attendu avant de présenter leurs dossiers selon vous?

Adel Ltifi: Je pense qu’il y a eu un moment de doute à l’égard de cette instance au vu du contexte de sa mise en place et des polémiques qu’elle avait suscitées. Cela était marqué par une certaine arrogance d’Ennahdha à l’Assemblée nationale constituante, pour imposer des lois dont l’objectif aurait été de contourner la montée du parti Nida Tounes.

D’autre part, à l’époque, Ennahdha ne cachait pas son opposition à ce qu’elle appelle l’État bourguibien ce qui explique le choix du premier juillet comme date de la période incriminée. La composition du comité Vérité et Dignité était aussi objet de polémiques et notamment sa présidente.

Dans ce contexte de doute, les forces démocratiques qui se sont opposées à "l’Etat du président unique" ont discrédité cette instance jugée très proche de la Troïka. Après les élections de 2014 et le changement de l’équilibre politique, on assiste à une certaine normalisation avec ce comité (Slim Chiboub à titre d’exemple) qui aurait encouragé d’autres prétendants à la justice transitionnelle à déposer des dossiers. Je n’exclus pas non plus l’idée qui dit qu’il ne faut pas laisser le champ de cette instance uniquement pour les islamistes.

-L’État a aussi préféré attendre la dernière minute pour aller vers l’IVD. Cela cache-t-il un message chiffré?

Ce n’est pas l’État mais plutôt la nouvelle équipe qui a gagné les dernières élections.

Au début il y avait la méfiance, voire le discrédit, de cette instance (par le président de la République). Un discrédit exprimé notamment par la proposition de lois sur la réconciliation économique.

Le rapprochement entre Nida Tounes et le parti islamiste Ennahdha, aurait joué un rôle dans le rapprochement. Il ne faut oublier que la présidente de l’IVD a mis de l’eau dans son vin. Nous l’avons vue plus équilibrée et neutre dans ses déclarations concernant l’ancien régime.

En résumé, la loi sur la réconciliation économique n’a pu aboutir, et l’IVD était presque isolée. Une situation qui n’arrangeait ni l’équipe au pouvoir ni Ben Sedrine. Un rapprochement était donc bénéfique pour les deux parties.

-Certains ont été étonnés, pour ne pas dire scandalisés, de voir l’UGTT, le SNJT, l’ATFD et d’autres personnalités connues pour leur opposition à Ben Sedrine se rendre à l’Instance pour déposer les dossiers. Comment évaluez-vous cela?

Je pense que c’est dans le cadre de cette "réconciliation" entre la société politique en général et la présidente de l’IVD. Je pense aussi que les acteurs démocrates qui se sont opposés à Ben Ali, ne voulaient pas voir les islamistes s’emparer de la justice transitionnelle ce qui leur permettrait de confisquer la légitimité militante.

Je n’exclus pas, non plus, un certain besoin de reconnaissance du statut de militant individuel ou collectif. Mais, je pense que cette reconnaissance, surtout pour des militants de la gauche, doit être sociale et pas institutionnelle.

J’ai le sentiment aussi que cette gauche ne prend pas en compte le dysfonctionnement actuel de l’IVD. Sa présidente refuse d’appliquer une décision du tribunal administratif en faveur de Zouhaier Makhlouf. Une présidente qui abuse du droit ne peut pas rendre les droits.

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-D’autres critiquent le fait que l’Instance travaille même sur la période d’avant l’Indépendance. Comment s’est déroulé le processus de la justice transitionnelle dans les autres pays?

Je pense que le retour jusqu’au 1er juillet 1955, est un abus grotesque de la loi sur la justice transitionnelle adoptée en Tunisie.

A l’origine de cette proposition il y a une lecture idéologique de l’histoire se ralliant du coté de Salah Ben Youssef et de son refus, à tord, de l’indépendance interne. Seuls les historiens peuvent évaluer cette période parce qu’ils ont les outils. Sur ce point je pense que la loi sur la justice transitionnelle a fait un hold-up sur l’histoire nationale.

Le choix du début de l’indépendance est fondé sur l’idée d’une responsabilisation de l’État national de tout les maux qui ont conduit à la révolution. Comme si la révolution était contre l’État national et pas dans le cadre de cet État mais pour la justice.

Une telle lecture idéologique de l’histoire instaurerait une justice idéologique loin des exigences de la justice transitionnelle.

-Donc, le rôle de l’IVD ne réside pas uniquement dans l’indemnisation matérielle des victimes?

Bien sûr, il y a plusieurs phases: Du dévoilement de la vérité et de la sauvegarde de la mémoire; la recevabilité et la responsabilité pénale; la réparation et la réhabilitation; la réconciliation. Des tâches lourdes et je suis sceptique sur la capacité de cette instance à venir à bout de son travail.

Je pense que plusieurs organisations démocrates cherchent plutôt le dévoilement de la vérité que la réparation.

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