Andreas Reinicke, ambassadeur d'Allemagne en Tunisie, s'est déplacé dans les locaux du HuffPost Tunisie. Il a échangé avec la rédaction autour de questions d'actualité et d'autres plus décalées. Interview.
HuffPost Tunisie: Un accord de coopération financière entre la Tunisie et l’Allemagne a été signé récemment, quel apport cela représente-t-il pour la Tunisie?
Andreas Reinicke: Il s’agit de l’accord de 2015. Ce retard provient des nouvelles procédures du côté tunisien, même si nos procédures sont elles-mêmes assez difficiles. La formation professionnelle, l'assainissement de l'eau et les énergies renouvelables sont les principaux projets de l’accord 2015. Nous sommes en train de travailler sur l’accord de l’année 2017 et on a une forte chance de le présenter devant le parlement en 2017.
Pour l’accord 2017, il va être négocié fin mai. Il y a beaucoup d'idées du côté tunisien qui sont arbitrées sous l'égide du ministre des Affaires étrangères qui se charge du dossier avec l’Allemagne. C’est une grande réunion. On a déjà fait des avant-discussions parce que tout ce que souhaite la Tunisie n'entre pas dans nos compétences. Donc il faut trouver cette approche. Je ne connais pas encore des projets qui vont être négociés fin mai mais on va négocier la somme de 250 millions d’euros. Actuellement, il y a une délégation pour négocier une somme supplémentaire exceptionnelle de 100 millions d’euros sur une période de 3-4 ans pour des projets qui entrent dans le contexte G20 Afrique que préside l’Allemagne.
Les relations commerciales entre nos deux pays sont-elles optimales? Quels sont les freins qui empêchent la Tunisie de devenir un hub pour l'Afrique?
Personnellement, je constate que l’idée commence à s'introduire en Allemagne. Il faut d’abord que l’Allemagne, qui s’est orientée vers un export mondial, découvre l’Afrique. Il faut dire que les hommes d’affaires commencent à envisager cela et cherchent déjà les marchés potentiels et les possibilités d'implantation. Il existe déjà en Tunisie des sociétés allemandes. Mais je réalise, de plus en plus, que beaucoup de sociétés regardent du côté de la Tunisie, certaines s’installent doucement avec de petites antennes pour voir comment les choses se passent sur place. Je crois que cela est en train de se développer.
En ce qui concerne les freins, je pense que le plus important pour toutes les sociétés allemandes c’est la stabilité et la rapidité des décisions; ils m’ont tous dit que les frais pour pénétrer sur le marché tunisien sont relativement importants: au lieu de prendre l’avion trois fois, ils le font dix fois et cela coûte cher sans compter les frais supplémentaires (hôtels etc). Si l’on arrivait à faciliter les procédures, cela ferait avancer le travail. Par ailleurs, les sociétés veulent s’assurer de la fiabilité du contexte; les accords avec les travailleurs – et ils sont prêts à payer ce qu’il faut – doivent tenir le temps qu’il faut. Ils ne peuvent renégocier les prix avec les livreurs à chaque fois que les travailleurs reviennent sur les accords déjà signés au préalable.
Il existe aussi la question du cadre juridique; s’il y a un problème, la société a besoin d’une fiabilité juridique pour être sûre d’avoir toutes les garanties si jamais elle se heurte à un problème ou à un incident. Je pense qu’il s’agit des principaux freins auxquels se heurtent les sociétés qui veulent s’implanter en Tunisie. Le côté financier n’est pas si important qu’on le croit, une fois le cadre est mis en place, l’aspect financier peut être facilement résolu.
Lors d'une récente visite à Kasserine vous aviez affirmé que l'un des problèmes que rencontre le tourisme tunisien est la qualité des services mais également un manque de diversité de l'offre. Cela fait bientôt 3 ans que vous êtes ambassadeur d'Allemagne en Tunisie, comment avez vous vu l'évolution des relations tuniso-allemandes en la matière? Et comment voyez-vous l'offre touristique de la Tunisie vis-à-vis du marché allemand?
D'abord il faut dire que les chiffres augmentent (de touristes allemands en visite en Tunisie) (...) Il y a une augmentation située entre 20% et 30%. Les prévisions montrent même que d'ici 2 à 3 ans, on va revenir à un certain niveau, à peu près équivalent à ce que c'était avant les attentats.
