Formée à l’Institut Technologique d’Art, d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis, la plasticienne et photographe Mouna Jemal vit et travaille à Tunis. Elle a reçu plusieurs récompenses, notamment le Grand Prix de la médina de Tunis en 2005 et le Prix national du mérite dans les domaines des Lettres et des Arts. Depuis 1993, elle réalise de nombreuses expositions en Tunisie et à l’étranger (États-Unis, France, Allemagne, Espagne, Belgique, Algérie, Suisse, Mali, Sénégal, Maroc).
Jusqu’au 22 avril, l’artiste expose ses travaux au musée de la Fondation Abderrahman Slaoui à Casablanca – aux côtés des artistes Mariam Abouzid Souali, Zoulikha Bouabdellah, Nabil Boutros, Khalil Nemmaoui et Ghita Skali –, dans le cadre de l’exposition collective "NILWOOD MELODY: Qu’avons nous fait de nos rêves?". Un événement qui met en lumière les liens entre les cultures égyptienne et nord africaine.
HuffPost Tunisie: Pouvez-vous nous présenter cette exposition?
Mouna Jemal : Il s’agit d’une exposition qui regroupe six artistes représentant le Maroc, l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie que j’ai l’honneur de représenter. Elle s’intitule "NILWOOD MELODY - Qu’avons-nous fait de nos rêves?" et tourne autour du thème de l’âge d'or du cinéma égyptien et de son influence sur notre culture qui est la culture nord africaine.
Le lieu que nous offre la Fondation Abderrahman Slaoui est très convivial, très intime. Chaque artiste y investit son espace et expose sa vision de cette période de faste du cinéma égyptien. Je présente, pour ma part, une installation constituant un ensemble composé de neuf dessins et d’une vidéo. Mon installation s’intitule "Hommage à mes parents, Abdelwaheb et Madiha".
Pourquoi avez-vous choisi ce titre?
J’ai choisi ce titre car le prénom de ma mère a été inspiré par la célèbre actrice égyptienne Madiha Yousri et celui de mon père, par le chanteur égyptien Mohamed Abdel Waheb. Cet heureux hasard était en complète cohérence avec le thème, chose à laquelle je n’avais pas pensé avant!
La commissaire d’exposition Yasmina Bouzid connaissait déjà ma démarche générale qui consiste à partir de l’intime et de ma propre vie. Lorsqu’elle m’a proposé ce thème, j’ai en effet pu constater que cette influence sur notre culture était vraiment directe et les prénoms de mes parents en constituaient un parfait exemple. Surtout qu’avant il n’y avait ni chaînes nationales, ni satellitaires, il n’y avait que le cinéma. C’est ainsi que mes grands-parents ont vu ces films égyptiens et ont choisi les prénoms de leurs enfants : la culture passe par la culture ! Grâce au cinéma les égyptiens ont transmis leur propre culture, c’est dire l’importance du cinéma, de l’art, de la musique etc. Effectivement ici aussi je pars de quelque chose de très intime, très personnel (mes parents) pour essayer de toucher l’universel.
Comment décririez-vous votre travail? Quelle a été votre démarche?
J’ai commencé par chercher le lien entre Madiha Yousri et Mohamed Abdel Waheb. Il s’est avéré que le premier film tourné avec Madiha Yousri, était avec Mohamed Abdel Waheb qui lui chantait la célèbre chanson "Balasch Tebousni fi ineya" (NDLR: en français "Ne m’embrasse pas sur l’œil"). Je suis donc partie de ce film intitulé "Mamnoaa El Hob", en français "L’amour interdit". Je me suis intéressée à cette chanson, j’ai pris des captures d’écran des scènes où Mohamed Abdel Waheb et Madiha Yousri étaient ensemble. En parallèle, je me suis servie de l’album photo de famille de mes parents, avec leurs photos de mariage. J’ai superposé ces photos avec des captures d’écran du film. Je me suis aussi servie de l’affiche du film qui est vintage avec des couleurs pastel, il y en avait une autre en sépia, j’ai superposé ces tons là.
Pour la vidéo, j’ai pris une photo sur laquelle mes parents s’embrassaient, or il est à l’époque pratiquement impossible de voir un homme embrassant une femme sur la bouche. L’interdiction est ici transgressée, je fais tourner doucement l’image sur l’œil de ma mère et il y a quelques apparitions du film sur cette image qui tourne avec la chanson "Balasch Tebousni fi ineya".
J’ai aussi réalisé mes dessins de manière très intime en travaillant le petit format. On a poussé l’intime, jusque dans l’installation avec la scénographe : nous avons choisi un mur rose, avec du galon doré pour reprendre l’ambiance intimiste d’une chambre à coucher.
Mon installation est en face de celle de Ghita Skali. Ce dialogue entre nos 2 espaces est très intéressant car j’offre au spectateur un univers intime alors que son univers est au contraire public. Elle présente le quartier Kit Kat au Caire, où elle a vécu, sous la forme d’un plan, le tout constituant une œuvre plutôt éclatée, dans l’espace public.
