"Les Jardins sont des lieux de renaissance, de multiplication, de méditation, de civilisation, des Lieux-Miroirs, comme le rappelle Collette Fellous dans le texte qu’elle a signé pour le catalogue de l’exposition Pollen", c’est par ces propos que l’ambassadeur de France en Tunisie, François Gouyette, s’est prononcé juste après une visite guidée pour les journalistes à la découverte des multiples œuvres d’art poétiques et littéraires et d’installations artistiques, nichées dans les fabuleux Jardins de Dar Kamila (résidence de France à la Marsa).
"Pollen", est un projet collectif conçu par deux artistes et commissaires d’expositions à savoir Sadika Keskes et Wadi Mhiri, ayant réuni neuf artistes qui ont "pollenisé" le génie des Jardins, et ce, dans la continuité d’une tradition, celle d’ouvrir ces lieux aux artistes et à leurs imaginaires, transformés en "une véritable galerie à ciel ouvert" comme l’a mentionné l’ambassadeur. Cette année, les jardins ont pris des formes et des couleurs bien différentes, où l’âme de chacun des artistes, déambule entre l’imaginaire et le réel, le visible et l’invisible, et où l’art visuel ramène l’observateur dans un univers inégalé et démesuré.
Pourquoi Pollen? Il faut juste entendre ce thème "à la fois dans son sens de symbole de la fécondité de la Nature mais aussi comme fécondité d’un printemps symbolique, celui des peuples" a expliqué François Gouyette.
Entre arts visuels...
Avec la technique "Art dans la Nature" (terre, céramique et arbres), l’artiste Houda Ghorbel a choisi l’enfouissement de géants dans la Terre pour ne laisser apparaître que leurs pieds dans un langage aussi poétique que littéraire: "Homme qui je suis, ton fils ma Terre... j’ai honte de mes actes... Honte de ma criminalité envers les peuples démunis,... Honte de mes armes meurtrières envers tes larmes .Terre pardonne-Nous ?". Un cri d’alerte pour sauver un environnement perturbé.
Sollicitant le même pardon, l’artiste Sadika Keskes, a participé avec une installation engagée de 11 éléments qui ne sont en fait que des "Tombeaux" composés de cubes de verre transparents, la miroir de la vérité: en fait l’histoire de ces tombeaux remonte à 2013, à Kasserine, en guise de Salut et d’Hommage aux martyrs dans le contexte complexe de la Tunisie post-révolutionnaire.
Déambulant un peu partout dans les coins des grands jardins, le visiteur se retrouve, un peu plus loin immergé dans l’univers de Bchira Triki qui, elle, a tenté l’élévation et l’ascension verticale de cette Terre en direction du ciel en rappelant l’univers mystique des Soufis: "Le jardins des Lettres" où seul l’imaginaire peut déchiffrer les infinies strates cachées des lettres et des mots avec des caractères fins, complices de la courbe et compagnons de l’identité visuelle de l’enracinement, ces caractères qui prennent la parole pour crier leur puissance tout Haut.
Libérant le sens de l’unicité, la rendant plus libre, Noutayel Belkhadi a, quant à lui, conçu un être hybride entre mécanique et organique: un arbre métallique mobile et statique renfermant des antennes de véhicules qui se plient et se déplient en continu, et qui rappellent le cycle éternel de la vie et de la mort. A cet arbre, vivant pilier en mouvement, s’ajoute un peu plus loin la sculpture de la femme au violon de Najet Gherissi qui joue une musique sans fin, invisible et sculptée, dans un profond Hymne à la Vie.
Et c’est parce que la Vie est une musique sans fin, l’artiste Mouna Jemail Siala a opté, à travers son installation "Réflexion" , à faire des parallélépipèdes dont la surface est un miroir faisant ainsi disparaitre chaque sculpture en marbre et en bronze de femme dénudée, qui ne sont en réalité et loin des préjugés-tabous, que des œuvres d’art porteuses d’histoire. En s’approchant du miroir, et sous l’effet d’un détecteur de mouvement, une lampe s’allume de l’intérieur et le miroir devient du verre transparent pour que les sculptures soient mises en valeur sous ce verre et éclairées par la lumière. Comme le dit Jean Cocteau « les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer les images ». Mouna Jemail regrette que "des responsables aient cru bon de couvrir certaines statues à cause de leur nudité".
