INTERVIEW - Publié en mars 2016 aux éditions Albin Michel, "Les derniers jours de Muhammad – Enquête sur la mort mystérieuse du Prophète" connaît, depuis, un franc succès, aussi bien en France qu’en Tunisie.
Interdit au Sénégal, par un décret ministériel, ce livre ne cesse d’alimenter la polémique entre ceux qui y voient "une insulte" et ceux qui affirment et mettent en valeur le caractère scientifique si vital à cette époque où l’extrémisme ne cesse de se propager.
L’auteure du livre, Hela Ouardi, a reçu le HuffPost Tunisie pour répondre à ses questions.
-HuffPost Tunisie : Votre livre, interdit au Sénégal, connaît un franc succès en France et en Tunisie. L'Occident semble s'intéresser de près à l'islam et à son Prophète?
Hela Ouardi: L’islam ne concerne plus seulement les musulmans. Pour l’Occident, l’islam n’est plus la religion de "l’Autre", c’est désormais une réalité sociale endogène. C’est par exemple la deuxième religion en France, pays où vivent près de 5 millions de musulmans. La curiosité que suscite l’islam est d’autant plus grande que cette religion est au cœur d’événements tragiques qui secouent fréquemment le monde occidental. L’intérêt pour l’islam est donc amplement justifié.
- Il y a certes eu plusieurs écrits sur Muhammad, sa vie, sa prophétie et ses exploits. Toutefois, son décès et les circonstances dans lesquelles il est mort ont été beaucoup moins étudiés. Quelles en sont les raisons selon vous?
Les derniers jours de Muhammad ainsi que les circonstances de son décès sont fréquemment exposés dans les ouvrages anciens et contemporains sauf que l’intention derrière l’exploration de ce sujet est souvent orientée politiquement, en vue de nourrir la polémique entre sunnites et chiites autour de la légitimité du califat. Pour ma part, j’ai délibérément choisi de me placer sur un terrain neutre afin de confronter les textes sunnites et chiites et de relater les faits sans prendre parti pour l’un et l’autre camp.
-Certains prétendent que votre recherche est influencée par les récits chiites. Qu’en dites-vous ?
Ceux qui "prétendent" comme vous dites que le livre prend le parti des chiites n’ont certainement pas lu mon livre. Je vais vous répondre avec les chiffres: sur les 83 auteurs que je cite dans mon livre, 9 auteurs sont chiites; les 74 autres sont sunnites. Donc je ne sais pas d’où vient cette impression erronée que je penche vers la version chiite. En même temps, je ne penche pas non plus vers la version sunnite. D’ailleurs, un élément capital (que je souligne fréquemment dans mon livre) est que les versions sunnite et chiite sont souvent concordantes, ce qui me dispense de prendre position.
-On vous reproche d’être par moments subjective. Ce reproche est-il fondé à votre avis ?
Je crois qu’il faut d’abord nous entendre sur le sens que vous donnez au mot "subjective". Si vous entendez par là que j’exprime une opinion personnelle dans mon livre, je vous dirai que c’est un constat erroné. Citez-moi un seul passage dans mon livre où je donne un avis personnel: je me contente de commenter et de poser des questions. Je comprends parfaitement que plusieurs informations dans mon livre mettent certains lecteurs mal à l’aise parce qu’elles ne sont pas conformes à l’image mythique et idéalisée qu’ils ont de certains Compagnons du Prophète. Ainsi, ces lecteurs, dans une sorte de réaction de déni, préfèrent "accuser" l’auteur de subjectivité malveillante plutôt que de remettre en cause les idées reçues et les clichés auxquels ils sont enchaînés.
Pour d’autres lecteurs, le reproche de subjectivité qu’ils me font s’explique par une sorte de "malentendu" que je vais tenter ici de lever: tout texte, scientifique ou non, est nécessairement subjectif puisqu’il émane d’un sujet qui a lu, réfléchi et écrit; le terme "subjectif" est d’ailleurs dérivé de "sujet". En fait, seul un robot peut produire un texte "objectif" parce que le robot est littéralement un objet. Ainsi demander à un auteur de neutraliser sa subjectivité revient à lui demander de s’annuler en tant que sujet et donc de cesser d’exister tout simplement! En revanche, ce dont le lecteur est en droit d’exiger de moi c’est la posture éthique de l’honnêteté intellectuelle. Ce pacte moral avec le lecteur je m’y suis engagée et je l’ai signé d’entrée de jeu à travers la phrase de Montaigne que j’ai placée en exergue: "C’est ici un livre de bonne foi lecteur".