Mais comment avoir plus? La Tunisie offre jusque ici le beau temps et la plage. Or le beau temps et la plage sont des prestations qu'offrent près de 7 pays au monde. Il y a donc de la concurrence.
Ce qu'on peut observer depuis que j'ai fait cette déclaration, c'est qu'il y a un changement. D'abord la propreté s'est améliorée surtout dans les zones touristiques, et j'espère que ce ne sont pas seulement les touristes qui profitent de ça.
Deuxièmement les hôteliers aujourd'hui investissent. TUI, par exemple, offre une nouvelle approche pour certains clients avec les hôtels sans enfants et il y a une clientèle pour ça. Ils ont ouvert 2 ou 3 hôtels dernièrement et ils m'ont dit que la demande est intéressante.
Il y a aussi d'autres hôteliers tunisiens qui investissent aussi. Ils ont profité de la situation où il y a peu de touristes pour améliorer leurs hôtels.
Également, il y a autre chose qui commence à pointer petit à petit et que j'aimerais voir un petit peu plus, c'est la spécificité régionale (...).
Par exemple Tozeur. Jusqu'à maintenant ils avaient profité des touristes qui viennent de la côte par bus, ils passent Chott El Jerid, ils vont à Tozeur, passent une nuit là bas peut-être deux après ils repartent sur Sousse. Donc s'il n'y a pas de touristes à Sousse, il n'y a pas de touristes à Tozeur.
Face à la situation, ceux qui travaillent dans le tourisme de tozeur étaient prêts à s'assoir autour d'une table -il y avait de la concurrence mais ils pensaient à la cohérence- . Ils ont réfléchi eux mêmes sur comment développer le produit, et sont surtout allés chercher le marché eux mêmes. Ils sont donc allés au salon du tourisme à Paris et à Berlin pour aller directement intéresser les clients.
Cela ne veut pas dire que tout d'un coup il y a des millions et des millions qui arrivent mais il faut aller les chercher et probablement devoir y retourner l'année prochaine une nouvelle fois. Il ne faut pas toujours attendre que le ministère le fasse, ce sont les responsables sur place qui doivent le faire. Nous, on a soutenu à travers les frais de voyage, les frais d'hôtels, l'expertise, comment il faut approcher, comment il faut intéresser les gens.
Voilà l'exemple de quelque chose qui peut se passer.
Il y a une autre chose que je trouve très bien moi-même, c'est le tourisme interne. Par exemple la randonnée. Si vous regardez tous les samedis matin sur la grande place à Tunis, il y a beaucoup de bus qui partent dans toutes les directions pour les randonnées. Moi j'ai participé deux fois avec eux.
C'est ça la spécificité régionale. Si vous trouvez pour chaque région une spécificité, il y a un certain tourisme qui peut s'établir.
Les prémices sont là, maintenant il faut les encourager.
Sur le plan culturel, le Goethe Institut est un acteur très dynamique, actuellement on entend parler de la 5ème édition de Kulturakademie qui s’inscrit dans la promotion de la coopération culturelle en Tunisie. Quel en a été le bilan? Qu’est ce que vous attendez d’une telle initiative à l’avenir?
Comme vous le dites à juste titre, la culture bilatérale est organisée par l’institut Goethe et pas par l’ambassade, moi je n’ai rien à dire, ils reçoivent leur argent par le ministère des Affaires étrangères en Allemagne, directement. Même le ministère des Affaires étrangères n’a rien à dire, ce sont eux qui décident et c’est bien comme ça.
Personnellement je pense que l’idée d’une académie est une très bonne chose. La question c’est effectivement, comme vous l’avez justement dit, quel est le résultat? On a maintenant formé des managers de la culture. Que font-ils? Nous avons vu que certains qui ont été formés font des choses, et personnellement je trouve que certains autres pourraient faire plus, car une formation est une chose mais après il faut aussi l’appliquer. Certains sont dans des centres culturels de l’État. Évidemment il y a des difficultés que vous connaissez; d’autres sont dans des institutions privées.
