Après
son classement dans la liste noire des paradis fiscaux, et
son retrait quelques semaines plus tard, la Tunisie sera, mercredi, l'objet d'un vote au parlement européen, à l'issu duquel il sera décidé de la mettre ou non sur une liste noire des pays susceptibles d’être fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme.
"Ce vote fait suite à une réunion houleuse lundi 29 janvier en commission des affaires économiques et monétaires" note le site du Parlement européen ajoutant que la proposition d'ajouter la Tunisie à cette liste est issue de la Commission européenne.
À cet effet, la commission a émit un certain nombre d'arguments pour justifier sa demande, à savoir :
- La Tunisie s'est engagée lors de la réunion plénière du Groupe d’action financière (GAFI) à Buenos Aires, à exécuter rapidement le plan d'action ministériel du 3 novembre 2017, et dont les mesures prises pour le mettre en œuvre ont été présentées par la Tunisie aux experts du GAFI lors d'une réunion tenue à Saint-Pétersbourg le 11 janvier 2018.
- Elle doit faire preuve d'un engagement et d'une volonté politique importants à l'égard des institutions européennes, en vue de prendre des mesures efficaces pour appliquer les réformes nécessaires.
- Elle est un partenaire important de l'Union européenne dans la lutte contre le terrorisme, et pour relever les défis de la migration auxquels elle est confrontée, puisqu'elle constitue un acteur important en matière de politique migratoire.
D'après le site du parlement européen, la décision sera prise mercredi,
après un débat sur la question, qui s'est déroulé hier lundi 05 février.
Sont visés en plus de la Tunisie, le Sri-Lanka et la République de Trinité-et-Tobago, à cause des "failles stratégiques dans leurs systèmes de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme".
Selon
un communiqué rendu public par le parlement européen, la Commission européenne met à jour périodiquement ladite liste, et a estimé qu'il faut y inclure la Tunisie, le Sri-Lanka et la République de Trinité-et-Tobago.
Réactions des députés européens
Toujours selon
le communiqué du parlement européen, la députée portugaise, Ana Gomes, s'est dite "divisée" quant au placement de la Tunisie sur cette liste, mais que son rôle au sein du parlement, lui incombe de respecter l'objectif, qui est de forcer tout un chacun à respecter ses engagements dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
De son côté, la députée française Marie-Christine Vergiat, s'est déclarée "surprise et dans l'incompréhension", soulignant que plusieurs pays de cette liste sont en guerre, contrairement à la Tunisie. "Je ne comprends pas comment vous pouvez mettre la Tunisie dans le même panier" a-t-elle ajouté.
Le député italien Roberto Gualtieri a également exprimé son mécontentement face à cette résolution, qualifiant la déclaration de la directrice de la commission européenne de "trop bureaucratique pour être sérieuse", et que les conditions imposées à la Tunisie sont plus dures que celles infligées aux autres pays, comme la Libye par exemple. "Je voudrais savoir pourquoi" s'est-il interrogé.
Les députés allemands Bernd Lucke et Burkhard Balz ont quant à eux soutenu la résolution, estimant que les pays concernés doivent remplir leurs engagements envers le GAFI.
La directrice de la commission, Tiina Astola, a par ailleurs déclaré que la situation de la Tunisie sera réévaluée durant cette année, et que si celle-ci s'en tient à ses engagements dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, elle sera rapidement retirée de la liste, sans pour autant indiquer une date.
Le débat du lundi 5 février
Lors de son intervention pendant
le débat sur la question, lundi au parlement européen, la député française Marie-Christine Vergiat a défendu la transition démocratique tunisienne, critiquant fortement la proposition de la commission européenne.
"Comme d'autres, j'ai vu apparaître avec surprise et incompréhension la Tunisie, le 5 décembre 2017, sur la liste noire des paradis fiscaux, puis le 13 décembre sur la liste des pays à haut risque en matière de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme. Je n'ai pas été convaincue par ses arguments (à la Commission européenne) lors de la dernière réunion. C'est pourquoi j'ai déposé cette objection pour que la plénière puisse s'exprimer" déclare la député française, avant d'ajouter: "La question n'est pas la lutte contre le blanchiment d'argent ou le financement du terrorisme. La liste noire en question ne comportait début décembre que 11 pays, dont 5 de la région MENA, tous en guerre, mais pas la Libye et aucun pays du Golfe. Alors que vient faire la Tunisie dans cette liste ?" s'est-elle interrogée.
"On nous dit bien sûr en Off que d'autres pays vont venir, y compris des pays européens. Permettez-moi d'être sceptique! On nous dit également qu'il ne s'agit pas de sanctions, mais de surveillance accrue. Mais quel signal envoie-t-on aux investisseurs et créanciers de la Tunisie. Quels dégâts auraient été faits d'ici à ce que la commission revienne sur sa proposition? Le fera-t-elle? et si oui, quand?" S'interroge Vergiat.
La députée a également indiqué que la Tunisie est "économiquement fragile" et qu'elle "avance pas à pas dans sa transition démocratique". "Faut-il rappeler que ces nouvelles institutions n'ont vraiment commencé à travailler qu'en 2015? Est-ce vraiment la meilleure façon de soutenir la Tunisie comme nous ne cessons de le proclamer, que de la faire figurer sur cette liste?" a-t-elle ajouté.
