Mardi 11 octobre, un documentaire sur les juifs de Tunisie a été diffusé sur la chaîne Histoire.
Intitulé "Tunisie, la mémoire juive" et réalisé par Fatma Cherif, le documentaire revient sur le traces de cette communauté dont la population n'a cessé de décroître au cours du 20ème siècle.
"Le tournage de documentaire produit en 2014 n'a pas pris beaucoup de temps. Ce qui a pris le plus de temps, c'est la recherche d'archives, d'images et de coupures de journaux de l'époque" affirme Fatma Cherif, réalisatrice du documentaire au HuffPost Tunisie.
Un devoir de mémoire
Aborder une telle problématique pourrait s'avérer épineux, pourtant la réalisatrice s'y est préparée: "J'ai pris comme postulat de départ que j'allais être traitée de sioniste par les complotistes et d'antisémite par les sionistes".
Refusant le prisme de la peur, Fatma évoque une certaine responsabilité: "Tout le long de la fabrication du film j'ai eu un sentiment de responsabilité, vu le sujet qui est déjà nourri par beaucoup d'amalgames et investi par l'instrumentalisation politique".
Avant toute chose, Fatma Cherif a voulu que son travail soit "un devoir de mémoire qui rompt avec l’image folklorique et nostalgique de la Tunisie terre de tolérance. J'ai voulu restituer la parole aux juifs tunisiens qui sont partis; comment eux, de leur côté, ont vécu le départ".
Un accès aux archives semé d'embûches
Si Fatma Cherif avoue être allée de l'avant, elle a tout de même rencontré de nombreuses difficultés: "Les difficultés que j'ai rencontrées viennent des peurs des autres, et selon l'emplacement géographique nous faisons face à des peurs différentes", explique-t-elle.
Ainsi, en Tunisie, la peur qu'elle a rencontrée "c'est la peur de fouiller dans l'histoire, vu que dans chaque travail de mémoire, on situe les responsabilités".
Pour ce faire, elle cite l'épisode de la manifestations du 5 juin 1967 à Tunis où les boutiques des commerçants juifs ont été saccagés et la Synagogue brûlée. "Dans la mémoire collective, c’est une manifestation des étudiants qui a dégénéré, alors que c’est une manipulation politique" ajoute Fatma corroborant ses propos par un passage du livre "Le bon grain et l'ivraie" de Béji Caid Essebsi, alors ministre de l'Intérieur.
"Ayant cette information, je vais au ministère de l’Intérieur, croyant avoir la possibilité de faire une demande pour avoir accès à ces images d’archives mais j’ai eu face à moi des fonctionnaires qui m’ont ri au nez et qui bien sûr ne m’ont jamais donné accès aux archives" déplore Fatma avant d'ajouter: "Après la révolution, j’ai cru que l’Histoire du pays n’allait plus être l’histoire officielle qui servait de propagande mais les résistances du système de la dictature sont encore bien présentes et ça c’est du temps du président Béji Caid Essebsi".
En France, les peurs rencontrées ont été différentes: "la peur venait du fait que je sois de culture musulmane et que je fasse un film sur les juifs. Le préjugé dit que je ne peux pas avoir de l'empathie vis à vis des juifs. Il y a une peur que mon propos ne soit pas politiquement correct vis à vis d'eux et pour aller à l'extrême que je sois antisémite" affirme Fatma.
Malgré plusieurs difficultés au cour de sa fabrication, le documentaire prend tout de même forme, non sans concessions: "J’ai subi beaucoup de pression sur le contenu du film. L'intention était de me faire faire un film sur l'apport culturel des juifs de Tunisie, sur Hbiba Msika et Cheikh El Afrit...mais je me suis battue pour faire un film politique et historique qui raconte la complexité de la situation. Ma dernière version de montage a subi des modifications, pas dans sa globalité mais dans des subtilités qui donne un ton différent. j'espère qu'avec plus de notoriété j'aurais plus de liberté".
