En l’espace de quelques jours, le livre événement de Hédi Yahmed, "J’étais à Rakkah, fugitif de l’Etat islamique" s’est épuisé devant la demande des lecteurs impatients de découvrir ce qui peut amener un jeune tunisien à tout quitter et à aller chercher la violence sur d’autres cieux. Grâce à Mohamed Fahem, le journaliste et écrivain Hédi Yahmed a réussi à relever son pari. Au cours de cet entretien, l’auteur répond aux questions du HuffPost Tunisie et dévoile ses prochains projets.
HuffPost Tunisie: Votre livre arrive dans un contexte particulier entre ceux qui appellent à la déchéance de la nationalité de tous ceux qui ont été impliqués dans des affaires terroristes et ceux qui insistent sur la fatalité de leur réintégration. Qu’en pensez-vous?
Hédi Yahmed: Mon livre ne s’inscrit pas vraiment dans la polémique politique actuelle. "J’étais à Rakkah, fugitif de l’Etat islamique" n’est pas un livre idéologique et ne s’inscrit pas dans le conflit actuel. Il s’agit, je dirais, d’un livre de témoignage qu’on pourrait, peut-être, inscrire dans le cadre du conflit culturel et civil. Ce livre est une condamnation de tous les modèles pré-façonnés. Je considère que le modèle politique et culturel qui est appliqué en Tunisie depuis son indépendance est un modèle qui n’a pas réussi à rompre avec la culture du passé et à se positionner dans l’ère du temps. Celui ou celle qui a lu l’histoire de Mohamed Fahem comprendra que ce jeune homme ne veut pas revenir en Tunisie et qu’il n’est pas repenti; Mohamed Fahem ne reconnait pas sa nationalité tunisienne et ne veut pas se réintégrer dans la société tunisienne. Même s’il est vrai que ce jeune homme s’est enfui de l’Etat islamique et qu’il est même devenu un opposant de Daech, cela ne veut pas dire pour autant qu’il souhaite revenir en Tunisie et faire partie du conflit politique actuel, relatif à ce dossier, dans notre pays.
Il faut dire que le livre est décevant pour ceux qui cherchent à mieux comprendre la repentance et la situation de ceux qui comptent rentrer en Tunisie. Mohamed Fahem s’est enfui de Deach mais il continue à chercher un autre Etat islamique et cela, pour moi, représente le réel drame de la culture arabo-musulmane. Mohamed Fahem est le résultat de la fragilité et de la bipolarité de cette même culture.
Mohamed Fahem peut-il représenter pour nous un cas d’école sur lequel il faut se pencher pour trouver une réponse à cette délicate équation?
Oui. Mohamed Fahem et tous ceux qui lui ressemblent représentent un exemple de l’échec de la faible modernisation en Tunisie. Il est vrai que Bourguiba a grandement participé dans la modernisation du pays et qu’il a aidé dans la libération et l’émancipation de la femme tunisienne; Bourguiba a produit un nouveau modèle dans la région arabe mais j’estime, à travers l’exemple de Mohamed Fahem et des centaines de jeunes tunisiens, que nous sommes face à une école tunisienne qui n’a pas achevé sa modernisation.
Dans le livre, j’accuse directement la modernisation inachevée qui a obligé des générations entières à vivre dans une bipolarité culturelle totale. Pour ceux qui n’ont pas encore lu le livre, Mohamed Fahem est ce jeune tunisien qui aime le rap, qui danse le break-danse, qui porte des jeans mais qui, en même temps, tient à apprendre le coran, à se rendre souvent aux mosquées et qui vit dans la peur de l’enfer et de la vie de l’au-delà. C’est le modèle du jeune tunisien qui vit dans deux mondes différents et avec une bipolarité prononcée. Je pense que Daech peut naître et prospérer à partir d’une école pareille.
Vous avez parié gros avec ce livre en tentant de mettre en valeur l’expérience de votre précieux témoin tout en évitant de tomber dans l’apologie et le blanchissement de ce phénomène. Comment décrivez-vous cette aventure?
J’étais conscient, dès le début de l’aventure, que je marchais sur des mines. Comment pouvais-je reporter l’expérience de Mohamed Fahem sans propager ses pensées et son idéologie. Le témoin s’est basé sur un traitement linguistique bien particulier et ma méthodologie a employé une neutralité trompeuse. Tout au long du récit, Mohamed Fahem parle en utilisant le pronom je sans pour autant qu’il ait une réelle emprise sur le même pronom. Je pense que le message était on ne peut plus clair pour ceux qui ont lu le livre. Nous sommes face à un témoignage d’accusation du modèle culturel et politique suivi par Mohamed Fahem et ceux qui lui ressemblent. Il ne s’agit pas d’une simple condamnation de l’islam politique parce que l’affaire est beaucoup plus profonde que cela pour moi. Nous sommes face à un bilan et une confrontation du modèle culturel qui a empoisonné une génération entière.
Mohamed Fahem parle certes de son expérience mais derrière ce qu’il a vécu, j’ai tout fait afin de condamné le modèle culturel et religieux qu’il a suivi. Je n’exagère pas lorsque je dis que la condamnation, dans le livre, est extrêmement claire contre toute culture religieuse qui a produit des Mohamed Fahem et qui est reproduit dans nos modèles éducatifs et dans nos systèmes familiaux sur lesquels se base la famille tunisienne.
Un livre à grand succès puisqu’il est déjà à sa deuxième édition. Aurons-nous, prochainement, droit à une traduction française et/ou anglaise?
Le livre en sera prochainement à sa troisième édition. Sinon, il existe quatre propositions pour le traduire au moins en quatre langues ; le français, l’anglais, le finlandais et l’allemand.
