Si à l’étranger on ne présente plus les DJettes à succès Miss Kittin, Nina Kravitz ou Ellen Allien, les femmes restent clairement moins présentes que les hommes derrière les platines. Ces DJs au féminin sont pourtant de plus en plus nombreuses, un phénomène qui prend aussi de l’ampleur en Tunisie ces dernières années.
Ce n’est pas une nouveauté, la Tunisie regorge de DJs talentueux. Si vous êtes amateur de musique électronique, vous connaissez certainement Dhekra Chebbi aka "Miss M" une des doyennes des DJs tunisiennes. Classée 3eme du "top 50 des DJs tunisiens de l’année 2016" de la revue électro tunisienne People’s Beats face à une écrasante majorité d’hommes, elle a mixé en 2016 au célèbre Space à Ibiza et pendant la SónarOff Week à Barcelone.
Elle n’est pas la seule tunisienne à s’imposer dans ce milieu essentiellement masculin: Magada, Deena Abdelwahed, Ines Afs, Su, Oz, Emna Ben Romdhane, Louma Debbiche, Emna Hafayed ou encore Missy Ness...ces dernières années, ce sont autant de noms qui font vibrer les soirées électro. Et il y en a pour tous les goûts: de l’underground au plus accessible, dans les styles house, pop, techno, funk, minimal, groove, R&B, ou encore hip-hop. Au delà d’une passion commune pour la musique, ces jeunes femmes semblent partager une même fierté féminine et une profonde volonté de lutter contre les idées reçues.
Afin de mieux comprendre cette montée en puissance des Djs tunisiennes, le Huffpost Tunisie a rencontré pour vous l’une d’elles. Derrière sa tête d’ange, la talentueuse Ines Affes aka "InesAfs" a su s’imposer en faisant ses preuves dans de nombreux lieux de la musique électro en Tunisie et à l’étranger (Wax, Yüka, Batofar, Nüba…). Au cœur de ce phénomène, elle nous explique son parcours de femme DJ et son ressenti sur le sujet:
HuffPost Tunisie: Comment t’est venu le goût des platines?
Ines Afs: J’aime ça depuis que je suis petite, un jour un ami m’a appris, m’a encouragé et je me suis lancée depuis maintenant 5-6 ans. J’étais à Paris pendant 3 ans et j’ai fait une école de son là-bas. En cours, nous étions 30 dont seulement 5 filles DJs, et encore ça paraissait beaucoup !
Comment ressens-tu le fait d’être une femme dans ce milieu encore très masculin? Quelles sont les difficultés que tu as pu rencontrer en tant que femme DJ?
Personnellement, je trouve que c’est un peu difficile dans le sens où on attend toujours plus d’une fille. On a l’impression qu’une fille ne sait pas faire de la musique et que quelqu’un est surement derrière en train de l’aider. On est toujours plus exigent avec les filles… Tu sens vraiment parfois que les hommes ne te prennent pas au sérieux.
Il faut travailler encore plus quand on est une femme car c’est un milieu macho! Tu dois vraiment faire tes preuves, pour dire "voilà moi je mixe bien!".
C’est vrai que même au quotidien j’avais du mal au début, à être la seule fille. J’ai participé au festival Sounds of Sahara à Tozeur, l’année dernière, j’étais la seule DJ femme, il y avait 700 garçons devant moi. J’ai été interrogée à ce sujet, on m’a demandé si je n’avais pas ressenti trop de brutalité. C’était brutal c’est vrai, du coup j’ai joué de la grosse musique brutale, tu ressens vraiment la force à ce moment là. Il y avait mon copain avec qui je mixe souvent mais on m’a dit "non, on veut que tu montes seule sur scène devant tous les mecs!".
Dans certains endroits, les gens ne sont pas du tout habitués à voir une femme derrière les platines, ils te regardent, on dirait un théâtre, c’est un peu gênant parfois!
Mais il y a aussi certains avantages…
Oui, c’est toujours rare d’avoir des filles DJs et on est plus demandées que les hommes, dans ce sens c’est plus facile peut-être.
Personnellement j’essaie de ne pas jouer sur le côté fille, je fais en sorte que les gens apprécient d’abord ma musique et qu’après seulement ils se rendent compte que je suis une fille. Mais bon, je sais que même dans ma musique j’ai ma petite touche féminine, j’aime bien les mélodies qu’on sent un peu féminines. J’ai justement fait un duo avec mon copain par rapport à ça. J’aime bien produire des sons un peu "smooth" et lui aime bien le groove donc c’est intéressant, tu sens un mélange.