L’étage du dessous présente le travail de Zoulikha Bouabdellah sur la célèbre danseuse Samia Gamal, dans un univers intime avec le côté sensuel de la dentelle et de la danse. Nabil Boutros a réalisé des captures d’écran, il a, comme moi, exploité l’influence de ses parents dans son œuvre.
NILWOOD MELODY revisite un patrimoine musical et cinématographique qui a fédéré le monde arabe, vous y représentez la scène artistique tunisienne. Vous avez déjà représenté la Tunisie à l’étranger à de multiples occasions : à l’International Art Meet à Kolkata en 2011, lors de l’exposition "Bright future-contemporary art from Tunisia" à l’Ifa de Berlin, ou encore dans le cadre du World Nomads Tunisia à la FIAF de New York en 2013…
Oui, généralement on aime souligner le fait que je sois tunisienne, même si je n’insiste pas spécialement là-dessus. C’est une fierté de représenter la Tunisie ! Surtout à une période où elle n’a pas une très bonne image à l’échelle internationale. On a envie de montrer un autre aspect de notre pays à travers la création.
Vous avez également participé à de nombreux événements locaux (Printemps des Arts de la Marsa, Arts Fair Tunis, Dream City…). Vous êtes en effet au cœur de cette récente effervescence culturelle tunisienne, quel est votre ressenti par rapport à cela?
C’est une vraie chance, un vrai plaisir d’être au cœur de ce bouillonnement!
Je trouve cependant que le nombre d’espaces pour accueillir nos nombreux artistes est encore très insuffisant. Beaucoup d’artistes tunisiens travaillent à l’étranger, c’est dommage qu’ils ne soient pas soutenus dans leur propre pays.
Personnellement, je ne me vois pas vivre ailleurs. Après la révolution, ma peur a été d’imaginer où je pourrais vivre si je devais quitter la Tunisie. J’en ai conclu qu’aucun autre pays ne pourrait me satisfaire. Le fait même de faire de l’art à partir de la Tunisie est particulier : il y a plus de mérite car c’est difficile, c’est un combat, c’est de la résistance!
En quoi cette exposition est-elle incontournable?
Elle permet de découvrir ou redécouvrir des œuvres authentiques, profondes à travers une expression contemporaine. Je dévoile ici une recherche plastique, très intime qui réfléchit cette influence égyptienne sur notre culture. C’est aussi une nouvelle facette de mon travail, de ma pratique artistique. Sans cette question posée par le commissaire d’exposition, je n’aurais peut-être pas eu l’idée d’explorer ce sujet, c’est une vraie ouverture!
Ma génération continue d’apprécier Oum Kalthoum, Mohamed Abdel Waheb, mes enfants pas encore, mais ces noms continueront certainement de résonner dans leur génération par la musique, mais plus par le cinéma. L’exposition nous permet de replonger dans ce monde et cette influence fait partie de notre histoire!
Jusqu’au 22 avril, l’artiste expose ses travaux au musée de la Fondation Abderrahman Slaoui à Casablanca – aux côtés des artistes Mariam Abouzid Souali, Zoulikha Bouabdellah, Nabil Boutros, Khalil Nemmaoui et Ghita Skali –, dans le cadre de l’exposition collective "NILWOOD MELODY: Qu’avons nous fait de nos rêves?". Un événement qui met en lumière les liens entre les cultures égyptienne et nord africaine.
HuffPost Tunisie: Pouvez-vous nous présenter cette exposition?
Mouna Jemal : Il s’agit d’une exposition qui regroupe six artistes représentant le Maroc, l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie que j’ai l’honneur de représenter. Elle s’intitule "NILWOOD MELODY - Qu’avons-nous fait de nos rêves?" et tourne autour du thème de l’âge d'or du cinéma égyptien et de son influence sur notre culture qui est la culture nord africaine.
Le lieu que nous offre la Fondation Abderrahman Slaoui est très convivial, très intime. Chaque artiste y investit son espace et expose sa vision de cette période de faste du cinéma égyptien. Je présente, pour ma part, une installation constituant un ensemble composé de neuf dessins et d’une vidéo. Mon installation s’intitule "Hommage à mes parents, Abdelwaheb et Madiha".
Pourquoi avez-vous choisi ce titre?
J’ai choisi ce titre car le prénom de ma mère a été inspiré par la célèbre actrice égyptienne Madiha Yousri et celui de mon père, par le chanteur égyptien Mohamed Abdel Waheb. Cet heureux hasard était en complète cohérence avec le thème, chose à laquelle je n’avais pas pensé avant!
La commissaire d’exposition Yasmina Bouzid connaissait déjà ma démarche générale qui consiste à partir de l’intime et de ma propre vie. Lorsqu’elle m’a proposé ce thème, j’ai en effet pu constater que cette influence sur notre culture était vraiment directe et les prénoms de mes parents en constituaient un parfait exemple. Surtout qu’avant il n’y avait ni chaînes nationales, ni satellitaires, il n’y avait que le cinéma. C’est ainsi que mes grands-parents ont vu ces films égyptiens et ont choisi les prénoms de leurs enfants : la culture passe par la culture ! Grâce au cinéma les égyptiens ont transmis leur propre culture, c’est dire l’importance du cinéma, de l’art, de la musique etc. Effectivement ici aussi je pars de quelque chose de très intime, très personnel (mes parents) pour essayer de toucher l’universel.