-On retrouve un Muhammad humain dans votre récit. Une exclusivité dans les recherches théologiques?
Mon travail ne relève pas de la théologie c’est un récit historique qui prend précisément le contre-pied du discours théologique. J’exploite les textes théologiques pour y glaner des informations et non pour chercher ce qui est licite et ce qui ne l’est pas. Je dois ouvrir ici une parenthèse pour noter une idée fondamentale à mes yeux: mon livre n’a rien d’exclusif (il serait plutôt inclusif!) parce que toutes les informations qui y figurent sont d’ores et déjà présentes dans les multiples ouvrages de la Tradition.
La nouveauté de mon livre est moins dans son contenu que dans sa forme et sa méthode. Pour revenir à votre question, je dirai que l’humanité du Prophète n’apparaît pas uniquement dans mon livre; elle est déjà explicitement et clairement soulignée dans le livre le plus important de l’islam: le Coran!
-Vous avez déjà déclaré que Les derniers jours de Muhammad sera prochainement traduit en arabe. Ne redoutez-vous les réactions qui pourraient être violentes?
Et vous quand vous prenez votre douche le matin, ne redoutez-vous pas de glisser et de faire une chute grave? Si à chaque fois qu’on entreprend une action quelconque, on commence à envisager les risques encourus, on ne ferait plus rien. Je suis davantage préoccupée par la qualité de ma propre action (la recherche scientifique) que par la réaction des autres sur laquelle de toutes les façons je n’ai aucune emprise.
-Est-il vrai que Youssef Seddik sera celui qui se chargera de traduire le livre?
(Rires) Peut-être que vous devriez lui poser la question à lui et non à moi. Pour ma part, je serai ravie et honorée si Youssef Seddik, homme doté de grandes qualités intellectuelles et humaines, se charge de la traduction de mon livre.
Interdit au Sénégal, par un décret ministériel, ce livre ne cesse d’alimenter la polémique entre ceux qui y voient "une insulte" et ceux qui affirment et mettent en valeur le caractère scientifique si vital à cette époque où l’extrémisme ne cesse de se propager.
L’auteure du livre, Hela Ouardi, a reçu le HuffPost Tunisie pour répondre à ses questions.
-HuffPost Tunisie : Votre livre, interdit au Sénégal, connaît un franc succès en France et en Tunisie. L'Occident semble s'intéresser de près à l'islam et à son Prophète?
Hela Ouardi: L’islam ne concerne plus seulement les musulmans. Pour l’Occident, l’islam n’est plus la religion de "l’Autre", c’est désormais une réalité sociale endogène. C’est par exemple la deuxième religion en France, pays où vivent près de 5 millions de musulmans. La curiosité que suscite l’islam est d’autant plus grande que cette religion est au cœur d’événements tragiques qui secouent fréquemment le monde occidental. L’intérêt pour l’islam est donc amplement justifié.
- Il y a certes eu plusieurs écrits sur Muhammad, sa vie, sa prophétie et ses exploits. Toutefois, son décès et les circonstances dans lesquelles il est mort ont été beaucoup moins étudiés. Quelles en sont les raisons selon vous?
Les derniers jours de Muhammad ainsi que les circonstances de son décès sont fréquemment exposés dans les ouvrages anciens et contemporains sauf que l’intention derrière l’exploration de ce sujet est souvent orientée politiquement, en vue de nourrir la polémique entre sunnites et chiites autour de la légitimité du califat. Pour ma part, j’ai délibérément choisi de me placer sur un terrain neutre afin de confronter les textes sunnites et chiites et de relater les faits sans prendre parti pour l’un et l’autre camp.
-Certains prétendent que votre recherche est influencée par les récits chiites. Qu’en dites-vous ?
