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Tunisie- Réparer les blessures du passé des enfants: La difficile tâche de la psychologue de SOS Gammarth

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Discuter avec elle sans être interrompu plusieurs fois semble de l'ordre de l'impossible, ceux qui la sollicitent sont dans l'urgence.

Ce sont des mères bien particulières, des enfants, des personnes de l'administration en quête d'une information, d'une requête ou tout simplement d'un mot de réconfort, et pour cause, Sana Bouanani est psychologue à SOS Gammarth, la seule à accompagner des dizaines d'enfants d'un an et demi à 16 ans, vivant tous ensemble, ou presque, car chaque foyer abrite huit enfants et leur mère d'adoption, celle dont le travail consiste justement à être la mère de ces enfants de coeur.

Avant de pouvoir accéder à ce refuge, les enfants ont été sélectionnés parmi tant d'autres et c'est Sana Bouanani, entre autres, qui se charge de faire ce "tri": "Avant l'admission de l'enfant, nous devons nous assurer qu'il ne souffre pas d'un handicap physique ou mental lourd. Les enfants sont amenés à bénéficier de la même prise en charge, si l'un d'eux nécessite qu'on s'occupe de lui plus à cause d'une quelconque maladie, cela affectera les autres enfants d'où l'importance de la sélection préalable", a expliqué la psychologue au HuffPost Tunisie.

Une fois l'enfant admis, Sana doit l'accompagner. Concrètement, elle est amenée à faire des visites régulières dans les foyers. Son métier consiste à écouter tout ce beau monde, et surtout à observer; observer afin de déceler des troubles de comportement éventuels, une soudaine agressivité, des signes d'une dépression ou encore une certaine agitation excessive; des maux parmi tant d'autres qui pourraient ronger ces enfants.

"Ils sont exposés plus que d'autres à ces souffrances psychiques car leur historique est lourd, ce qui les rend par conséquent plus fragiles. Et ceci est prévisible de la part d'enfants qui ont été délaissés ou qui se retrouvent sans repères. Ces enfants héritent en effet d'un passé parental pénible", a renchéri Sana.

En effet, ce sont des enfants abandonnés, soit par une mère célibataire, ou orphelins, ou bien avec des parents incapables de s'en occuper parce qu'ils sont en prison ou qu'ils ont une maladie psychiatrique lourde, ou alors extrêmement démunis économiquement, sans abri, etc.

Ahmed (son prénom a été modifié) qui est un ancien de SOS Gammarth témoigne de ces souffrances: "Ma mère est morte lors de mon accouchement. Une semaine après ma naissance j'étais déjà dans un village SOS", celui de Siliana où il est resté deux semaines avant de de se voir confier à SOS Gammarth. "Mon père n'avait pas les moyens -pas matériels mais humains- de continuer à m'élever" raconte-t-il.

La "mère" qui l'a pris en charge à SOS Siliana étant transférée à Tunis, elle a tout fait pour qu'il vienne avec elle: "Pour moi, les choses étaient simple, elle c'était maman et le directeur papa. Ce n'est que bien plus tard que j'ai su l'histoire de mes parents" et surtout de son père qu'il rencontre pour la première fois à 8 ans: "J'avais l'impression que c'était un extraterrestre. Il était où pendant ces 8 ans? J'avoue que ça m'a perturbé, j'ai même redoublé à l'école cette année là".

Pour essayer d'en limiter les dégâts, la psychologue tend à cerner le mal, puis le maîtriser en les écoutant, s'interposer en cas de différends entre les enfants et leurs mères. Il s'agit de contrebalancer un déséquilibre, à cerner ces souffrances pour qu'elles ne submergent pas la victime. L'opération de Sana est délicate: "entre certains qui refusent d'exprimer leurs êtres ou les autres qui s'entêtent à sombrer dans le malheur. Il faut s'armer de patience dans ces situations", ajoute-t-elle.