Comment décririez-vous votre travail? Quelle a été votre démarche?
J’ai commencé par chercher le lien entre Madiha Yousri et Mohamed Abdel Waheb. Il s’est avéré que le premier film tourné avec Madiha Yousri, était avec Mohamed Abdel Waheb qui lui chantait la célèbre chanson "Balasch Tebousni fi ineya" (NDLR: en français "Ne m’embrasse pas sur l’œil"). Je suis donc partie de ce film intitulé "Mamnoaa El Hob", en français "L’amour interdit". Je me suis intéressée à cette chanson, j’ai pris des captures d’écran des scènes où Mohamed Abdel Waheb et Madiha Yousri étaient ensemble. En parallèle, je me suis servie de l’album photo de famille de mes parents, avec leurs photos de mariage. J’ai superposé ces photos avec des captures d’écran du film. Je me suis aussi servie de l’affiche du film qui est vintage avec des couleurs pastel, il y en avait une autre en sépia, j’ai superposé ces tons là.
Pour la vidéo, j’ai pris une photo sur laquelle mes parents s’embrassaient, or il est à l’époque pratiquement impossible de voir un homme embrassant une femme sur la bouche. L’interdiction est ici transgressée, je fais tourner doucement l’image sur l’œil de ma mère et il y a quelques apparitions du film sur cette image qui tourne avec la chanson "Balasch Tebousni fi ineya".
J’ai aussi réalisé mes dessins de manière très intime en travaillant le petit format. On a poussé l’intime, jusque dans l’installation avec la scénographe : nous avons choisi un mur rose, avec du galon doré pour reprendre l’ambiance intimiste d’une chambre à coucher.
Mon installation est en face de celle de Ghita Skali. Ce dialogue entre nos 2 espaces est très intéressant car j’offre au spectateur un univers intime alors que son univers est au contraire public. Elle présente le quartier Kit Kat au Caire, où elle a vécu, sous la forme d’un plan, le tout constituant une œuvre plutôt éclatée, dans l’espace public.
L’étage du dessous présente le travail de Zoulikha Bouabdellah sur la célèbre danseuse Samia Gamal, dans un univers intime avec le côté sensuel de la dentelle et de la danse. Nabil Boutros a réalisé des captures d’écran, il a, comme moi, exploité l’influence de ses parents dans son œuvre.
NILWOOD MELODY revisite un patrimoine musical et cinématographique qui a fédéré le monde arabe, vous y représentez la scène artistique tunisienne. Vous avez déjà représenté la Tunisie à l’étranger à de multiples occasions : à l’International Art Meet à Kolkata en 2011, lors de l’exposition "Bright future-contemporary art from Tunisia" à l’Ifa de Berlin, ou encore dans le cadre du World Nomads Tunisia à la FIAF de New York en 2013…
Oui, généralement on aime souligner le fait que je sois tunisienne, même si je n’insiste pas spécialement là-dessus. C’est une fierté de représenter la Tunisie ! Surtout à une période où elle n’a pas une très bonne image à l’échelle internationale. On a envie de montrer un autre aspect de notre pays à travers la création.
Vous avez également participé à de nombreux événements locaux (Printemps des Arts de la Marsa, Arts Fair Tunis, Dream City…). Vous êtes en effet au cœur de cette récente effervescence culturelle tunisienne, quel est votre ressenti par rapport à cela?
C’est une vraie chance, un vrai plaisir d’être au cœur de ce bouillonnement!
Je trouve cependant que le nombre d’espaces pour accueillir nos nombreux artistes est encore très insuffisant. Beaucoup d’artistes tunisiens travaillent à l’étranger, c’est dommage qu’ils ne soient pas soutenus dans leur propre pays.
Personnellement, je ne me vois pas vivre ailleurs. Après la révolution, ma peur a été d’imaginer où je pourrais vivre si je devais quitter la Tunisie. J’en ai conclu qu’aucun autre pays ne pourrait me satisfaire. Le fait même de faire de l’art à partir de la Tunisie est particulier : il y a plus de mérite car c’est difficile, c’est un combat, c’est de la résistance!
En quoi cette exposition est-elle incontournable?
Elle permet de découvrir ou redécouvrir des œuvres authentiques, profondes à travers une expression contemporaine. Je dévoile ici une recherche plastique, très intime qui réfléchit cette influence égyptienne sur notre culture. C’est aussi une nouvelle facette de mon travail, de ma pratique artistique. Sans cette question posée par le commissaire d’exposition, je n’aurais peut-être pas eu l’idée d’explorer ce sujet, c’est une vraie ouverture!
Ma génération continue d’apprécier Oum Kalthoum, Mohamed Abdel Waheb, mes enfants pas encore, mais ces noms continueront certainement de résonner dans leur génération par la musique, mais plus par le cinéma. L’exposition nous permet de replonger dans ce monde et cette influence fait partie de notre histoire!
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