Mais je crois aussi qu’un manager de la culture qui voit cela comme profession devrait aussi chercher quelque chose... Je crois que l’argent existe, on peut le trouver. Moi même j’essaie d’encourager des institutions privées aussi pour ne pas attendre que l’État fasse tout, car l’État a d’autres choses à faire.
Juste après l'adoption de la Constitution, vous sembliez être optimiste pour l'avenir de la Tunisie. Aujourd'hui, 3 ans après son adoption les choses ont évolué. La scène politique est amorphe avec Ennahdha et Nidaa qui gouvernent ensemble et un parlement sans réelle opposition. Des mouvements sociaux s'intensifient de plus en plus avec dernièrement Le Kef et Tatatouine. Malgré cela, partagez-vous toujours ce même optimisme qu'en 2014?
Je continue à avoir cet optimisme mais il faut le mettre dans une bonne perspective. La transition démocratique ne fait que commencer (...) Notre expérience en Allemagne de l'Est montre que ça dure à peu près une génération.
Ce ne sera pas si facile. Certaines personnes ne changeront jamais de mentalité, d'autres comprendront que c'est nécessaire au bout d'une semaine. C'est un processus complexe qui, chez nous, a duré une génération.
Dans le discours entre les Tunisiens, je souhaiterais qu'il y ait un peu plus de confiance les uns envers les autres et plus de confiance en eux-mêmes.
Bien sûr, il ne faut pas rester les bras croisés et attendre qu'une génération passe, parce qu'une transition démocratique, ça se construit.
Il faut que tout le monde prenne ses responsabilités. Le gouvernement n'est pas le seul responsable. Il y a aussi le parlement, l'administration, la justice qui doivent être aussi responsables dans leurs domaines.
La transition démocratique en Tunisie est divisée entre deux mouvements: la réconciliation et la quête de la vérité. Qu'est-ce qui pourrait faire éviter la stagnation de l'après-révolution, à votre sens?
Je ne veux pas commenter ce qui se passe en Tunisie mais je peux revenir sur notre expérience en Allemagne où on l’a fait deux fois: après la seconde guerre mondiale dans toute l’Allemagne et après, en Allemagne de l’Est en 1989-1990. Il n’existe pas de réponse catégorique pour cette question, je crois qu’il faut trouver la bonne balance.
Nous sommes tous convaincus qu’une société ne peut pas avancer sans afficher clairement les problèmes qu'elle a rencontrés dans son passé. C’est très douloureux, je vous l’accorde mais il faut assumer cette responsabilité.
Il y a beaucoup de fautes qui ont été commises et il faut trouver un processus qui puisse réellement trancher; on ne peut pas laisser les dossiers ouverts pour toujours. Il faut trouver le moyen pour trancher dans les affaires en trouvant les coupables et en affranchissant les innocents. La règle d’or de la juridiction dit que si l’on ne peut pas prouver la culpabilité de quelqu’un, ce dernier est innocent. Il faut que la Tunisie trouve la bonne balance.
Fermer les yeux sur les coupables et la vengeance sont, tous deux, inefficaces. Il faut trouver le juste milieu… En Allemagne, on a établi des procédures pour chaque fonctionnaire de l’Est mais, au bout de trois ou quatre, ans on a décidé de limoger ceux qui ont été trop impliqués avec le régime sans pour autant les emprisonner. je vous laisse avec ces mots un peu abstrait mais, je vous précise que pour nous, c’était très douloureux...
Certains craignent que le terrorisme qui frappe en Europe affecte la politique migratoire de l'Allemagne (demande de visa, immigration, etc) dans le sens d'un durcissement. Comment comptez-vous répondre à ces craintes?
Il n'y a pas de politique de durcissement mais au contraire une politique d'ouverture en ce qui concerne l'asile politique. ll faut, en effet, différencier l'asile politique de l'asile économique. Pour ce dernier cas de figure, il faut préparer la personne qui souhaite s'installer en Allemagne pour qu'elle puisse trouver du travail sinon elle risque de glisser dans l'illégalité comme la criminalité.
L'inscription de la Tunisie, du Maroc et de l'Algérie sur la liste des "pays sûrs" vise à accélérer les procédures, trop lentes, de reconnaissance de ceux qui ont droit à un asile politique et ceux qui n'ont pas. Par ailleurs, la plupart de demandeurs d'asile sont des Syriens. En Tunisie, on n'est pas concerné par l'asile politique puisque ici on n'est pas persécuté en raison de sa race, sa religion ou sa sexualité.
