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La génération montante d'Ennahdha

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Moderne dans ses moyens de communication, nourrie au spectacle politique à l’anglo-saxonne, la jeune garde d’Ennahdha renouvelle l’image d’un vieux parti par sa manière d’exercer ses mandats, ou d’occuper l’espace médiatique.

Qui sont ces louveteaux de l’ "Islam démocratique" tunisien? Quelles sont leurs références doctrinales, leurs valeurs?

A la rencontre de la prochaine génération des leaders d’Ennahdha.


La coupole du stade olympique de Radès surplombe une foule illuminée aux couleurs du parti Ennahda, rouge et bleu, tandis que son président, Rached Ghannouchi, s’installe au pupitre. Depuis plus d’une heure déjà, les orateurs et les clips mettant en scène les plus grandes mosquées du pays se succèdent. Le mot d’ordre qui domine l’ouverture de ce 10e congrès du parti islamiste tunisien: l’union nationale. Elle fut symbolisée par la présence acclamée du président Béji Caid Esebssi au côté de Ghannouchi, quelques instants plus tôt.

Au milieu des clameurs, Aziza se tient debout dans l’allée qui traverse le public, les mains jointes et le regard chargé d’espoir. Elle fait partie de ces bataillons de jeunes femmes qui furent les chevilles ouvrières d’un événement réglé comme un show politique à l’américaine. "C’est un moment important pour nous, les militants, mais aussi pour toute la jeunesse tunisienne. Il faut qu’elle prenne sa part de la transition démocratique."

Quelques pas plus loin, un jeune cadre du parti confiera: "cette année, on est là pour s’imposer". Ennahdha, qui sait mettre en avant ses femmes et ses juniors en période électorale, est il prêt à renouveler ses instances autant que ses discours?

Une issue du congrès mitigée pour l’aile jeune

Cette envie d’exister au sein d’un parti qui puise ses racines 40 ans plus tôt, on la retrouve qui traverse toute la jeunesse d’Ennahdha. Des élus charismatiques révélés lors des deux dernières élections, aux militants de terrain, tous ont envie de montrer que les jeunes se préparent à prendre la relève.

Imen Ben Mhamed nous reçoit un jour de plénière à l’Assemblée: elle est pressée, et très sollicitée. Perchée sur des talons discrets, la députée de 31 ans, coiffée d’un élégant hijab parme, maquillée de bon goût, rayonne naturellement dans cet environnement solennel. "Notre rapport avec les anciens est celui d’un dialogue, c’est comme une filiation. Nous amenons une autre mentalité, nous avons pour nous d’être créatifs, et d’être nés dans les nouvelles technologies. Mais les ainés nous encadrent et nous amènent à plus de flexibilité. C’est normal, avec l’âge et l’expérience, ils ont appris à pratiquer le consensus".

C’est son deuxième mandat, après avoir déjà été élue à l’Assemblée Constituante en 2011. Imen Ben Mhamed a du talent, et maîtrise parfaitement les codes de la communication politique. C’est d’ailleurs certainement pour ça que le service de presse nous a adressée à elle. "Il est certain que la place des jeunes n’est pas encore ce qu’elle devrait être. Mais c’est toute la politique tunisienne qui est vieillissante, le problème dépasse Ennahdha. Et nous avons progressé depuis 2012".

Sauf qu’à l’examen des résultats du congrès, le moins qu’on puisse dire est que les ambitions des juniors du parti n’ont pas été comblées.

Sur 100 membres élus du majlis choura (l’organe législatif), seulement 9 sont issus de l’aile jeune, malgré un règlement intérieur qui stipule un quota à atteindre de 10%.

6 autres pourraient être désignés lors de la constitution du bureau exécutif, puisque certaines personnalités de la choura devraient laisser leur siège à l’occasion.

Des annonces en faveur des jeunes

Cette frilosité à faire entrer les jeunes dans les instances décisionnaires est en contradiction avec les ambitions affichées du programme politique, distribué aux journalistes à la sortie du congrès.

