Douraïd Souissi a réalisé de nombreuses expositions, personnelles et collectives, en Afrique, en Europe et au Moyen Orient. Régulièrement sollicité en Tunisie, il a à cœur de faire connaître son travail dans les régions en exposant au Kef, à Haouaria, Hammamet, Ghar el Melh ou encore Douz. Actuellement en résidence à la Cité internationale des Arts à Paris, il vient d’entamer sa première exposition personnelle avec la galerie A. Gorgi à Sidi Bou Saïd, intitulée "Mohamed, Salem, Omrane, Hbib, Hsouna, Alaa, Farid, Hamza, Mehdi, Oussama et Kamel".
Celle-ci réunit, jusqu’au 10 mai, une quinzaine de photographies en noir et blanc, à travers une scénographie savamment étudiée, nous permettant de pénétrer instantanément l’univers de l’artiste. Un moyen également pour le spectateur de s’identifier aux sujets représentés. Des hommes tournant le dos, entourés d’un vide, un néant dont ils semblent étrangers, inspireront l’apaisement ou au contraire l’oppression. La pureté et la lumière parfaitement maîtrisée de ces clichés laissent, en effet, libre cours à nos interprétations.
Après le succès de ses œuvres lors de leur présentation à l’Expo Talan à Tunis, puis à Londres, le photographe tunisien a agrandi cette série en shootant dans plusieurs régions tunisiennes (Makthar, Hay El khadra, Radès, Haouaria). Elle compte aujourd’hui une trentaine de photographies, dont il offre ici une remarquable sélection.
Douraïd Souissi revient pour le HuffPost Tunisie sur les réflexions qui ont motivé ce processus créatif.
HuffPost Tunisie: Qui sont ces personnages?
Douraïd Souissi: Mohamed, Salem, Omrane, Hbib, Hsouna, Alaa, Farid, Hamza, Mehdi, Oussama et Kamel sont lesonze prénoms des personnes exposées, que j’ai shootées. Ce sont des anonymes que je révèle sans les révéler. On peut penser que je les starifie à travers ces prénoms, comme Jésus, ou Prince qui n’ont pas besoin de nom de famille!
Au départ ce sont des quidams, des gens non identifiés, ce ne sont pas des stars, des gens qui ont,entre guillemet, de l’influence, l’idée est un peu celle du Tunisien moyen. Les personnes ont été sélectionnées selon ce critère, jeunes, moins jeunes et vieux.
Justement, qu’en est-il de la représentation féminine?
La seule femme représentée est en petit format, elle représente aussi un clin d’œil. Je l’ai incluse, même si elle n’est pas dans la série propre, le noyau des onze grands formats mais dans les quatre petits formats.
Chacun de ces petits formats part dans une petite tangente, l’un d’eux est une fille, qui pour l’anecdote est voilée. Il s’agit d’une photo prise au hasard contrairement aux autres pour lesquels j’ai, en quelque sorte, tout contrôlé, j’ai choisi le background, la lumière… c’était prémédité.
La fille c’est un portrait que j’ai pris au hasard en 2013. J’étais dans une conférence et elle regardait l’écran, la lumière du projecteur se reflétait sur le mur et revenait sur elle, ça a créé cette lumière qui vient de derrière, on voyait à peine sa silhouette, les traits de son visage.
Quelle a été l’idée de départ de ces représentations? Leur symbolique?
J’ai eu l’idée de développer ce concept lors de ma participation à l’ExpoTalan, qui avait pour thème « Breaking news », donc l’urgence des médias, de l’information, etc. On est tellement inondé d’images qu’on parle de « post-vérité », on ne s’y retrouve plus, il n’y a plus de vérité, on ne sait plus où elle se trouve. J’avais choisi de dire merde à l’actualité, car c’est ce que je ressens.
Après la révolution, les gens avaient des attentes mais ont fini par tourner le dos. On pensait au début qu’il pouvait se passer quelque chose, que les médias pouvaient mettre en lumière l’adversité, la pauvreté, l’injustice subie par les Tunisiens.
