L e matin, l'heure est encore à l'hésitation. Les feuilles mortes jonchent les trottoirs depuis plusieurs semaines mais les températures sont encore clémentes. Pour cette fois-ci, la veste et le manteau peuvent encore rester au placard. Jusqu'à quand? Mercredi 21 septembre a commencé l'automne.
Ce changement de saison peut avoir des effets sur notre moral. Une psychologue du Pays de Galles, Ginny Sculy, parle même d'anxiété automnale pour qualifier le regain d'angoisses qui se fait parfois jour entre la fin de l'été et le début de cette nouvelle saison. Mais l'automne n'apporte pas seulement son lot de déprime.
Dans le dernier film de François Ozon, Frantz, actuellement au cinéma, le bruit du vent dans les feuilles en automne fait écho aussi bien à une belle histoire d'amour qu'à la mort de l'un des personnages. Le cinéaste n'est pas le seul à voir dans cette saison une telle dualité. Jaunissement des feuilles, températures qui descendent sont l'occasion de se laisser envahir par une sensation plutôt agréable, une douce mélancolie qui amène souvent à de la nostalgie, soit le regret d'une chose, d'une personne, d'un état que l'on a connu dans le passé.
Regarder la nature s'endormir avec le froid et en profiter pour se recentrer, au coin du feu, sur soi, sur son univers, sur ses souvenirs en somme. Sur le site Quora, où des internautes du monde entier postent des questions sur tous types de sujets, nombreux sont ceux qui ont même essayé de comprendre pourquoi l'automne pouvait provoquer ce genre d'émotions.
La nostalgie pour combattre la solitude
L'un d'entre eux avance que l'automne, ses paysages, ses parfums et le bruit du vent dans les feuilles peuvent agir comme "un détonateur qui débloque des souvenirs liés à l'enfance". Il va trop loin? Une autre internaute assume l'ambivalence de ce sentiment: "J'adore l'automne. Les feuilles qui tombent et le fait de penser à la mort peuvent souvent nous rendre déprimé ou triste, mais c'est plutôt sain de ressentir ça. Il ne faut pas le rejeter seulement parce que ce n'est pas joyeux."
Un chercheur anglais en psychologie, Constantine Sedikides, s'est interrogé sur la nostalgie qui s'était emparée de lui au souvenir de l'automne. Nous étions en 1999 et il venait de déménager. Était-ce le début d'une déprime comme lui suggérait l'un de ses collègues? Non, ce sentiment ne le rendait pas triste. C'est à partir de ce moment-là qu'il fit de la nostalgie son sujet d'étude. Il a ainsi pu faire avancer la recherche et démontrer que ce sentiment pouvait contrer l'isolement, l'ennui ou encore l'anxiété.
La nostalgie nous réchauffe, littéralement
"La nostalgie nous rend un peu plus humain", explique le professeur Sedikides au New York Times. Après avoir récolté de nombreuses histoires dans son laboratoire de recherche et sur la base d'un test qu'il a mis au point et qui fait désormais référence, ce chercheur a compris que les souvenirs nostalgiques sont un moyen de nous raccrocher à notre entourage: "Les histoires nostalgiques commencent souvent mal, sur la base d'un problème puis elles tendent à bien se terminer grâce à l'aide de quelqu'un de proche. Ainsi, on finit avec un sentiment renforcé d'appartenance et d'affiliation et l'on devient plus généreux envers les autres."
À la suite des travaux de Sedikides, deux équipes de recherche aux Pays-Bas et en Chine se sont intéressées au fait que la nostalgie ne nous réchauffait pas seulement le cœur mais le corps tout entier.
Cinq expériences ont ainsi été menées. Des volontaires ont tenu un journal de leurs pensées nostalgiques pendant 30 jours, les jours les plus froids ont aussi été les plus productifs. Une deuxième expérience a visé à comparer le ressenti d'un groupe de participants dans une salle à une température de 20°C, une autre à 24°C et une dernière à 28°C. Les participants ont ensuite répondu à un questionnaire visant à mesurer la niveau de nostalgie qui s'était emparé d'eux. C'est dans la première salle que la nostalgie a le plus été présente.
La troisième étude a fait écouter de la musique liée à la nostalgie en ligne et les internautes devaient ensuite dire si ce type de musique les avaient rendus nostalgiques, si oui, ils ont aussi affirmé s'être sentis plus au chaud. L'avant-dernière expérience a placé d'autres volontaires dans une pièce froide en leur demandant de se souvenir soit d'un événement qui les rendaient nostalgiques, soit d'un événement du passé anodin. Ils devaient ensuite deviner la température de la pièce. Les nostalgiques percevaient la pièce plus chaude qu'elle ne l'était. Pour la dernière expérience, des participants devaient penser au passé de manière nostalgique ou non et ensuite plonger leurs mains dans une bassine d'eau glacée. Les premiers ont tenu plus longtemps que les seconds.
Les jeunes adultes et les personnes âgées particulièrement sensibles à la nostalgie
Selon le professeur Wildschut qui travaille avec Constantine Sedikikes, ce rapport entre l'esprit et le corps pourrait être un mécanisme d'adaptation hérités de nos lointains ancêtres. Et voilà qui explique aussi peut-être pourquoi ce sentiment peut nous surprendre plus en automne qu'en été par exemple.
Une chercheuse en psychologie de l'Université de Surrey en Angleterre a aussi montré que certaines personnes étaient plus enclines que d'autres à se montrer nostalgiques, les jeunes adultes et les personnes âgées par exemple. Ce sentiment s'affirme en effet particulièrement pendant les périodes de transitions. En ce sens, l'automne est le moment parfait. L'année touche bientôt à sa fin. En un rien de temps, décembre et les fêtes de fin d'année seront là, d'où l'envie de se remémorer l'année mais aussi plus largement de bons souvenirs.
Ce que la recherche a pu prouver, certains l'avaient déjà touché du doigt. Un texte publié dans le Guardian en 1840 et mis en ligne en 2013 tente d'expliquer "la douce mélancolie de l'automne". "Devant la nature désolée, nous ressentons la petitesse de nos propres passions ; [...] nous imaginons les tombes de ceux que nous détestons et de ceux que nous aimons. Chaque passion néfaste retombe avec les feuilles qui tombent autour de nous ; et nous retournons lentement chez nous, retrouver les gens qui nous entourent avec le seul souhait de les éclairer ou de nous consacrer à eux." De quoi regarder les feuilles d'automne, emportées par le vent, en ronde monotone tomber en tourbillonnant d'un autre œil.
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