En Tunisie, l'immolation par le feu d'un vendeur ambulant a déclenché la révolution de 2011. Aujourd'hui, le pays s'inquiète de
l'augmentation "constante" du nombre de suicides, l'un des signes du malaise économique et social qui traverse la société.
Si le geste de désespoir de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid (centre), a durablement marqué les esprits, cette hausse "a déjà été notée (...) depuis plus d'une dizaine d'années", indique à l'AFP la pédopsychiatre Fatma Charfi, présidente du comité de lutte contre le suicide.
Créé début 2015 après les "signaux d'alarme" de nombreux professionnels, ce comité dépendant du ministère de la Santé a été chargé de la mise en place d'une stratégie nationale de prévention avec notamment, pour la première fois, la collecte de chiffres au niveau national.
L'an dernier, 365 cas de suicide ont ainsi officiellement été enregistrés pour une population de 11 millions d'habitants, soit une incidence de 3,27 pour 100.000. Les jeunes sont les plus touchés, près de la moitié des victimes ayant de 20 à 39 ans.
"Fait très grave"
Si ces chiffres sont loin d'atteindre les taux exponentiels d'autres pays --23,1 pour 100.000 au Japon et 33,5 pour 100.000 en Lituanie par exemple selon l'Organisation mondiale de la Santé--, le fait que l'augmentation soit "constante" est "un fait très grave", souligne le Dr Charfi.
Le pays ne disposant pas encore de registre national --le projet est en cours--, mesurer cette hausse est difficile. Sous la dictature, "il n'y avait pas (de données complètes), il y avait ce complexe (qui nous faisait dire) nous n'avons pas de suicides, nous n'avons pas de violences", déclare à l'AFP Abdessattar Sahbani, du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), une ONG.
Mais "quand on compare les données des quelques services de médecine légale des années 1990, 2000 et après 2010", l'augmentation est là, dit le Dr Charfi.
Fait marquant de l'après-révolution, la hausse des immolations par le feu, devenues le deuxième geste suicidaire (plus de 15%) derrière la pendaison (presque 60%) et avant l'ingestion de médicaments (6,5%).
Un indéniable "effet Bouazizi", selon les spécialistes.
De janvier à juin 2011, la Tunisie a connu plusieurs dizaines de cas. Et des immolations et menaces de suicide par immolation, individuelles mais aussi collectives, se produisent toujours.
"On s'attendait à ce qu'en 2015, on commence à enregistrer une baisse (des immolations), mais c'est stable depuis 2011", déplore le Dr Charfi.
Même si le suicide est toujours la résultante d'une accumulation de facteurs --et intervient souvent après des maladies mentales comme la dépression--, la dégradation du climat économique et social n'est pas étrangère à cet inquiétant constat.
"C'est bien sûr lié (aux problèmes socio-économiques) (...), le résultat de l'absence d'espoir", affirme M. Sahbani, du FTDES.
Les jeunes sont les plus touchés par le chômage, et les manifestations pour l'emploi sont souvent l'occasion d'exprimer un profond mal-être.
Assistant en médecine à l'hôpital Charles-Nicolle de Tunis, Mehdi Ben Khelil est co-auteur d'une étude sur l'impact de la révolution sur le suicide.
Il dit avoir noté une augmentation des suicides en 2011-2012 puis "une petite diminution", avant "un deuxième pic à partir de 2014".
Ce dernier s'explique notamment par la difficulté de "la période de transition" politique et l'impact de "la crise macro-économique sur les individus", confirme M. Ben Khelil. Depuis 2011, "on a plus de sujets (victimes) sans profession" ou qui connaissent des "problèmes financiers".
Rôle des médias
Longtemps tabou, interdit en islam, la religion de la majorité des Tunisiens, le suicide est de plus en plus publiquement abordé.
Mais la surmédiatisation peut avoir des effets dévastateurs, avertissent les cliniciens.
"Le constat est malheureusement un peu affligeant pour la presse. On parle en Tunisie de suicide mais de manière inappropriée en général", a reconnu lors d'un récent colloque Ourida Boussada, enseignante à l'IPSI, la plus ancienne école de journalisme du pays.
Une charte est d'ailleurs en cours d'élaboration en partenariat avec cette école, le syndicat des journalistes et la Haica, l'instance chargée de l'audiovisuel.
Mme Boussada regrette "la recherche du sensationnel", avec parfois la divulgation de détails intimes sur la vie de la victime.
Or "il faut aborder le suicide en dehors des faits divers, comme un problème de santé publique, ne pas isoler le suicide à une seule cause et limiter les détails (...), pour que les gens vulnérables n'aient pas la tentation d'utiliser le même procédé", a-t-elle insisté.
l'augmentation "constante" du nombre de suicides, l'un des signes du malaise économique et social qui traverse la société.