Certains Tunisiens se disent persécutés en raison de leur sexualité en l'occurrence les homosexuels qui risquent la prison en vertu de l'article 230 du code pénal tunisien...
Ceci demeure des cas individuels, où si la personne démontre qu'elle est persécutée à cause de son homosexualité, elle pourrait bénéficier d'un droit d'asile évidemment. En Tunisie, nombreux sont ceux qui vivent leur homosexualité en cachette.
Une partie de la société civile se tourne vers la communauté internationale pour faire pression sur le gouvernement tunisien concernant l'homosexualité. Que pensez-vous de cette démarche?
On discute avec des associations, on les soutient et on plaide pour leur inclusion à travers des rencontres avec les politiques. D'ailleurs, il n'y a pas vraiment d'opposition de la part de ces derniers. Cette question doit être réglée au niveau de la société tunisienne. Pour cela, il y a un débat qui doit être posé et qui l'est déjà d'ailleurs. Moi-même j'étais contre l'homosexualité, sans être bien sûr pour leur persécution, mais j'ai évolué en rencontrant des personnes homosexuelles très intelligentes et ouvertes qui m'ont fait changer d'avis.
En matière de communication diplomatique nous constatons de grands changements. Est-ce une nouvelle ère diplomatique ou cela reste-t-il une initiative personnelle?
Je crois que chacun doit décider pour lui-même comment il veut communiquer, je trouve que c'est une approche très importante. Pour ma part, je voyage beaucoup dans les régions, et j'utilise le Facebook de l'ambassade. Je discute beaucoup avec les gens. J'ai choisi pour moi-même cette approche de proximité. Effectivement ce qui est très important, à mon avis, c'est qu'un ambassadeur n'est pas seulement un représentant vis-à-vis d'un gouvernement, mais vis-à-vis d'un peuple. La même chose s'applique à l'ambassadeur tunisien en Allemagne, qui est l'interlocuteur primordial du gouvernement, mais c'est très important de représenter la Tunisie dans le public. Moi je le fais dans une façon qui me correspond, et chacun le fait à sa manière.
HuffPost Tunisie: Un accord de coopération financière entre la Tunisie et l’Allemagne a été signé récemment, quel apport cela représente-t-il pour la Tunisie?
Andreas Reinicke: Il s’agit de l’accord de 2015. Ce retard provient des nouvelles procédures du côté tunisien, même si nos procédures sont elles-mêmes assez difficiles. La formation professionnelle, l'assainissement de l'eau et les énergies renouvelables sont les principaux projets de l’accord 2015. Nous sommes en train de travailler sur l’accord de l’année 2017 et on a une forte chance de le présenter devant le parlement en 2017.
Pour l’accord 2017, il va être négocié fin mai. Il y a beaucoup d'idées du côté tunisien qui sont arbitrées sous l'égide du ministre des Affaires étrangères qui se charge du dossier avec l’Allemagne. C’est une grande réunion. On a déjà fait des avant-discussions parce que tout ce que souhaite la Tunisie n'entre pas dans nos compétences. Donc il faut trouver cette approche. Je ne connais pas encore des projets qui vont être négociés fin mai mais on va négocier la somme de 250 millions d’euros. Actuellement, il y a une délégation pour négocier une somme supplémentaire exceptionnelle de 100 millions d’euros sur une période de 3-4 ans pour des projets qui entrent dans le contexte G20 Afrique que préside l’Allemagne.
Les relations commerciales entre nos deux pays sont-elles optimales? Quels sont les freins qui empêchent la Tunisie de devenir un hub pour l'Afrique?
Personnellement, je constate que l’idée commence à s'introduire en Allemagne. Il faut d’abord que l’Allemagne, qui s’est orientée vers un export mondial, découvre l’Afrique. Il faut dire que les hommes d’affaires commencent à envisager cela et cherchent déjà les marchés potentiels et les possibilités d'implantation. Il existe déjà en Tunisie des sociétés allemandes. Mais je réalise, de plus en plus, que beaucoup de sociétés regardent du côté de la Tunisie, certaines s’installent doucement avec de petites antennes pour voir comment les choses se passent sur place. Je crois que cela est en train de se développer.