Pour ces enfants souvent amenés par les moqueries ou la stigmatisation de certains à remuer un passé dont ils sont les victimes, le rôle de la psychologue est de les en libérer, de les tourner vers l'avenir, de leur ouvrir les horizons. Chose qui est loin d'être facile: "Il est malheureux que certains leur rappellent souvent leurs passés, comme en leur collant l'étiquette de "enfants des SOS". Je réponds toujours que ce ne sont pas les enfants de SOS mais ils s'appellent Sarra, Mohamed, etc, des individus à part entière qui méritent qu'on prenne soin d'eux et de ne pas de les ostraciser", a déploré la psychologue.


Face à un ensemble de facteurs complexes, certains ont du mal à s'en sortir: "Si la souffrance psychique est lourde, je les dirige vers les structures hospitalières afin qu'ils soient pris en charge par un pédopsychiatre ou psychiatre, selon l'âge du concerné", a précisé Sana.

Pour les autres, certains ont pu être adoptés par des familles d'accueil ou réintégrés dans leurs familles biologiques, quand c'est préférable et s'ils en ont une: "Dans ces cas, mon rôle ainsi que l'assistant social consiste à évaluer la possibilité de l'insertion de l'enfant dans le tissu familial et que les parents soient aptes à s'en occuper convenablement, guidés par l'intérêt suprême de l'enfant", a expliqué la psychologue. Leur expertise servira au juge pour qu'il ordonne ou pas la réintégration dans la famille, et qui se poursuit après pour s'assurer que l'enfant est dans de bonnes conditions de vie.


"Nous tendons aussi à maintenir le contact entre l'enfant et sa mère biologique si elle est vivante. Cette dernière pourrait avoir des craintes qu'on lui remette son enfant par peur que sa famille ne le découvre s'il est né hors mariage, ou parce qu'elle n'a pas le moyen de le prendre en charge. Nous tentons de la rassurer à ce niveau pour qu'elle puisse voir sa progéniture au moins deux fois par an. C'est peu, mais c'est important pour l'équilibre psychologique de l'enfant, ce repère.", a explique Sana.


SOS n'est pas un ghetto, les enfants étudient dans les structures éducatives de proximité. Ils font face au monde extérieur et aussi aux fléaux qui y sévissent comme la drogue, l'extrémisme religieux, etc. Afin de les encadrer, la psychologue organise des groupes de paroles avec eux sur ces sujets pour "tâter le terrain et prévenir les risques à travers l'écoute et la sensibilisation".

Elle est amenée aussi à examiner tous les signalements de maltraitance dont pourraient être victimes certains enfants. Ahmed raconte par exemple que sa "maman" qui l'a pris en charge au centre était obligée de retourner à Siliana, il est donc part chez une autre "maman": "Elle me détestait. Pendant que les autres jouaient, elle ne me laissait jamais sortir. Elle m'obligeait à étudier la géographie sans cesse, alors que j'étais très bon élève. Elle m'obligeait à apprendre bêtement. À la fin de l'année j'étais capable de réciter tout le livre de géo de A à Z". Mais heureusement j'étais bien entouré" grâce à un éducateur qui changera sa vie: "C'est grâce à lui que j'en suis là. Il a été présent dans mes moments difficiles" raconte Ahmed.


Après avoir quitté le village aujourd'hui, Ahmed est le parrain d'un "petit frère" à qui il vient rendre régulièrement visite au village: "Je vérifie qu'il se comporte bien, qu'il a de bonnes notes. Je veille sur lui. C'est mon devoir, moi qui ai été enfant du village de rendre la pareille".

Guettés par différents dangers, ces enfants qui composent la grande famille de SOS Gammarth tendent tant bien que mal à les dépasser et à se surpasser. La stabilité matérielle est aussi importante que celle psychologique pour réparer les blessures du passé et relever les défis du présent et de l'avenir.

Un avenir envers lequel il faut être bien armés sur tous les niveaux. Ce jour-là, à la fin de la journée, des adolescents affluent vers le bureau de la psychologue qui organise une table ronde avec eux sur la sexualité.


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