Plusieurs vagues de départ
Le documentaire revient sur les vagues de départs successifs des juifs de Tunisie. Au total, depuis la création d'Israël, la Tunisie a connu 4 vagues de départs.
La première a eu lieu avec la création d'Israël: "Les juifs de classes défavorisées surtout du sud et du centre du pays sont partis en espérant un nouvel Eldorado. La propagande sioniste contrairement à ce qu’on a toujours dit a fait un grand travail, l’idéologie sioniste était très prospère avec un grand nombre de journaux, des groupes d’entrainement et des cours d’hébreu dès les années 20" affirme la réalisatrice du documentaire.
Une deuxième vague a eu lieu lors de l'indépendance de la Tunisie: "la 2ème vient avec l’indépendance. Certains ont choisi de partir avec la France mais la Tunisie après son indépendance n’a pas fait de place non plus aux juifs".
Quelques années après l'indépendance, la crise de Bizerte survient. Elle sera l'occasion d'une troisième vague: "la 3ème vague de départ vient de l’ambiguïté de la position d’une minorité dans un pays colonisé. Ça a commencé par ce que certains ont appelé l’immigration culturelle, le fait d’adopter la langue et la culture française qui a vu ses limites avec la crise de Bizerte, où certains se sont retrouvés dans le camp français face aux Tunisiens" indique Fatma Cherif.
Enfin une 4ème vague de départ survient en 1967 "où les relations entre les juifs et les musulmans deviennent régies par le conflit Israélo-palestinien" décrit la réalisatrice.
Au vu de ces départs successifs, la réalisatrice en sort un point commun: "Ce qui est intéressant à retenir, c’est comment, les manipulations politiques sont au coeur de séparations", conclut-elle.
Pas l'idée de partir
Au plus près de la population juive de Tunisie, Fatma affirme que ceux qui sont restés ne parlent pas de départ: "Les juifs en Tunisie ont subi beaucoup de discriminations, en commençant par l'article 1er de la Constitution qui dit que la Tunisie est une république dont la religion est l'islam. Cet article laisse les juifs de côté, mais ceci ne se manifeste pas spécialement après la révolution" déclare t-elle.
S'ils se sentent discriminés, ils ne se sentent pas pour autant plus en insécurité depuis la révolution: "Si vous pensez au fait qu'Ennahda ait gagné les premières élections, figurez-vous qu'Ennahda est le seul parti qui a été voir la population juive de Djerba qui a d'ailleurs voté en grande partie pour elle aux premières élections. L'insécurité vient surtout du fait qu'il n'y ai pas d'État de droit, que nous n'avons pas une justice équitable, et qu'une minorité est encore plus vulnérable, c'est une cible plus facile".
Bien que certains tentent d'instrumentaliser un climat de peur pour qu'ils quittent la Tunisie, les juifs de Djerba estiment qu'il n'y a aucune raison de partir: "Il y a eu des actes antisémites mais les juifs de Djerba voient aussi le soutien que leur manifeste leurs voisins musulmans.
Israël a de son côté fait appel aux juifs de Tunisie pour faire leur 'Alya' (retour) et partir en Israël. Il y avait même une rumeur qui disait que les juifs qui partent en Israël ont droit à 20 mille dollars. Il y a le fait de profiter d’un climat de peur pour pousser les juifs à partir" affirme Fatma avant d'ajouter: "Mais les réactions que j'ai rencontré en voyant les gens, c'est que la Tunisie est leur pays et qu'il n y pas de raison de partir. La situation manque de sécurité mais elle l'est pour tous les Tunisiens et c'est une phase nécessaire après une révolution".
Intitulé "Tunisie, la mémoire juive" et réalisé par Fatma Cherif, le documentaire revient sur le traces de cette communauté dont la population n'a cessé de décroître au cours du 20ème siècle.