En ce qui concerne les freins, je pense que le plus important pour toutes les sociétés allemandes c’est la stabilité et la rapidité des décisions; ils m’ont tous dit que les frais pour pénétrer sur le marché tunisien sont relativement importants: au lieu de prendre l’avion trois fois, ils le font dix fois et cela coûte cher sans compter les frais supplémentaires (hôtels etc). Si l’on arrivait à faciliter les procédures, cela ferait avancer le travail. Par ailleurs, les sociétés veulent s’assurer de la fiabilité du contexte; les accords avec les travailleurs – et ils sont prêts à payer ce qu’il faut – doivent tenir le temps qu’il faut. Ils ne peuvent renégocier les prix avec les livreurs à chaque fois que les travailleurs reviennent sur les accords déjà signés au préalable.
Il existe aussi la question du cadre juridique; s’il y a un problème, la société a besoin d’une fiabilité juridique pour être sûre d’avoir toutes les garanties si jamais elle se heurte à un problème ou à un incident. Je pense qu’il s’agit des principaux freins auxquels se heurtent les sociétés qui veulent s’implanter en Tunisie. Le côté financier n’est pas si important qu’on le croit, une fois le cadre est mis en place, l’aspect financier peut être facilement résolu.
Lors d'une récente visite à Kasserine vous aviez affirmé que l'un des problèmes que rencontre le tourisme tunisien est la qualité des services mais également un manque de diversité de l'offre. Cela fait bientôt 3 ans que vous êtes ambassadeur d'Allemagne en Tunisie, comment avez vous vu l'évolution des relations tuniso-allemandes en la matière? Et comment voyez-vous l'offre touristique de la Tunisie vis-à-vis du marché allemand?
D'abord il faut dire que les chiffres augmentent (de touristes allemands en visite en Tunisie) (...) Il y a une augmentation située entre 20% et 30%. Les prévisions montrent même que d'ici 2 à 3 ans, on va revenir à un certain niveau, à peu près équivalent à ce que c'était avant les attentats.
Mais comment avoir plus? La Tunisie offre jusque ici le beau temps et la plage. Or le beau temps et la plage sont des prestations qu'offrent près de 7 pays au monde. Il y a donc de la concurrence.
Ce qu'on peut observer depuis que j'ai fait cette déclaration, c'est qu'il y a un changement. D'abord la propreté s'est améliorée surtout dans les zones touristiques, et j'espère que ce ne sont pas seulement les touristes qui profitent de ça.
Deuxièmement les hôteliers aujourd'hui investissent. TUI, par exemple, offre une nouvelle approche pour certains clients avec les hôtels sans enfants et il y a une clientèle pour ça. Ils ont ouvert 2 ou 3 hôtels dernièrement et ils m'ont dit que la demande est intéressante.
Il y a aussi d'autres hôteliers tunisiens qui investissent aussi. Ils ont profité de la situation où il y a peu de touristes pour améliorer leurs hôtels.
Également, il y a autre chose qui commence à pointer petit à petit et que j'aimerais voir un petit peu plus, c'est la spécificité régionale (...).
Par exemple Tozeur. Jusqu'à maintenant ils avaient profité des touristes qui viennent de la côte par bus, ils passent Chott El Jerid, ils vont à Tozeur, passent une nuit là bas peut-être deux après ils repartent sur Sousse. Donc s'il n'y a pas de touristes à Sousse, il n'y a pas de touristes à Tozeur.
Face à la situation, ceux qui travaillent dans le tourisme de tozeur étaient prêts à s'assoir autour d'une table -il y avait de la concurrence mais ils pensaient à la cohérence- . Ils ont réfléchi eux mêmes sur comment développer le produit, et sont surtout allés chercher le marché eux mêmes. Ils sont donc allés au salon du tourisme à Paris et à Berlin pour aller directement intéresser les clients.
Cela ne veut pas dire que tout d'un coup il y a des millions et des millions qui arrivent mais il faut aller les chercher et probablement devoir y retourner l'année prochaine une nouvelle fois. Il ne faut pas toujours attendre que le ministère le fasse, ce sont les responsables sur place qui doivent le faire. Nous, on a soutenu à travers les frais de voyage, les frais d'hôtels, l'expertise, comment il faut approcher, comment il faut intéresser les gens.