Le point [d], un des plus développés, met l’accent sur "le renouvellement de l’élite politique", en "préparant les leaders charismatiques porteurs d’une vision pour le pays, et qui incarnent le rêve tunisien, autant que le rêve arabe". D’ailleurs, une académie politique devrait voir le jour, pour former les futurs cadres du parti. Reste à savoir si la résolution adoptée lors des débats sera appliquée dans des délais raisonnables.

Ce sont les avancées obtenues lors des débats, que Hichem Laârayedh qualifie volontiers de vigoureux. Lui-même est un de ces jeunes leaders. Fils de l’ancien Premier Ministre Ali Laârayedh, il a 28 ans et vient d’être reconduit au majlis choura pour la deuxième fois.

Son appréciation de la problématique est plus tranchée que les propos consensuels d’Imen Ben Mhamed: "Il y a presque 25% des adhérents d’Ennahdha qui sont âgés de moins de 35 ans, mais leur niveau d’implication dans la vie du parti reste insatisfaisante. Une autre raison à prendre en compte est qu’il y a eu une interruption de vingt ans de nos activités publiques. Si bien qu’aujourd’hui, certains qui sont nés avant les années 1980, et qui sont au dessus de la limite d’âge statutaire (35ans, n.d.l.), s’estiment encore jeunes, parce qu’ils n’ont pas eu l’occasion d’arriver au pouvoir. Ils n’entendent pas passer leur tour pour l’exercice du leadership".

Une génération déterminée qui rafraichit l’image du mouvement

Le trait de caractère qui semble commun à cette génération de militants et d’élus est la détermination.

A l’image de la députée Saida Ounissi (élue sur la liste Français - Nord), très populaire et médiatique, qui signe dans le Huffington Post sur les féministes militantes de son panthéon personnel, sur les Femen, et sur les relations diplomatiques de la Tunisie. Ou à l’image de Maher, ce garçon de 23 ans qui se tenait quelques pas derrière Aziza pendant le meeting, costume impeccable, français hésitant, deux smartphones à la main, et qui était convaincu que les jeunes allaient peser sur l’adoption d’une nouvelle stratégie de conquête du pouvoir.

Une jeunesse qui serait l’incarnation parfaite de cette alliance entre les valeurs musulmanes, la modernité, et le retour à la tunisianité promue dans les discours de ces dernières semaines.

Ainsi donc, elle serait la meilleure porte-parole de la séparation entre les activités de prédication, et les activités politiques d’Ennahdha, telle qu’annoncée par Ghannouchi, dans ses déclarations pré-congrès.

Les jeunesse d’Ennahdha entre conservatisme et modernité

"En termes de communication, ce sont les meilleurs!" confirme Haythem El Mekki, commentateur acéré de la vie politique, qui tient une chronique satirique quotidienne sur Radio Mosaïque.

"Ils jouent la ligue des champions, quand les autres restent en 2e division. D’ailleurs heureusement qu’ils sont bons, quand on sait qu’ils engagent les meilleurs communicants américains." affirme t-il.


Le retour à l’ancrage tunisien d’Ennahdha aurait donc été pensé à l’étranger? L’exemple du Parti Républicain à la Reagan revient souvent dans le discours de nos trentenaires, quand leurs aînés évoquent plutôt les Chrétiens Démocrates allemands. Ce qui distingue ces deux références? Une certaine culture du show politique.

"Mais si l’on parle des jeunes nahdaouis, il ne faut pas les réduire à la image de Saida Ounissi", poursuit Haythem El Mekki. A savoir compétents, modernes, présents sur Twitter, et nourris au langage globalisé de la communication politique.

"La jeunesse d’Ennhadha est diverse. Outre l’élite formée à l’étranger, très compétente, et qui représente le véritable avenir, il y a les enfants des fondateurs, qui sont indéfectiblement liés à la base idéologique du parti. Mais il y a aussi toute une jeunesse recrutée après 2011 et qui, bien souvent, n’avait aucune culture politique. Ils ont adhéré juste après la révolution, quand le débat était encore organisé sur une vision binaire, où l’ancien régime de Ben Ali représentait le vice et la corruption, Ennahdha incarnait la pureté morale et révolutionnaire. Si ceux qui sont restés dans le mouvement ont eu le temps de mûrir leur vision politique, à l’époque ils ne savaient pas faire la différence entre un salafiste et les Frères Musulmans" renchérit-il.