"Le tournage de documentaire produit en 2014 n'a pas pris beaucoup de temps. Ce qui a pris le plus de temps, c'est la recherche d'archives, d'images et de coupures de journaux de l'époque" affirme Fatma Cherif, réalisatrice du documentaire au HuffPost Tunisie.
Un devoir de mémoire
Aborder une telle problématique pourrait s'avérer épineux, pourtant la réalisatrice s'y est préparée: "J'ai pris comme postulat de départ que j'allais être traitée de sioniste par les complotistes et d'antisémite par les sionistes".
Refusant le prisme de la peur, Fatma évoque une certaine responsabilité: "Tout le long de la fabrication du film j'ai eu un sentiment de responsabilité, vu le sujet qui est déjà nourri par beaucoup d'amalgames et investi par l'instrumentalisation politique".
Avant toute chose, Fatma Cherif a voulu que son travail soit "un devoir de mémoire qui rompt avec l’image folklorique et nostalgique de la Tunisie terre de tolérance. J'ai voulu restituer la parole aux juifs tunisiens qui sont partis; comment eux, de leur côté, ont vécu le départ".
Un accès aux archives semé d'embûches
Si Fatma Cherif avoue être allée de l'avant, elle a tout de même rencontré de nombreuses difficultés: "Les difficultés que j'ai rencontrées viennent des peurs des autres, et selon l'emplacement géographique nous faisons face à des peurs différentes", explique-t-elle.
Ainsi, en Tunisie, la peur qu'elle a rencontrée "c'est la peur de fouiller dans l'histoire, vu que dans chaque travail de mémoire, on situe les responsabilités".
Pour ce faire, elle cite l'épisode de la manifestations du 5 juin 1967 à Tunis où les boutiques des commerçants juifs ont été saccagés et la Synagogue brûlée. "Dans la mémoire collective, c’est une manifestation des étudiants qui a dégénéré, alors que c’est une manipulation politique" ajoute Fatma corroborant ses propos par un passage du livre "Le bon grain et l'ivraie" de Béji Caid Essebsi, alors ministre de l'Intérieur.
Le passage en question affirme: "Nous organisons dans une salle de cinéma et en présence des cadres du parti, la projection des séquences filmées par le service d'ordre. Nous découvrons alors le vrai visage des manifestants et nous réalisons que de nombreux militants sortis de la réunion tenue dans l'enceinte de la foire de Tunis, étaient effectivement mêlés à la foule des casseurs"
"Ayant cette information, je vais au ministère de l’Intérieur, croyant avoir la possibilité de faire une demande pour avoir accès à ces images d’archives mais j’ai eu face à moi des fonctionnaires qui m’ont ri au nez et qui bien sûr ne m’ont jamais donné accès aux archives" déplore Fatma avant d'ajouter: "Après la révolution, j’ai cru que l’Histoire du pays n’allait plus être l’histoire officielle qui servait de propagande mais les résistances du système de la dictature sont encore bien présentes et ça c’est du temps du président Béji Caid Essebsi".
En France, les peurs rencontrées ont été différentes: "la peur venait du fait que je sois de culture musulmane et que je fasse un film sur les juifs. Le préjugé dit que je ne peux pas avoir de l'empathie vis à vis des juifs. Il y a une peur que mon propos ne soit pas politiquement correct vis à vis d'eux et pour aller à l'extrême que je sois antisémite" affirme Fatma.
Malgré plusieurs difficultés au cour de sa fabrication, le documentaire prend tout de même forme, non sans concessions: "J’ai subi beaucoup de pression sur le contenu du film. L'intention était de me faire faire un film sur l'apport culturel des juifs de Tunisie, sur Hbiba Msika et Cheikh El Afrit...mais je me suis battue pour faire un film politique et historique qui raconte la complexité de la situation. Ma dernière version de montage a subi des modifications, pas dans sa globalité mais dans des subtilités qui donne un ton différent. j'espère qu'avec plus de notoriété j'aurais plus de liberté".