Marie-Christine Vergiat a aussi exprimé son étonnement de la position de la commission européenne qui, dit-elle, veut à tout prix maintenir la Tunisie sur cette liste, alors que le gouvernement tunisien avait honoré plus de 26 engagements en décembre 2017, et d'autres depuis.
Selon elle, il y a d'autres pays à inscrire sur cette liste de façon plus urgente, et qui sont plus "dangereux" pour l'Union Européenne.
"Je crains personnellement que les enjeux soient autres, et que l'on cherche à faire pression sur la Tunisie pour qu'elle mette en oeuvre plus rapidement d'autres réformes, et notamment, certaines réformes dites structurelles" ajoute Vergiat avant de conclure avec un message adressé à ses collègues: "Pour vraiment soutenir la Tunisie, je vous invite mes chers collègues à voter en faveur de cette objection afin de mettre en cohérence les discours et les actes".
De son côté, la Commissaire européenne à la Justice, aux Consommateurs et à l'Égalité des genres, Věra Jourová, avait exprimé un point de vue différent, voire contraire à celui de Vergiat, estimant que la Tunisie présente toujours des déficiences stratégiques qui justifient son inclusion dans la liste des pays tiers à haut risque.
"Bien que, je salue les efforts déployés par les autorités tunisiennes à cet égard, j'estime cependant que la route est encore longue, notamment concernant la réglementation et la supervision du secteur non-financier. La Tunisie doit encore fournir un certain nombre d'efforts, et nous devons, en attendant, assumer nos responsabilités de protection de l'Union Européenne et de son système financier, de tout risque de blanchiment d'argent et de financement d'activités terroristes. Je vous invite donc à assumer vos responsabilités" s'est-elle exprimée s'adressant aux membres du parlement, sous un étonnement visible de Marie-Christine Vergiat.
Le député roumain, Cristian Preda, a quant à lui dit être embarrassé, et que chacun votera mercredi selon sa conscience, suivant le principe du vote libre, tout en dénonçant une inquiétude plus manifeste pour la Tunisie, que pour le Sri-Lanka, un pays qui a tout autant besoin du soutien européen.
"Je suis un peu triste parce que je vois qu'on discute uniquement de la Tunisie, et qu'on oublie un autre pays qui est le Sri-Lanka. Je rappelle que tout comme on soutient le processus démocratique de la Tunisie, on soutient également les récents changements politiques au Sri-Lanka. Je suis très proche et des Tunisiens, et des Sri-Lankais, surtout parce que je crois qu'on se doit d'être cohérent. Retrouver ces deux pays sur la liste est incompréhensible. Personne ne comprend plus rien de ce qu'est l'Union Européenne!" s'est-il exclamé ajoutant "On dit à ces pays qu'on est là, qu'on veut leur apporter notre soutien, et puis, c'est nous mêmes qui les inscrivons sur cette liste noire".
La députée française, Pervenche Berès, a par ailleurs vivement appelé la commission européenne à revenir sur sa proposition, avant le vote de ce mercredi.
De son côté, la députée portugaise Ana Gomes a estimé que la commission devrait "faire son propre travail d'évaluation, sans compter sur le GAFI", ajoutant qu'elle votera quand même "pour" cette proposition.
Rien n'est encore joué
Le parlement européen dispose cependant du droit de veto, qui pourrait annuler la décision de la Commission européenne et l'obliger à maintenir sa liste actuelle. En effet, conformément à la législation européenne, le parlement est en mesure de révoquer une délégation ou exprimer des objections à l’égard
d'un acte délégué.
Le Groupe d’action financière (GAFI), institution internationale en charge de l’examen et l’élaboration des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, vient cependant de réviser le classement de la Tunisie, et l'a déplacée de la catégorie des "pays à haut risques et non coopératif" à la catégorie des "pays sous surveillance", une catégorie désignant les pays qui sont en train d’améliorer leur dispositif et ayant des engagements fermes, dans ce sens.
Cette décision vient à la suite d'une demande officielle adressée à la GAFI de la part de la Commission Tunisienne des Analyses Financières (CTAF), afin de lever cette confusion et corriger l’évaluation tunisienne, aux conséquences négatives sur l’image du pays.
À l'occasion de sa visite à Bruxelles hier, le ministre des Affaires étrangères, Khemais Jhinaoui, a mis en garde contre "tout ce qui est susceptible de remettre en cause l'engagement entre la Tunisie et l'Union Européenne" dans leur partenariat, faisant référence au classement de la Tunisie parmi les paradis fiscaux qui a marqué la fin de l'année. "je ne peux pas ne pas l'évoquer", a t-il avoué. "C'était une décision injuste parce que c'était une décision unilatérale", poursuit-il avant de se réjouir de la décision finale du retrait de la Tunisie de cette liste le 23 janvier dernier.
"Nous souhaitons que l'Union Européenne nous aide à diffuser et vulgariser auprès des États et de la société civile, l'image réelle de la Tunisie, un pays qui tient à réussir son processus démocratique, qui tient à réussir sa transition économique et qui a besoin du soutien de ses amis pour devenir un pays émergeant" avait conclut le ministre.
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