Et quelle suite pour cette profonde recherche?
Il se peut que j’aille vers un nouveau livre intitulé "J’étais à Rakkah II", c’est toujours à l’étape de la réflexion.
HuffPost Tunisie: Votre livre arrive dans un contexte particulier entre ceux qui appellent à la déchéance de la nationalité de tous ceux qui ont été impliqués dans des affaires terroristes et ceux qui insistent sur la fatalité de leur réintégration. Qu’en pensez-vous?
Hédi Yahmed: Mon livre ne s’inscrit pas vraiment dans la polémique politique actuelle. "J’étais à Rakkah, fugitif de l’Etat islamique" n’est pas un livre idéologique et ne s’inscrit pas dans le conflit actuel. Il s’agit, je dirais, d’un livre de témoignage qu’on pourrait, peut-être, inscrire dans le cadre du conflit culturel et civil. Ce livre est une condamnation de tous les modèles pré-façonnés. Je considère que le modèle politique et culturel qui est appliqué en Tunisie depuis son indépendance est un modèle qui n’a pas réussi à rompre avec la culture du passé et à se positionner dans l’ère du temps. Celui ou celle qui a lu l’histoire de Mohamed Fahem comprendra que ce jeune homme ne veut pas revenir en Tunisie et qu’il n’est pas repenti; Mohamed Fahem ne reconnait pas sa nationalité tunisienne et ne veut pas se réintégrer dans la société tunisienne. Même s’il est vrai que ce jeune homme s’est enfui de l’Etat islamique et qu’il est même devenu un opposant de Daech, cela ne veut pas dire pour autant qu’il souhaite revenir en Tunisie et faire partie du conflit politique actuel, relatif à ce dossier, dans notre pays.
Il faut dire que le livre est décevant pour ceux qui cherchent à mieux comprendre la repentance et la situation de ceux qui comptent rentrer en Tunisie. Mohamed Fahem s’est enfui de Deach mais il continue à chercher un autre Etat islamique et cela, pour moi, représente le réel drame de la culture arabo-musulmane. Mohamed Fahem est le résultat de la fragilité et de la bipolarité de cette même culture.
Mohamed Fahem peut-il représenter pour nous un cas d’école sur lequel il faut se pencher pour trouver une réponse à cette délicate équation?
Oui. Mohamed Fahem et tous ceux qui lui ressemblent représentent un exemple de l’échec de la faible modernisation en Tunisie. Il est vrai que Bourguiba a grandement participé dans la modernisation du pays et qu’il a aidé dans la libération et l’émancipation de la femme tunisienne; Bourguiba a produit un nouveau modèle dans la région arabe mais j’estime, à travers l’exemple de Mohamed Fahem et des centaines de jeunes tunisiens, que nous sommes face à une école tunisienne qui n’a pas achevé sa modernisation.
Dans le livre, j’accuse directement la modernisation inachevée qui a obligé des générations entières à vivre dans une bipolarité culturelle totale. Pour ceux qui n’ont pas encore lu le livre, Mohamed Fahem est ce jeune tunisien qui aime le rap, qui danse le break-danse, qui porte des jeans mais qui, en même temps, tient à apprendre le coran, à se rendre souvent aux mosquées et qui vit dans la peur de l’enfer et de la vie de l’au-delà. C’est le modèle du jeune tunisien qui vit dans deux mondes différents et avec une bipolarité prononcée. Je pense que Daech peut naître et prospérer à partir d’une école pareille.
Vous avez parié gros avec ce livre en tentant de mettre en valeur l’expérience de votre précieux témoin tout en évitant de tomber dans l’apologie et le blanchissement de ce phénomène. Comment décrivez-vous cette aventure?
J’étais conscient, dès le début de l’aventure, que je marchais sur des mines. Comment pouvais-je reporter l’expérience de Mohamed Fahem sans propager ses pensées et son idéologie. Le témoin s’est basé sur un traitement linguistique bien particulier et ma méthodologie a employé une neutralité trompeuse. Tout au long du récit, Mohamed Fahem parle en utilisant le pronom je sans pour autant qu’il ait une réelle emprise sur le même pronom. Je pense que le message était on ne peut plus clair pour ceux qui ont lu le livre. Nous sommes face à un témoignage d’accusation du modèle culturel et politique suivi par Mohamed Fahem et ceux qui lui ressemblent. Il ne s’agit pas d’une simple condamnation de l’islam politique parce que l’affaire est beaucoup plus profonde que cela pour moi. Nous sommes face à un bilan et une confrontation du modèle culturel qui a empoisonné une génération entière.
Mohamed Fahem parle certes de son expérience mais derrière ce qu’il a vécu, j’ai tout fait afin de condamné le modèle culturel et religieux qu’il a suivi. Je n’exagère pas lorsque je dis que la condamnation, dans le livre, est extrêmement claire contre toute culture religieuse qui a produit des Mohamed Fahem et qui est reproduit dans nos modèles éducatifs et dans nos systèmes familiaux sur lesquels se base la famille tunisienne.
Un livre à grand succès puisqu’il est déjà à sa deuxième édition. Aurons-nous, prochainement, droit à une traduction française et/ou anglaise?
Le livre en sera prochainement à sa troisième édition. Sinon, il existe quatre propositions pour le traduire au moins en quatre langues ; le français, l’anglais, le finlandais et l’allemand.
Et quelle suite pour cette profonde recherche?
Il se peut que j’aille vers un nouveau livre intitulé "J’étais à Rakkah II", c’est toujours à l’étape de la réflexion.
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