Ceux qui "prétendent" comme vous dites que le livre prend le parti des chiites n’ont certainement pas lu mon livre. Je vais vous répondre avec les chiffres: sur les 83 auteurs que je cite dans mon livre, 9 auteurs sont chiites; les 74 autres sont sunnites. Donc je ne sais pas d’où vient cette impression erronée que je penche vers la version chiite. En même temps, je ne penche pas non plus vers la version sunnite. D’ailleurs, un élément capital (que je souligne fréquemment dans mon livre) est que les versions sunnite et chiite sont souvent concordantes, ce qui me dispense de prendre position.
-On vous reproche d’être par moments subjective. Ce reproche est-il fondé à votre avis ?
Je crois qu’il faut d’abord nous entendre sur le sens que vous donnez au mot "subjective". Si vous entendez par là que j’exprime une opinion personnelle dans mon livre, je vous dirai que c’est un constat erroné. Citez-moi un seul passage dans mon livre où je donne un avis personnel: je me contente de commenter et de poser des questions. Je comprends parfaitement que plusieurs informations dans mon livre mettent certains lecteurs mal à l’aise parce qu’elles ne sont pas conformes à l’image mythique et idéalisée qu’ils ont de certains Compagnons du Prophète. Ainsi, ces lecteurs, dans une sorte de réaction de déni, préfèrent "accuser" l’auteur de subjectivité malveillante plutôt que de remettre en cause les idées reçues et les clichés auxquels ils sont enchaînés.
Pour d’autres lecteurs, le reproche de subjectivité qu’ils me font s’explique par une sorte de "malentendu" que je vais tenter ici de lever: tout texte, scientifique ou non, est nécessairement subjectif puisqu’il émane d’un sujet qui a lu, réfléchi et écrit; le terme "subjectif" est d’ailleurs dérivé de "sujet". En fait, seul un robot peut produire un texte "objectif" parce que le robot est littéralement un objet. Ainsi demander à un auteur de neutraliser sa subjectivité revient à lui demander de s’annuler en tant que sujet et donc de cesser d’exister tout simplement! En revanche, ce dont le lecteur est en droit d’exiger de moi c’est la posture éthique de l’honnêteté intellectuelle. Ce pacte moral avec le lecteur je m’y suis engagée et je l’ai signé d’entrée de jeu à travers la phrase de Montaigne que j’ai placée en exergue: "C’est ici un livre de bonne foi lecteur".
-On retrouve un Muhammad humain dans votre récit. Une exclusivité dans les recherches théologiques?
Mon travail ne relève pas de la théologie c’est un récit historique qui prend précisément le contre-pied du discours théologique. J’exploite les textes théologiques pour y glaner des informations et non pour chercher ce qui est licite et ce qui ne l’est pas. Je dois ouvrir ici une parenthèse pour noter une idée fondamentale à mes yeux: mon livre n’a rien d’exclusif (il serait plutôt inclusif!) parce que toutes les informations qui y figurent sont d’ores et déjà présentes dans les multiples ouvrages de la Tradition.
La nouveauté de mon livre est moins dans son contenu que dans sa forme et sa méthode. Pour revenir à votre question, je dirai que l’humanité du Prophète n’apparaît pas uniquement dans mon livre; elle est déjà explicitement et clairement soulignée dans le livre le plus important de l’islam: le Coran!
-Vous avez déjà déclaré que Les derniers jours de Muhammad sera prochainement traduit en arabe. Ne redoutez-vous les réactions qui pourraient être violentes?
Et vous quand vous prenez votre douche le matin, ne redoutez-vous pas de glisser et de faire une chute grave? Si à chaque fois qu’on entreprend une action quelconque, on commence à envisager les risques encourus, on ne ferait plus rien. Je suis davantage préoccupée par la qualité de ma propre action (la recherche scientifique) que par la réaction des autres sur laquelle de toutes les façons je n’ai aucune emprise.
-Est-il vrai que Youssef Seddik sera celui qui se chargera de traduire le livre?
(Rires) Peut-être que vous devriez lui poser la question à lui et non à moi. Pour ma part, je serai ravie et honorée si Youssef Seddik, homme doté de grandes qualités intellectuelles et humaines, se charge de la traduction de mon livre.
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