Mais les Tunisiens ont vu deux choses, d’abord la classe politique les a déçu avec les islamistes et le retour de l’ancien régime. Le citoyen a compris que, révolution ou pas, rien n’avait changé, donc il tourne le dos à l’actualité, à la scène politique, à tous ces partis qui sortent de nulle part.
Il tourne également le dos car il veut rester dans sa sphère privée, se méfie des médias. Car, et ça c’est aussi moi qui le projette,certains médias se servent de la pauvreté des gens, de leur souffrance. C’est devenu un marché, le marché de la révolution en quelques sortes. Il y a aussi des histoires de vies privées, comme avec Si Ala(NDLR : Ala Chebbi animateur de l’émission Andi Mankolek), qui existe car il y a une demande de voyeurisme, de sensationnalisme. On est rentrés dans l’entertainment à l’américaine à l’image de Jerry Springer (NDLR : animateur de l’émission controverséeThe Jerry Springer Show) aux États-Unis.
Donc, pour moi, ces gens tournent le dos à plein de choses, à cette réalité qui se sert d’eux, aux médias, aux plateaux télé, aux caméras, aux images…Une très grande promesse venait en effet avec l’image, dans cette société surmédiatisée si on est pas sur un écran on existe pas ! De la même façon le selfie est un moyen d’affirmer son existence. Il y a donc dans ce travail toute cette réflexion autour de la politique, des médias, de la société, de la surconsommation d’images.
D’ailleurs, la notion de Tunisiens est ici extensible aux Arabes, Maghrébins, Africains ou du tiers-monde. Je parle de mon contexte à moi, je suis resté six ans aux Etats-Unis, je suis revenu après mon master car je ne peux pas oublié cette Tunisie ! Ça me fait vraiment mal au cœur, j’ai vraiment cru à tout ce qui s’est passé au départ (NDLR: de la révolution).Je ne pensais pas que c’était possible, comme si quelque chose était tombé du ciel, comme une fatalité, c’était incroyable, du coup ça a créé énormément d’attente. C’est moi en fait à travers ces photos, il y a même une photo de moi parmi les quatre petits formats !
Celle-ci réunit, jusqu’au 10 mai, une quinzaine de photographies en noir et blanc, à travers une scénographie savamment étudiée, nous permettant de pénétrer instantanément l’univers de l’artiste. Un moyen également pour le spectateur de s’identifier aux sujets représentés. Des hommes tournant le dos, entourés d’un vide, un néant dont ils semblent étrangers, inspireront l’apaisement ou au contraire l’oppression. La pureté et la lumière parfaitement maîtrisée de ces clichés laissent, en effet, libre cours à nos interprétations.
Après le succès de ses œuvres lors de leur présentation à l’Expo Talan à Tunis, puis à Londres, le photographe tunisien a agrandi cette série en shootant dans plusieurs régions tunisiennes (Makthar, Hay El khadra, Radès, Haouaria). Elle compte aujourd’hui une trentaine de photographies, dont il offre ici une remarquable sélection.
Douraïd Souissi revient pour le HuffPost Tunisie sur les réflexions qui ont motivé ce processus créatif.
HuffPost Tunisie: Qui sont ces personnages?
Douraïd Souissi: Mohamed, Salem, Omrane, Hbib, Hsouna, Alaa, Farid, Hamza, Mehdi, Oussama et Kamel sont lesonze prénoms des personnes exposées, que j’ai shootées. Ce sont des anonymes que je révèle sans les révéler. On peut penser que je les starifie à travers ces prénoms, comme Jésus, ou Prince qui n’ont pas besoin de nom de famille!
Au départ ce sont des quidams, des gens non identifiés, ce ne sont pas des stars, des gens qui ont,entre guillemet, de l’influence, l’idée est un peu celle du Tunisien moyen. Les personnes ont été sélectionnées selon ce critère, jeunes, moins jeunes et vieux.