En exprimant une révolte légitime au nom des valeurs humanistes comme l’a déclaré l’ambassadeur de France, l’artiste Meriem Derbala a, dans la réalité historique et contemporaine, installé en haut d’un palmier mort, un personnage qui est pour elle "la référence contemporaine de Siméon le styliste. "Solitaire Siméon", un chrétien d’Orient ayant vécu vers l’an 350 en Syrie pendant 44 ans sur une colonne, en se tenant soit debout ou assis, pour demeurer contemplatif ainsi au dessus des hommes indifférents aux déambulations des Etres Humains. Aujourd’hui elle l’imagine : absorbé par son rêve, il n’attend que leur départ pour repartir sur le gazon où sont installés des « Bains de soleil noir" stylisés en forme de bateaux pneumatiques où les visiteurs hier ont pu s’allonger pour regarder ce Siméon Solitaire.
Dans la lignée de cette expérience artistique assez singulière, l’artiste et commissaire Wadi Mhiri invite l’assistance à une escapade, un grand moment de profonde réflexion, dans un autel de sacrifice moderne: "Allongez-vous", sur un grand lit, installé dans le kiosque à musique des jardins de Dar Kamila, non pas pour vous reposer mais pour saisir l’horreur : le taux d’adrénaline bondit et toutes les cellules du corps se mettent en alerte sous les pointes menaçantes et imposantes des balles suspendues au ciel de ce lit écrivant l’expression "Jihad Annikah". Pour les emporter dans les sensations amères et la terreur que vivent toutes ces femmes qui défilent dans ce couloir de la mort précédée par la perte totale de la dignité.
L’œuvre de l’artiste plasticien Richard Conte (le seul français participant) est bien différente. Intéressé dans ses œuvres par les problématiques actuelles (le clonage reproductif humain, le sport et la performance, l’art domestique…) il a voulu avec "Bille en Tête " restituer une œuvre participative au jeu de pétanque constituant, avec les boules, une sorte de cartographie analogue aux constellations dans le ciel. Et les buts seront comme des étoiles et d’autres comme des planètes. Ce qui forme un tableau évolutif et vivant dont le résultat visuel sera photographié du ciel au moins une quarantaine de fois par un ballon captif pendant toute la durée de sa formalisation, pour garder une trace précise de cette œuvre collective qui sera présentée, dans le cadre de la clôture de l'exposition, le 12 Juin au palais Abdellia à la Marsa.
Et contributions littéraires
Mais Pollen, c’est aussi la contribution des artisans du verbe réunis autour de Colette Fellous (écrivaine française), Hedi Kaddour (poète et romancier français), Naceur Khémir (réalisateur, poète et conteur tunisien) et Pierre Assouline (journaliste, chroniqueur, romancier et biographe français) avec leurs regards sur les toges de la statuaire romaine des jardins (Hedi Kaddour), les infimes réminiscences (Collette Fellous), une plongée dans les légendes éblouissantes de l’enfance (Naceur Khémir) ou encore la découverte d’un palimpseste végétal révélé par Pierre Assouline.
Dans un geste symbolique, une partie de la vente des œuvres de Pollen, ouverte au grand public pour une dizaine de jours, à la découverte de l’orchestre spécial et harmonieux de la vie, sera destinée à l’association "Amal" pour la Femme et l’Enfant, a tenu à signaler l’ambassadeur qui, accompagné de son épouse Halima, a tenu à rappeler que cette année ils ont voulu à deux, "mettre à nouveau ces lieux chargés d’histoire et de patrimoine, à la disposition du collectif artistique Pollen et réaffirmer que l’ambassade de France agit au quotidien dans le cadre de la coopération culturelle bilatérale en soutenant la création à travers l’action de l’IFT (Institut français de Tunisie), et ce, dans le cadre du programme d’appui à la création, à la libre expression et à la réflexion critique en Tunisie".
Avec "Pollen", le défi est double: donner à de jeunes artistes des moyens de production et d’expression, une sorte de carte blanche et d’autre part rendre accessible au public, un espace privé pour une excellente visite et de très belles découvertes artistiques dans les fabuleux jardins de Dar Kamila. Pour célébrer la saison estivale qui vient et qui se veut "joyeuse, belle, ouverte et féconde pour la Tunisie".
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