Justement, on remarque que certaines DJs empruntent des noms de scène à consonance plutôt masculine, c’est un hasard ou tu penses qu’il y a vraiment une volonté de dissimuler sa féminité?
Oui, il y a cette volonté, j’ai remarqué cela à l’étranger aussi. Parfois, j’apprécie vraiment un artiste et je me rends compte plus tard que c’est une fille car elle aura tout fait pour ne pas qu’on s’en rende compte.
Tu nous as confirmé qu’une femme devait savoir s’imposer d’avantage, comment te démarques-tu derrière les platines? La Djette a un style qui lui est propre?
Je m’habille d'une manière un peu féminine quand je mixe. De manière générale, les DJs se démarquent souvent avec leur style, leur coiffure... ça colle avec la musique qu’ils produisent.
Je pense à une fille que je connais qui a fait un label de musique minimale ne réunissant que des filles, et qui ont lancé en parallèle une ligne de vêtements de style minimal aussi… ça me paraît assez naturel finalement.
De mon côté, j’essaie de me mettre en avant avec mes productions, ma musique. Au début, j’ai fait l’effort de me démarquer un peu physiquement, plus aujourd’hui, après ça devient naturel. Mais c’est vrai que beaucoup de DJettes sont à fond dans l’apparence. Quand je mixe dans des bars je mixe de la House, disco, des choses un funky et je m’habille avec des couleurs, mais si j’ai vraiment un festival ou une soirée techno je vais m’habiller en noir parce que la musique est sombre.
Quelles sont tes influences? Un exemple de DJette qui a pu t’encourager?
J’aime bien les débuts de Nina Kravitz, j’apprécie beaucoup Laurent Garnier car il est resté fidèle à lui même, à son style tout au long de sa carrière. Il y a plein de DJs filles que j’apprécie, mais elles ne sont pas toujours connues, comme la française Hydrangea qui est aussi graphiste. J’ai plusieurs copines DJs même si on ne partage pas toujours le même univers musical ou le même style. On parlait de Deena Abdelwahed, qui est Paris maintenant, son style est très underground, j’aime bien ce qu’elle fait.
Les Djettes sont de plus en plus nombreuses que penses-tu de cette présence féminine grandissante derrière les platines en Tunisie?
J’en suis très contente, j’aimerais bien avoir vraiment des concurrentes, qu’il y ait plus de filles qui produisent, j’aime les défis!
D’ailleurs, la production devrait être plus encouragée en Tunisie, je trouve qu’on facilite trop le travail: dans certains endroits ils prennent un ordinateur et font une playlist, je considère qu’il faut plus de respect vis à vis de ce métier. C’est en produisant que tu contribues à la musique électronique.
Le milieu n’est pas assez encouragé, on ne considère pas ça comme un travail, une vrai culture. Dans quelques festivals on a compris que les jeunes aimaient ça, que ça boostait un peu le tourisme mais on est encore loin d’un encouragement.
Je suis rentrée à Tunis il y a un an, après 3 ans à Paris et j’ai eu le plaisir de constater l’arrivée de ces nouvelles DJs comme Oz et la création de projets, de workshops mettant à l’honneur la femme comme "Les Nouvelles Antigones". C’est ce genre de projets qui nous encouragent vraiment!
À ton avis qu’est ce qui a stimulé ce phénomène?
Je pense que c’est l’art de manière générale qui s’est développé après la révolution. Avant, on n’était pas libre de pouvoir s’exprimer, sortir, jouer de la musique. Les filles osaient encore moins, aujourd’hui on s’encourage entre nous.
Comment imagines-tu l’avenir des femmes DJs en Tunisie?
Si tu ne mixes que dans ton pays tu seras une DJ locale. Personnellement, j’ai vraiment évolué quand je suis partie en France. Ici en Tunisie, on essaie d’évoluer, c’est plus compliqué, ce sont nous, les artistes qui imposons la musique électronique. On n’est pas vraiment dans l’échange. Mais je reste optimiste et je pense qu’on sera de plus en plus nombreuses!
Quels sont tes projets?
J’ai un label "WARǾK" dont je suis la co-fondatrice à Paris, ma maison de disque avec mes amis et j’ai un autre projet avec mon copain, on forme un duo, sinon je continue à faire ma musique à moi aussi.
Quels conseils donnerais-tu à une Tunisienne qui voudrait se lancer dans cette aventure?
