PORTRAIT - Moufida Fedhila est ce genre de femmes qui n'a pas froid aux yeux. Artiste accomplie, performeuse de talent, plasticienne, réalisatrice et productrice, son film "Hors-je" (produit par Yol Film House) vient de remporter le "Prix Spécial du Jury" au Festival International du Cinéma et Éducation de Fès (Maroc). Quelques temps avant, il avait déjà remporté le Prix du Meilleur Court Métrage Documentaire au Festival des Réalisateurs Tunisiens en 2015.
Ce film est à son image: ouvert aux autres, libre, frais et éclectique. Visuel et mémoriel. Se passant dans un quartier populaire de Tunis, Moufida invite les enfants à envahir les murs en déclarant le rêve total, libre et sans limites. Leurs aspirations sont écrites noir sur blanc.
" 'Hors-je' est un voyage dans l'enfance révoltée et qui se veut libre dans une Tunisie indifférente à leur condition de vie dans les quartiers défavorisés et dans les régions reculées. C'est une enfante remontée à surface de mémoire. Je filme leurs désirs, l'imaginaire et la poésie font le reste. Tourner avec un enfant est 'un état de grâce' comme le dit Wim Wenders. Personne ne peut oublier 'Le Kid' de Chaplin, un chef-d'oeuvre incontestable." affirme Moufida au HuffPost Tunisie.
Ce focus, ce prisme choisi est "un journal d’un enfant de quartier populaire de la Tunisie" affirme la jeune femme. "Je voulais filmer ces enfants en leur donnant des moyens simples pour s’exprimer dans un milieu difficile et sujet à toutes les tentations possibles. L’art et la culture sont la force qui peut sauver certains d’un avenir qui pourrait être sombre et plongé dans l’extrémisme. C’est le moyen de porter un regard sur le monde et d’avoir confiance en soi pour trouver sa place dans une société qui à tendance à juger les origines sociales" concède t-elle.
Ce qu'est aller chercher Moufida auprès de ces enfants n'est autre que leur désir de liberté dans un quartier où le temps semble avoir suspendu son vol: "Ils avaient une soif incroyable de s'exprimer surtout que leur quotidien après l'école se limitait à cet espace restreint de leur quartier où ils n'existe aucune activité artistique" affirme la productrice et réalisatrice avant d'ajouter: "leur apporter une attention particulière et artistique leur a donné une échappée exceptionnelle. Les familles ont même participé par encourager leurs enfants à être dans le film."
Les enfants: un thème de prédilection
Le monde de l'enfance, Moufida le connait par coeur, le vit et le montre tel qu'il est: vivant, libre, insouciant.
Ce travail revêt presque un caractère anthropologique: "Le monde de l’enfance est mon thème de prédilection. Je partage ce que dit Luigi Comencini 'L’enfance, me semble être le seul moment de grande liberté pour un individu. Le processus par lequel l’éducation, scolaire comme familiale, tend à étouffer cette liberté est dramatique… Le seul moyen de libérer l’enfance est justement de se mettre à son niveau.' " affirme Moufida avant d'ajouter: "Je ne peux être que proche des enfants et de leur univers. J’aime filmer ce que les enfants n’ont pas perdu, leur capacité de regarder le monde sans nécessairement en avoir une opinion immédiate et en tirer des conclusions. D’ailleurs mon prochain film de fiction 'AYA' est aussi une histoire terrible sur une enfant qui vit dans une famille salafiste".
Une artiste pluridisciplinaire
Productrice, réalisatrice, plasticienne, performeuse, photographe, poétesse, dessinatrice, Moufida est touche à tout. Pourtant, dans une société qui tend à placer les gens dans des cases, elle réussit à sortir du lot non sans difficultés: "Ce n'est pas toujours évident aujourd'hui d'être une artiste pluridisciplinaire surtout qu'on exige de vous d'être unilatéral et de rentrer dans une catégorie d'artiste. Ce que j'ai toujours refusé et assumé" admet-elle.
"Aujourd'hui plus vous êtes dans la norme et que vous répondez au marché de l'art plus vous êtes dans 'la bonne case'. Nous vivons dans un monde purement économique où l’immédiateté et la rapidité sont le seul mot d’ordre. Cela engendre une certaine culture de la médiocrité" déclare la jeune artiste.
Une "agitatrice de conscience"
Flashback: Nous sommes en 2011, la révolution a fait fuir le dictateur vers l'Arabie Saoudite. La parole se libère, la rue redevient un espace public, un espace citoyen. Un brouhaha incessant s'en dégage. Au mois de mai, un étranger super-héros arpente l'avenue Habib Bourguiba: "Super-Tunisian", une femme aux super-pouvoirs promettant aux passants et citoyens de révolutionner le pays.
Véritable "pied-de-nez" au discours démagogiques des hommes politiques, la performance de Moufida fit réagir sur les réseaux sociaux et à l'avenue, à tel point qu'elle a reçu des menaces de mort.
Peu importait, pour Moufida alias "Super-Tunisian", la démarche était tout autre: "Une partie de mon travail implique le spectateur et je fais en sorte que le public soit acteur surtout dans mes performances" affirme t-elle avant d'ajouter "C’est une démarche qui m’a parut nécessaire en Tunisie pour la performance dans l’espace public."