Voilà l'exemple de quelque chose qui peut se passer.
Il y a une autre chose que je trouve très bien moi-même, c'est le tourisme interne. Par exemple la randonnée. Si vous regardez tous les samedis matin sur la grande place à Tunis, il y a beaucoup de bus qui partent dans toutes les directions pour les randonnées. Moi j'ai participé deux fois avec eux.
C'est ça la spécificité régionale. Si vous trouvez pour chaque région une spécificité, il y a un certain tourisme qui peut s'établir.
Les prémices sont là, maintenant il faut les encourager.
Sur le plan culturel, le Goethe Institut est un acteur très dynamique, actuellement on entend parler de la 5ème édition de Kulturakademie qui s’inscrit dans la promotion de la coopération culturelle en Tunisie. Quel en a été le bilan? Qu’est ce que vous attendez d’une telle initiative à l’avenir?
Comme vous le dites à juste titre, la culture bilatérale est organisée par l’institut Goethe et pas par l’ambassade, moi je n’ai rien à dire, ils reçoivent leur argent par le ministère des Affaires étrangères en Allemagne, directement. Même le ministère des Affaires étrangères n’a rien à dire, ce sont eux qui décident et c’est bien comme ça.
Personnellement je pense que l’idée d’une académie est une très bonne chose. La question c’est effectivement, comme vous l’avez justement dit, quel est le résultat? On a maintenant formé des managers de la culture. Que font-ils? Nous avons vu que certains qui ont été formés font des choses, et personnellement je trouve que certains autres pourraient faire plus, car une formation est une chose mais après il faut aussi l’appliquer. Certains sont dans des centres culturels de l’État. Évidemment il y a des difficultés que vous connaissez; d’autres sont dans des institutions privées.
Mais je crois aussi qu’un manager de la culture qui voit cela comme profession devrait aussi chercher quelque chose... Je crois que l’argent existe, on peut le trouver. Moi même j’essaie d’encourager des institutions privées aussi pour ne pas attendre que l’État fasse tout, car l’État a d’autres choses à faire.
Juste après l'adoption de la Constitution, vous sembliez être optimiste pour l'avenir de la Tunisie. Aujourd'hui, 3 ans après son adoption les choses ont évolué. La scène politique est amorphe avec Ennahdha et Nidaa qui gouvernent ensemble et un parlement sans réelle opposition. Des mouvements sociaux s'intensifient de plus en plus avec dernièrement Le Kef et Tatatouine. Malgré cela, partagez-vous toujours ce même optimisme qu'en 2014?
Je continue à avoir cet optimisme mais il faut le mettre dans une bonne perspective. La transition démocratique ne fait que commencer (...) Notre expérience en Allemagne de l'Est montre que ça dure à peu près une génération.
Ce ne sera pas si facile. Certaines personnes ne changeront jamais de mentalité, d'autres comprendront que c'est nécessaire au bout d'une semaine. C'est un processus complexe qui, chez nous, a duré une génération.
Dans le discours entre les Tunisiens, je souhaiterais qu'il y ait un peu plus de confiance les uns envers les autres et plus de confiance en eux-mêmes.
Bien sûr, il ne faut pas rester les bras croisés et attendre qu'une génération passe, parce qu'une transition démocratique, ça se construit.
Il faut que tout le monde prenne ses responsabilités. Le gouvernement n'est pas le seul responsable. Il y a aussi le parlement, l'administration, la justice qui doivent être aussi responsables dans leurs domaines.
La transition démocratique en Tunisie est divisée entre deux mouvements: la réconciliation et la quête de la vérité. Qu'est-ce qui pourrait faire éviter la stagnation de l'après-révolution, à votre sens?
Je ne veux pas commenter ce qui se passe en Tunisie mais je peux revenir sur notre expérience en Allemagne où on l’a fait deux fois: après la seconde guerre mondiale dans toute l’Allemagne et après, en Allemagne de l’Est en 1989-1990. Il n’existe pas de réponse catégorique pour cette question, je crois qu’il faut trouver la bonne balance.