Il ne faut pas hésiter, s’y mettre sérieusement, respecter le métier. Il ne suffit pas d’être jolie derrière son ordinateur, il faut s’éloigner de la facilité.
Ce n’est pas une nouveauté, la Tunisie regorge de DJs talentueux. Si vous êtes amateur de musique électronique, vous connaissez certainement Dhekra Chebbi aka "Miss M" une des doyennes des DJs tunisiennes. Classée 3eme du "top 50 des DJs tunisiens de l’année 2016" de la revue électro tunisienne People’s Beats face à une écrasante majorité d’hommes, elle a mixé en 2016 au célèbre Space à Ibiza et pendant la SónarOff Week à Barcelone.
Elle n’est pas la seule tunisienne à s’imposer dans ce milieu essentiellement masculin: Magada, Deena Abdelwahed, Ines Afs, Su, Oz, Emna Ben Romdhane, Louma Debbiche, Emna Hafayed ou encore Missy Ness...ces dernières années, ce sont autant de noms qui font vibrer les soirées électro. Et il y en a pour tous les goûts: de l’underground au plus accessible, dans les styles house, pop, techno, funk, minimal, groove, R&B, ou encore hip-hop. Au delà d’une passion commune pour la musique, ces jeunes femmes semblent partager une même fierté féminine et une profonde volonté de lutter contre les idées reçues.
Afin de mieux comprendre cette montée en puissance des Djs tunisiennes, le Huffpost Tunisie a rencontré pour vous l’une d’elles. Derrière sa tête d’ange, la talentueuse Ines Affes aka "InesAfs" a su s’imposer en faisant ses preuves dans de nombreux lieux de la musique électro en Tunisie et à l’étranger (Wax, Yüka, Batofar, Nüba…). Au cœur de ce phénomène, elle nous explique son parcours de femme DJ et son ressenti sur le sujet:
HuffPost Tunisie: Comment t’est venu le goût des platines?
Ines Afs: J’aime ça depuis que je suis petite, un jour un ami m’a appris, m’a encouragé et je me suis lancée depuis maintenant 5-6 ans. J’étais à Paris pendant 3 ans et j’ai fait une école de son là-bas. En cours, nous étions 30 dont seulement 5 filles DJs, et encore ça paraissait beaucoup !
Comment ressens-tu le fait d’être une femme dans ce milieu encore très masculin? Quelles sont les difficultés que tu as pu rencontrer en tant que femme DJ?
Personnellement, je trouve que c’est un peu difficile dans le sens où on attend toujours plus d’une fille. On a l’impression qu’une fille ne sait pas faire de la musique et que quelqu’un est surement derrière en train de l’aider. On est toujours plus exigent avec les filles… Tu sens vraiment parfois que les hommes ne te prennent pas au sérieux.
Il faut travailler encore plus quand on est une femme car c’est un milieu macho! Tu dois vraiment faire tes preuves, pour dire "voilà moi je mixe bien!".
C’est vrai que même au quotidien j’avais du mal au début, à être la seule fille. J’ai participé au festival Sounds of Sahara à Tozeur, l’année dernière, j’étais la seule DJ femme, il y avait 700 garçons devant moi. J’ai été interrogée à ce sujet, on m’a demandé si je n’avais pas ressenti trop de brutalité. C’était brutal c’est vrai, du coup j’ai joué de la grosse musique brutale, tu ressens vraiment la force à ce moment là. Il y avait mon copain avec qui je mixe souvent mais on m’a dit "non, on veut que tu montes seule sur scène devant tous les mecs!".
Dans certains endroits, les gens ne sont pas du tout habitués à voir une femme derrière les platines, ils te regardent, on dirait un théâtre, c’est un peu gênant parfois!
Mais il y a aussi certains avantages…
Oui, c’est toujours rare d’avoir des filles DJs et on est plus demandées que les hommes, dans ce sens c’est plus facile peut-être.
Personnellement j’essaie de ne pas jouer sur le côté fille, je fais en sorte que les gens apprécient d’abord ma musique et qu’après seulement ils se rendent compte que je suis une fille. Mais bon, je sais que même dans ma musique j’ai ma petite touche féminine, j’aime bien les mélodies qu’on sent un peu féminines. J’ai justement fait un duo avec mon copain par rapport à ça. J’aime bien produire des sons un peu "smooth" et lui aime bien le groove donc c’est intéressant, tu sens un mélange.
Justement, on remarque que certaines DJs empruntent des noms de scène à consonance plutôt masculine, c’est un hasard ou tu penses qu’il y a vraiment une volonté de dissimuler sa féminité?