Se réapproprier l'espace public, faire de l'art un droit, et une bouffée d'air frais dans l'abattage politique dans l'immédiat après révolution, voilà les aspirations de Moufida : " 'Super-Tunsian' est la première performance artistique en ce sens dans l’histoire de l’art tunisien. Je voulais que l’art soit une revendication en tant que droit autant que le droit au travail ou autre. 'Super-Tunisian' est un agitateur de conscience à la fois pacifique, politique et critique."
C'est dans ce cadre qu'elle rejoint le 18 mars dernier, la campagne "People For Tunisia", une campagne de solidarité internationale, qui promeut la démocratie et les valeurs universelles.
Sortir l'art de sa "tour d'ivoire"
5 ans après la révolution, la place de l'art et des artistes en général est loin d'être un long fleuve tranquille: "En Tunisie nous avons encore affaire à deux genres d’artistes ou de pseudo-artistes. Il y a des artistes qui sont déconnectés de la réalité et continuent à nous imposer des œuvres médiocres et sans fond. Mais il y a aussi un autre genre de pseudo-artiste qui prône la haine de l’autre sur les plateaux télé et via les réseaux sociaux." affirme Moufida, ajoutant "Il me semble que 'l’artiste dans sa tour d’ivoire' est toujours d’actualité."
Faire sortir l'art de sa réserve, des sentiers battus, de sa vision monochrome et ce en se basant sur une mine d'énergie, de volonté, de vie: la jeunesse. "Nous sommes encore loin de l’artiste responsable de ses dires et de ses actes. Mais je reste optimiste parce que il y a aussi des artistes et des acteurs culturels qui travaillent pour une Tunisie meilleure. Oui optimiste parce que ce pays regorge d'énergie, de volonté et d'imagination, son avenir repose surtout sur la force de sa jeunesse."
Femme et artiste en Tunisie: un combat au quotidien
Être une femme en Tunisie n'a jamais été de tout repos, surtout lorsqu'on se bat pour des idéaux. "Être une femme et artiste n’est pas une mince affaire en Tunisie. Mais l’être aussi ne m'empêche pas de créer et d'affronter les difficultés liées à mon métier." déclare Moufida: "La preuve qu’après les événements de la Abdelia en 2012 et les menaces de mort, j'étais et je suis plus que jamais engagée par mon travail et mon désir de contribuer au changement des mentalités et à l’intégration de l’art dans la vie de chacun."
Ce film est à son image: ouvert aux autres, libre, frais et éclectique. Visuel et mémoriel. Se passant dans un quartier populaire de Tunis, Moufida invite les enfants à envahir les murs en déclarant le rêve total, libre et sans limites. Leurs aspirations sont écrites noir sur blanc.
" 'Hors-je' est un voyage dans l'enfance révoltée et qui se veut libre dans une Tunisie indifférente à leur condition de vie dans les quartiers défavorisés et dans les régions reculées. C'est une enfante remontée à surface de mémoire. Je filme leurs désirs, l'imaginaire et la poésie font le reste. Tourner avec un enfant est 'un état de grâce' comme le dit Wim Wenders. Personne ne peut oublier 'Le Kid' de Chaplin, un chef-d'oeuvre incontestable." affirme Moufida au HuffPost Tunisie.
Ce focus, ce prisme choisi est "un journal d’un enfant de quartier populaire de la Tunisie" affirme la jeune femme. "Je voulais filmer ces enfants en leur donnant des moyens simples pour s’exprimer dans un milieu difficile et sujet à toutes les tentations possibles. L’art et la culture sont la force qui peut sauver certains d’un avenir qui pourrait être sombre et plongé dans l’extrémisme. C’est le moyen de porter un regard sur le monde et d’avoir confiance en soi pour trouver sa place dans une société qui à tendance à juger les origines sociales" concède t-elle.
Ce qu'est aller chercher Moufida auprès de ces enfants n'est autre que leur désir de liberté dans un quartier où le temps semble avoir suspendu son vol: "Ils avaient une soif incroyable de s'exprimer surtout que leur quotidien après l'école se limitait à cet espace restreint de leur quartier où ils n'existe aucune activité artistique" affirme la productrice et réalisatrice avant d'ajouter: "leur apporter une attention particulière et artistique leur a donné une échappée exceptionnelle. Les familles ont même participé par encourager leurs enfants à être dans le film."
Les enfants: un thème de prédilection
Le monde de l'enfance, Moufida le connait par coeur, le vit et le montre tel qu'il est: vivant, libre, insouciant.
Ce travail revêt presque un caractère anthropologique: "Le monde de l’enfance est mon thème de prédilection. Je partage ce que dit Luigi Comencini 'L’enfance, me semble être le seul moment de grande liberté pour un individu. Le processus par lequel l’éducation, scolaire comme familiale, tend à étouffer cette liberté est dramatique… Le seul moyen de libérer l’enfance est justement de se mettre à son niveau.' " affirme Moufida avant d'ajouter: "Je ne peux être que proche des enfants et de leur univers. J’aime filmer ce que les enfants n’ont pas perdu, leur capacité de regarder le monde sans nécessairement en avoir une opinion immédiate et en tirer des conclusions. D’ailleurs mon prochain film de fiction 'AYA' est aussi une histoire terrible sur une enfant qui vit dans une famille salafiste".