Plusieurs vagues de départ
Le documentaire revient sur les vagues de départs successifs des juifs de Tunisie. Au total, depuis la création d'Israël, la Tunisie a connu 4 vagues de départs.
La première a eu lieu avec la création d'Israël: "Les juifs de classes défavorisées surtout du sud et du centre du pays sont partis en espérant un nouvel Eldorado. La propagande sioniste contrairement à ce qu’on a toujours dit a fait un grand travail, l’idéologie sioniste était très prospère avec un grand nombre de journaux, des groupes d’entrainement et des cours d’hébreu dès les années 20" affirme la réalisatrice du documentaire.
Une deuxième vague a eu lieu lors de l'indépendance de la Tunisie: "la 2ème vient avec l’indépendance. Certains ont choisi de partir avec la France mais la Tunisie après son indépendance n’a pas fait de place non plus aux juifs".
Quelques années après l'indépendance, la crise de Bizerte survient. Elle sera l'occasion d'une troisième vague: "la 3ème vague de départ vient de l’ambiguïté de la position d’une minorité dans un pays colonisé. Ça a commencé par ce que certains ont appelé l’immigration culturelle, le fait d’adopter la langue et la culture française qui a vu ses limites avec la crise de Bizerte, où certains se sont retrouvés dans le camp français face aux Tunisiens" indique Fatma Cherif.
Enfin une 4ème vague de départ survient en 1967 "où les relations entre les juifs et les musulmans deviennent régies par le conflit Israélo-palestinien" décrit la réalisatrice.
Au vu de ces départs successifs, la réalisatrice en sort un point commun: "Ce qui est intéressant à retenir, c’est comment, les manipulations politiques sont au coeur de séparations", conclut-elle.
Pas l'idée de partir
Au plus près de la population juive de Tunisie, Fatma affirme que ceux qui sont restés ne parlent pas de départ: "Les juifs en Tunisie ont subi beaucoup de discriminations, en commençant par l'article 1er de la Constitution qui dit que la Tunisie est une république dont la religion est l'islam. Cet article laisse les juifs de côté, mais ceci ne se manifeste pas spécialement après la révolution" déclare t-elle.
S'ils se sentent discriminés, ils ne se sentent pas pour autant plus en insécurité depuis la révolution: "Si vous pensez au fait qu'Ennahda ait gagné les premières élections, figurez-vous qu'Ennahda est le seul parti qui a été voir la population juive de Djerba qui a d'ailleurs voté en grande partie pour elle aux premières élections. L'insécurité vient surtout du fait qu'il n'y ai pas d'État de droit, que nous n'avons pas une justice équitable, et qu'une minorité est encore plus vulnérable, c'est une cible plus facile".
Bien que certains tentent d'instrumentaliser un climat de peur pour qu'ils quittent la Tunisie, les juifs de Djerba estiment qu'il n'y a aucune raison de partir: "Il y a eu des actes antisémites mais les juifs de Djerba voient aussi le soutien que leur manifeste leurs voisins musulmans.
Israël a de son côté fait appel aux juifs de Tunisie pour faire leur 'Alya' (retour) et partir en Israël. Il y avait même une rumeur qui disait que les juifs qui partent en Israël ont droit à 20 mille dollars. Il y a le fait de profiter d’un climat de peur pour pousser les juifs à partir" affirme Fatma avant d'ajouter: "Mais les réactions que j'ai rencontré en voyant les gens, c'est que la Tunisie est leur pays et qu'il n y pas de raison de partir. La situation manque de sécurité mais elle l'est pour tous les Tunisiens et c'est une phase nécessaire après une révolution".
Pour ceux qui ont raté la diffusion du documentaire "Tunisie, la mémoire juive", plusieurs rediffusions sont prévues sur la chaîne Histoire: Le samedi 15 octobre 2016 À 16:25, le mercredi 26 octobre 2016 À 07:20 et enfin le mercredi 02 novembre 2016 À 00:10.
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