Oui, il y a cette volonté, j’ai remarqué cela à l’étranger aussi. Parfois, j’apprécie vraiment un artiste et je me rends compte plus tard que c’est une fille car elle aura tout fait pour ne pas qu’on s’en rende compte.
Tu nous as confirmé qu’une femme devait savoir s’imposer d’avantage, comment te démarques-tu derrière les platines? La Djette a un style qui lui est propre?
Je m’habille d'une manière un peu féminine quand je mixe. De manière générale, les DJs se démarquent souvent avec leur style, leur coiffure... ça colle avec la musique qu’ils produisent.
Je pense à une fille que je connais qui a fait un label de musique minimale ne réunissant que des filles, et qui ont lancé en parallèle une ligne de vêtements de style minimal aussi… ça me paraît assez naturel finalement.
De mon côté, j’essaie de me mettre en avant avec mes productions, ma musique. Au début, j’ai fait l’effort de me démarquer un peu physiquement, plus aujourd’hui, après ça devient naturel. Mais c’est vrai que beaucoup de DJettes sont à fond dans l’apparence. Quand je mixe dans des bars je mixe de la House, disco, des choses un funky et je m’habille avec des couleurs, mais si j’ai vraiment un festival ou une soirée techno je vais m’habiller en noir parce que la musique est sombre.
Quelles sont tes influences? Un exemple de DJette qui a pu t’encourager?
J’aime bien les débuts de Nina Kravitz, j’apprécie beaucoup Laurent Garnier car il est resté fidèle à lui même, à son style tout au long de sa carrière. Il y a plein de DJs filles que j’apprécie, mais elles ne sont pas toujours connues, comme la française Hydrangea qui est aussi graphiste. J’ai plusieurs copines DJs même si on ne partage pas toujours le même univers musical ou le même style. On parlait de Deena Abdelwahed, qui est Paris maintenant, son style est très underground, j’aime bien ce qu’elle fait.
Les Djettes sont de plus en plus nombreuses que penses-tu de cette présence féminine grandissante derrière les platines en Tunisie?
J’en suis très contente, j’aimerais bien avoir vraiment des concurrentes, qu’il y ait plus de filles qui produisent, j’aime les défis!
D’ailleurs, la production devrait être plus encouragée en Tunisie, je trouve qu’on facilite trop le travail: dans certains endroits ils prennent un ordinateur et font une playlist, je considère qu’il faut plus de respect vis à vis de ce métier. C’est en produisant que tu contribues à la musique électronique.
Le milieu n’est pas assez encouragé, on ne considère pas ça comme un travail, une vrai culture. Dans quelques festivals on a compris que les jeunes aimaient ça, que ça boostait un peu le tourisme mais on est encore loin d’un encouragement.
Je suis rentrée à Tunis il y a un an, après 3 ans à Paris et j’ai eu le plaisir de constater l’arrivée de ces nouvelles DJs comme Oz et la création de projets, de workshops mettant à l’honneur la femme comme "Les Nouvelles Antigones". C’est ce genre de projets qui nous encouragent vraiment!
À ton avis qu’est ce qui a stimulé ce phénomène?
Je pense que c’est l’art de manière générale qui s’est développé après la révolution. Avant, on n’était pas libre de pouvoir s’exprimer, sortir, jouer de la musique. Les filles osaient encore moins, aujourd’hui on s’encourage entre nous.
Comment imagines-tu l’avenir des femmes DJs en Tunisie?
Si tu ne mixes que dans ton pays tu seras une DJ locale. Personnellement, j’ai vraiment évolué quand je suis partie en France. Ici en Tunisie, on essaie d’évoluer, c’est plus compliqué, ce sont nous, les artistes qui imposons la musique électronique. On n’est pas vraiment dans l’échange. Mais je reste optimiste et je pense qu’on sera de plus en plus nombreuses!
Quels sont tes projets?
J’ai un label "WARǾK" dont je suis la co-fondatrice à Paris, ma maison de disque avec mes amis et j’ai un autre projet avec mon copain, on forme un duo, sinon je continue à faire ma musique à moi aussi.
Quels conseils donnerais-tu à une Tunisienne qui voudrait se lancer dans cette aventure?
Il ne faut pas hésiter, s’y mettre sérieusement, respecter le métier. Il ne suffit pas d’être jolie derrière son ordinateur, il faut s’éloigner de la facilité.
Retrouvez les articles du HuffPost Tunisie sur notre page Facebook.