Une artiste pluridisciplinaire
Productrice, réalisatrice, plasticienne, performeuse, photographe, poétesse, dessinatrice, Moufida est touche à tout. Pourtant, dans une société qui tend à placer les gens dans des cases, elle réussit à sortir du lot non sans difficultés: "Ce n'est pas toujours évident aujourd'hui d'être une artiste pluridisciplinaire surtout qu'on exige de vous d'être unilatéral et de rentrer dans une catégorie d'artiste. Ce que j'ai toujours refusé et assumé" admet-elle.
"Aujourd'hui plus vous êtes dans la norme et que vous répondez au marché de l'art plus vous êtes dans 'la bonne case'. Nous vivons dans un monde purement économique où l’immédiateté et la rapidité sont le seul mot d’ordre. Cela engendre une certaine culture de la médiocrité" déclare la jeune artiste.
Cette culture de l'immédiateté, elle l'a combat par la liberté: "Je défends une forme de liberté que je questionne à la fois. Face à tous les moyens mis en place pour nous traquer dans une société de contrôle. Par le refus des étiquettes 'merchandising', je me bats pour le droit à la différence en donnant une perspective à son existence."
Une "agitatrice de conscience"
Flashback: Nous sommes en 2011, la révolution a fait fuir le dictateur vers l'Arabie Saoudite. La parole se libère, la rue redevient un espace public, un espace citoyen. Un brouhaha incessant s'en dégage. Au mois de mai, un étranger super-héros arpente l'avenue Habib Bourguiba: "Super-Tunisian", une femme aux super-pouvoirs promettant aux passants et citoyens de révolutionner le pays.
Véritable "pied-de-nez" au discours démagogiques des hommes politiques, la performance de Moufida fit réagir sur les réseaux sociaux et à l'avenue, à tel point qu'elle a reçu des menaces de mort.
Peu importait, pour Moufida alias "Super-Tunisian", la démarche était tout autre: "Une partie de mon travail implique le spectateur et je fais en sorte que le public soit acteur surtout dans mes performances" affirme t-elle avant d'ajouter "C’est une démarche qui m’a parut nécessaire en Tunisie pour la performance dans l’espace public."
Se réapproprier l'espace public, faire de l'art un droit, et une bouffée d'air frais dans l'abattage politique dans l'immédiat après révolution, voilà les aspirations de Moufida : " 'Super-Tunsian' est la première performance artistique en ce sens dans l’histoire de l’art tunisien. Je voulais que l’art soit une revendication en tant que droit autant que le droit au travail ou autre. 'Super-Tunisian' est un agitateur de conscience à la fois pacifique, politique et critique."
C'est dans ce cadre qu'elle rejoint le 18 mars dernier, la campagne "People For Tunisia", une campagne de solidarité internationale, qui promeut la démocratie et les valeurs universelles.
Sortir l'art de sa "tour d'ivoire"
5 ans après la révolution, la place de l'art et des artistes en général est loin d'être un long fleuve tranquille: "En Tunisie nous avons encore affaire à deux genres d’artistes ou de pseudo-artistes. Il y a des artistes qui sont déconnectés de la réalité et continuent à nous imposer des œuvres médiocres et sans fond. Mais il y a aussi un autre genre de pseudo-artiste qui prône la haine de l’autre sur les plateaux télé et via les réseaux sociaux." affirme Moufida, ajoutant "Il me semble que 'l’artiste dans sa tour d’ivoire' est toujours d’actualité."
Faire sortir l'art de sa réserve, des sentiers battus, de sa vision monochrome et ce en se basant sur une mine d'énergie, de volonté, de vie: la jeunesse. "Nous sommes encore loin de l’artiste responsable de ses dires et de ses actes. Mais je reste optimiste parce que il y a aussi des artistes et des acteurs culturels qui travaillent pour une Tunisie meilleure. Oui optimiste parce que ce pays regorge d'énergie, de volonté et d'imagination, son avenir repose surtout sur la force de sa jeunesse."
Femme et artiste en Tunisie: un combat au quotidien
Être une femme en Tunisie n'a jamais été de tout repos, surtout lorsqu'on se bat pour des idéaux. "Être une femme et artiste n’est pas une mince affaire en Tunisie. Mais l’être aussi ne m'empêche pas de créer et d'affronter les difficultés liées à mon métier." déclare Moufida: "La preuve qu’après les événements de la Abdelia en 2012 et les menaces de mort, j'étais et je suis plus que jamais engagée par mon travail et mon désir de contribuer au changement des mentalités et à l’intégration de l’art dans la vie de chacun."
Appréhender l'art comme un défi, comme un socle social, l'art comme combat pour une société meilleure: "Il est clair que cela est loin d'être facile. Il faut s'accrocher pour faire face à une société qui reste patriarcale" affirme Moufida Fedhila
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