Former la relève

C’est donc là un défi majeur du parti, que de former une génération née dans un vide politique et intellectuel, organisé par la dictature pour éviter que les Tunisiens ne développent une conscience citoyenne dangereuse.

C’est aussi toute l’ambigüité dans laquelle évolue Ennahdha, un mouvement conservateur qui devra élargir sa base électorale s’il veut conquérir le pouvoir, et donc convaincre les élites urbaines que cette fois ci, il est prêt à gouverner. A ce titre, la jeune garde est un atout électoral majeur. Ce qu’elle compte bien mettre en avant lors des tractations pour la constitution des listes aux municipales en mars 2017.

Apaisée et actuelle, la jeunesse d’Ennahdha aurait pour elle de ne pas avoir connu "la rugosité des conflits universitaires" au sein desquelles a surgi le mouvement dans sa forme première, d’après Imen Ben Mhamed.

Mais comme sur bien des sujets, la voix singulière d’Hichem Laârayedh se montre légèrement dissonante. "J’ai commencé à militer à la fac, après avoir rencontré d’autres étudiants islamistes. A l’époque, on voulait tout lire, tout comprendre, on prenait n’importe quel bout de papier qu’on trouvait et on en débattait, clandestinement. Les penseurs islamiques, mais aussi Mao, Marx, même Samuel Huttington et sa guerre des civilisations. On voulait pouvoir se former au débat, et se confronter aux étudiants de gauche. A l’époque c’était très vif, et je me suis même bagarré!" déclare t-il.

Une jeunesse d’opposants sous la dictature

Hichem Laârayedh fait partie de ceux qui, au sein de cette génération, se sont toujours préparés à la confrontation politique.

A l’image de nombreux islamistes de son âge, il a connu les visites à son père en prison, le harcèlement policier, et les brimades quotidiennes. Un autre destin que celui, finalement plus rare, d’Imen Ben Mhamed qui a grandi en Italie, de Saida Ounissi en France, ou même d’Initissar Kherigi, fille de Rached Ghannouchi et doctorante, formée à la London School of Economics (apolitique, mais engagée, comme elle se présente).

Cette enfance sous la dictature explique probablement les positions parfois plus dures de cette frange de la jeune garde.
Concernant la séparation de la prédication et de la politique, Hichem Laârayedh n’hésite pas à dire qu’à ses yeux il s’agit d’un faux problème. "Quand Mike Huckabee prend la tête d’une paroisse après sa défaite aux primaires, il dit qu’il se donnera pour mission d’inciter les gens à se déplacer pour voter. Vous pensez qu’il va leur dire de voter Clinton? Les Républicains ont peut-être dépassé leurs complexes, contrairement à nous".

Quant à la réinstallation de la statue de Bourguiba au centre ville, c’est un retour en arrière qui l’ulcère. "Cette révolution s’est faite contre l’ancien régime! Et l’ancien régime, c’est Ben Ali, mais c’est aussi Bourguiba!".

L’avènement de la jeunesse sera un combat

Si les discours ambiants sont à l’unité nationale et à la recherche d’une "stabilité" pour le projet démocratique tunisien, les mots d’Hichem Laârayedh, à l’unisson de ceux que l’on nomme "les faucons" d’Ennahdha, laissent voir que la réconciliation n’est pas encore à l’ordre du jour. En témoigne la polémique surgie cette semaine, sur l’affichage du portrait de Mehrez Bouggada en martyr, à l’arrière scène du congrès.

Pour ce qui est de l’avènement d’une nouvelle génération de l’Islam politique, il est encore sous contrôle du bon vouloir des ainés.

La jeunesse reste sous représentée, et devra jouer des coudes pour obtenir d’être bien classée dans les listes aux municipales. Comme nous le confiait Karim Azouz, ex-consul général en France et militant de premier plan, "après tout, il faut se battre pour prendre sa place au pouvoir. A eux de se former pour gagner la leur".

L'auteur de cet article, Laura-Maï Gaveriaux est reporter indépendante et chercheuse en philosophie. Elle collabore avec le HuffPost Tunisie.


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