Nous sommes tous convaincus qu’une société ne peut pas avancer sans afficher clairement les problèmes qu'elle a rencontrés dans son passé. C’est très douloureux, je vous l’accorde mais il faut assumer cette responsabilité.
Il y a beaucoup de fautes qui ont été commises et il faut trouver un processus qui puisse réellement trancher; on ne peut pas laisser les dossiers ouverts pour toujours. Il faut trouver le moyen pour trancher dans les affaires en trouvant les coupables et en affranchissant les innocents. La règle d’or de la juridiction dit que si l’on ne peut pas prouver la culpabilité de quelqu’un, ce dernier est innocent. Il faut que la Tunisie trouve la bonne balance.
Fermer les yeux sur les coupables et la vengeance sont, tous deux, inefficaces. Il faut trouver le juste milieu… En Allemagne, on a établi des procédures pour chaque fonctionnaire de l’Est mais, au bout de trois ou quatre, ans on a décidé de limoger ceux qui ont été trop impliqués avec le régime sans pour autant les emprisonner. je vous laisse avec ces mots un peu abstrait mais, je vous précise que pour nous, c’était très douloureux...
Certains craignent que le terrorisme qui frappe en Europe affecte la politique migratoire de l'Allemagne (demande de visa, immigration, etc) dans le sens d'un durcissement. Comment comptez-vous répondre à ces craintes?
Il n'y a pas de politique de durcissement mais au contraire une politique d'ouverture en ce qui concerne l'asile politique. ll faut, en effet, différencier l'asile politique de l'asile économique. Pour ce dernier cas de figure, il faut préparer la personne qui souhaite s'installer en Allemagne pour qu'elle puisse trouver du travail sinon elle risque de glisser dans l'illégalité comme la criminalité.
L'inscription de la Tunisie, du Maroc et de l'Algérie sur la liste des "pays sûrs" vise à accélérer les procédures, trop lentes, de reconnaissance de ceux qui ont droit à un asile politique et ceux qui n'ont pas. Par ailleurs, la plupart de demandeurs d'asile sont des Syriens. En Tunisie, on n'est pas concerné par l'asile politique puisque ici on n'est pas persécuté en raison de sa race, sa religion ou sa sexualité.
Certains Tunisiens se disent persécutés en raison de leur sexualité en l'occurrence les homosexuels qui risquent la prison en vertu de l'article 230 du code pénal tunisien...
Ceci demeure des cas individuels, où si la personne démontre qu'elle est persécutée à cause de son homosexualité, elle pourrait bénéficier d'un droit d'asile évidemment. En Tunisie, nombreux sont ceux qui vivent leur homosexualité en cachette.
Une partie de la société civile se tourne vers la communauté internationale pour faire pression sur le gouvernement tunisien concernant l'homosexualité. Que pensez-vous de cette démarche?
On discute avec des associations, on les soutient et on plaide pour leur inclusion à travers des rencontres avec les politiques. D'ailleurs, il n'y a pas vraiment d'opposition de la part de ces derniers. Cette question doit être réglée au niveau de la société tunisienne. Pour cela, il y a un débat qui doit être posé et qui l'est déjà d'ailleurs. Moi-même j'étais contre l'homosexualité, sans être bien sûr pour leur persécution, mais j'ai évolué en rencontrant des personnes homosexuelles très intelligentes et ouvertes qui m'ont fait changer d'avis.
En matière de communication diplomatique nous constatons de grands changements. Est-ce une nouvelle ère diplomatique ou cela reste-t-il une initiative personnelle?
Je crois que chacun doit décider pour lui-même comment il veut communiquer, je trouve que c'est une approche très importante. Pour ma part, je voyage beaucoup dans les régions, et j'utilise le Facebook de l'ambassade. Je discute beaucoup avec les gens. J'ai choisi pour moi-même cette approche de proximité. Effectivement ce qui est très important, à mon avis, c'est qu'un ambassadeur n'est pas seulement un représentant vis-à-vis d'un gouvernement, mais vis-à-vis d'un peuple. La même chose s'applique à l'ambassadeur tunisien en Allemagne, qui est l'interlocuteur primordial du gouvernement, mais c'est très important de représenter la Tunisie dans le public. Moi je le fais dans une façon qui me correspond, et chacun le fait à sa manière.
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