Si le geste de désespoir de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid (centre), a durablement marqué les esprits, cette hausse "a déjà été notée (...) depuis plus d'une dizaine d'années", indique à l'AFP la pédopsychiatre Fatma Charfi, présidente du comité de lutte contre le suicide.
Créé début 2015 après les "signaux d'alarme" de nombreux professionnels, ce comité dépendant du ministère de la Santé a été chargé de la mise en place d'une stratégie nationale de prévention avec notamment, pour la première fois, la collecte de chiffres au niveau national.
L'an dernier, 365 cas de suicide ont ainsi officiellement été enregistrés pour une population de 11 millions d'habitants, soit une incidence de 3,27 pour 100.000. Les jeunes sont les plus touchés, près de la moitié des victimes ayant de 20 à 39 ans.
"Fait très grave"
Si ces chiffres sont loin d'atteindre les taux exponentiels d'autres pays --23,1 pour 100.000 au Japon et 33,5 pour 100.000 en Lituanie par exemple selon l'Organisation mondiale de la Santé--, le fait que l'augmentation soit "constante" est "un fait très grave", souligne le Dr Charfi.
Le pays ne disposant pas encore de registre national --le projet est en cours--, mesurer cette hausse est difficile. Sous la dictature, "il n'y avait pas (de données complètes), il y avait ce complexe (qui nous faisait dire) nous n'avons pas de suicides, nous n'avons pas de violences", déclare à l'AFP Abdessattar Sahbani, du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), une ONG.
Mais "quand on compare les données des quelques services de médecine légale des années 1990, 2000 et après 2010", l'augmentation est là, dit le Dr Charfi.
Fait marquant de l'après-révolution, la hausse des immolations par le feu, devenues le deuxième geste suicidaire (plus de 15%) derrière la pendaison (presque 60%) et avant l'ingestion de médicaments (6,5%).
Un indéniable "effet Bouazizi", selon les spécialistes.
De janvier à juin 2011, la Tunisie a connu plusieurs dizaines de cas. Et des immolations et menaces de suicide par immolation, individuelles mais aussi collectives, se produisent toujours.
"On s'attendait à ce qu'en 2015, on commence à enregistrer une baisse (des immolations), mais c'est stable depuis 2011", déplore le Dr Charfi.
Même si le suicide est toujours la résultante d'une accumulation de facteurs --et intervient souvent après des maladies mentales comme la dépression--, la dégradation du climat économique et social n'est pas étrangère à cet inquiétant constat.
"C'est bien sûr lié (aux problèmes socio-économiques) (...), le résultat de l'absence d'espoir", affirme M. Sahbani, du FTDES.
Les jeunes sont les plus touchés par le chômage, et les manifestations pour l'emploi sont souvent l'occasion d'exprimer un profond mal-être.
Assistant en médecine à l'hôpital Charles-Nicolle de Tunis, Mehdi Ben Khelil est co-auteur d'une étude sur l'impact de la révolution sur le suicide.
Il dit avoir noté une augmentation des suicides en 2011-2012 puis "une petite diminution", avant "un deuxième pic à partir de 2014".
Ce dernier s'explique notamment par la difficulté de "la période de transition" politique et l'impact de "la crise macro-économique sur les individus", confirme M. Ben Khelil. Depuis 2011, "on a plus de sujets (victimes) sans profession" ou qui connaissent des "problèmes financiers".
Rôle des médias
Longtemps tabou, interdit en islam, la religion de la majorité des Tunisiens, le suicide est de plus en plus publiquement abordé.
Mais la surmédiatisation peut avoir des effets dévastateurs, avertissent les cliniciens.
"Le constat est malheureusement un peu affligeant pour la presse. On parle en Tunisie de suicide mais de manière inappropriée en général", a reconnu lors d'un récent colloque Ourida Boussada, enseignante à l'IPSI, la plus ancienne école de journalisme du pays.
Une charte est d'ailleurs en cours d'élaboration en partenariat avec cette école, le syndicat des journalistes et la Haica, l'instance chargée de l'audiovisuel.
Mme Boussada regrette "la recherche du sensationnel", avec parfois la divulgation de détails intimes sur la vie de la victime.
Or "il faut aborder le suicide en dehors des faits divers, comme un problème de santé publique, ne pas isoler le suicide à une seule cause et limiter les détails (...), pour que les gens vulnérables n'aient pas la tentation d'utiliser le même procédé", a-t-elle insisté.
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