Justement, qu’en est-il de la représentation féminine?
La seule femme représentée est en petit format, elle représente aussi un clin d’œil. Je l’ai incluse, même si elle n’est pas dans la série propre, le noyau des onze grands formats mais dans les quatre petits formats.
Chacun de ces petits formats part dans une petite tangente, l’un d’eux est une fille, qui pour l’anecdote est voilée. Il s’agit d’une photo prise au hasard contrairement aux autres pour lesquels j’ai, en quelque sorte, tout contrôlé, j’ai choisi le background, la lumière… c’était prémédité.
La fille c’est un portrait que j’ai pris au hasard en 2013. J’étais dans une conférence et elle regardait l’écran, la lumière du projecteur se reflétait sur le mur et revenait sur elle, ça a créé cette lumière qui vient de derrière, on voyait à peine sa silhouette, les traits de son visage.
LIRE AUSSI: À la rencontre de Douraïd Souissi, le photographe qui n'aime pas aller là où on l'attend
Quelle a été l’idée de départ de ces représentations? Leur symbolique?
J’ai eu l’idée de développer ce concept lors de ma participation à l’ExpoTalan, qui avait pour thème « Breaking news », donc l’urgence des médias, de l’information, etc. On est tellement inondé d’images qu’on parle de « post-vérité », on ne s’y retrouve plus, il n’y a plus de vérité, on ne sait plus où elle se trouve. J’avais choisi de dire merde à l’actualité, car c’est ce que je ressens.
Après la révolution, les gens avaient des attentes mais ont fini par tourner le dos. On pensait au début qu’il pouvait se passer quelque chose, que les médias pouvaient mettre en lumière l’adversité, la pauvreté, l’injustice subie par les Tunisiens.
Mais les Tunisiens ont vu deux choses, d’abord la classe politique les a déçu avec les islamistes et le retour de l’ancien régime. Le citoyen a compris que, révolution ou pas, rien n’avait changé, donc il tourne le dos à l’actualité, à la scène politique, à tous ces partis qui sortent de nulle part.
Il tourne également le dos car il veut rester dans sa sphère privée, se méfie des médias. Car, et ça c’est aussi moi qui le projette,certains médias se servent de la pauvreté des gens, de leur souffrance. C’est devenu un marché, le marché de la révolution en quelques sortes. Il y a aussi des histoires de vies privées, comme avec Si Ala(NDLR : Ala Chebbi animateur de l’émission Andi Mankolek), qui existe car il y a une demande de voyeurisme, de sensationnalisme. On est rentrés dans l’entertainment à l’américaine à l’image de Jerry Springer (NDLR : animateur de l’émission controverséeThe Jerry Springer Show) aux États-Unis.
Donc, pour moi, ces gens tournent le dos à plein de choses, à cette réalité qui se sert d’eux, aux médias, aux plateaux télé, aux caméras, aux images…Une très grande promesse venait en effet avec l’image, dans cette société surmédiatisée si on est pas sur un écran on existe pas ! De la même façon le selfie est un moyen d’affirmer son existence. Il y a donc dans ce travail toute cette réflexion autour de la politique, des médias, de la société, de la surconsommation d’images.
D’ailleurs, la notion de Tunisiens est ici extensible aux Arabes, Maghrébins, Africains ou du tiers-monde. Je parle de mon contexte à moi, je suis resté six ans aux Etats-Unis, je suis revenu après mon master car je ne peux pas oublié cette Tunisie ! Ça me fait vraiment mal au cœur, j’ai vraiment cru à tout ce qui s’est passé au départ (NDLR: de la révolution).Je ne pensais pas que c’était possible, comme si quelque chose était tombé du ciel, comme une fatalité, c’était incroyable, du coup ça a créé énormément d’attente. C’est moi en fait à travers ces photos, il y a même une photo de moi parmi les quatre petits formats !
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